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critiques et comptes rendus
Théâtre National de Chaillot (Paris)

19 juin 2012 :  Etés de la danse à Paris / Paul Taylor Dance Company, 1ère partie


beloved renegade
Annmaria Mazzini, Robert Kleinendorst et Michael Trusnovec dans Beloved Renegade


Les Etés de la danse aiment bien l'Amérique. Le San Francisco Ballet avait ouvert en 2005 le premier bal des Etés aux Archives, et depuis lors, plusieurs compagnies américaines ont eu les honneurs de la programmation, souvent pour le meilleur - on n'a pas oublié le Miami City Ballet d'Edward Villella, qui avait enchanté l'an dernier notre pluvieux été français. Cette huitième édition est toutefois prétexte à un changement de style et de répertoire, avec la compagnie d'Alvin Ailey, en villégiature parisienne pour la troisième fois, et la Paul Taylor Dance Company, nettement plus rare pour le coup – elle n'était pas venue à Paris depuis douze ans. Paul Taylor, pour nous Européens, c'est surtout un nom, celui d'un jalon important de l'histoire de la «modern dance» américaine, au même titre que Merce Cunningham ou Twyla Tharp. Le fait, collecté dans les livres, aurait pourtant tendance à nous faire oublier que Paul Taylor, c'est aussi une compagnie de danse qui vit, qui crée et qui ne se contente pas d'être le musée d'une poignée d'oeuvres emblématiques, relevant d'un passé déjà lointain. L'affiche de ce festival en témoigne superbement, en proposant chaque soir au public un programme unique, composé de trois ou quatre ballets, appartenant à différentes périodes, des années 60 jusqu'à nos jours.


cloven kingdom
Jeffrey Smith, Michael Apuzzo, Michael Novak et Francisco Graciano dans Cloven Kingdom

Cette première soirée s'ouvrait sur Cloven Kingdom, pièce de 1976. Des femmes en élégantes robes longues, des hommes en frac dansent au son de Corelli – ambiance lisse et colorée de bal de promotion. On pense d'emblée à un Balanchine version «modern dance», exécuté pieds nus et en-dedans. Des bruitages incongrus viennent subitement semer le désordre, se mêler aux harmonies corelliennes, avant de s'en détacher complètement. En même temps que la musique se dérègle, le mouvement des danseurs se fait plus plus sauvage, plus convulsif. Le ballet prend une teinte surréaliste, loufoque plutôt que vraiment inquiétante. Les hommes sautent de manière frénétique - voire un peu simiesque - ou se promènent à quatre pattes, tandis que les femmes entrent et sortent avec de drôles de casseroles sur la tête. Spinoza à l'appui, Cloven Kingdom parle de l'animalité en l'homme, dissimulée sous le vernis délicat de la civilisation. L'argument n'est pas particulièrement original en cette fin de XXe siècle, mais il est traité ici avec un humour grinçant qui lui évite de sombrer dans le moralisme. On peut d'ailleurs choisir d'oublier le sous-texte et de ne voir dans cette pièce que de la danse pure - comme un exposé de présentation du style Taylor. Cloven Kingdom donne notamment à voir un très impressionnant quatuor de danseurs, formé de Michael Trusnovec – un peu la star de la compagnie -, Robert Kleinendorst, Francisco Graciano et Michael Novak. On y découvre en même temps la danse très physique et très énergique du chorégraphe – de la vitesse, des sauts en veux-tu en voilà, des figures presque acrobatiques, une occupation intense de la scène par les danseurs, et ces fameux bras en V, paumes ouvertes généreusement vers le monde, qui sont comme sa signature récurrente.


beloved renegade
Robert Kleinendorst, Annmaria Mazzini, Julie Tice et Orion Duckstein dans Beloved Renegade

Beloved Renegade, créé en 2008, inédit à Paris, serait plutôt du genre élégiaque. Des trois pièces du programme, c'est de loin la plus récente, mais ce n'est franchement ni la plus novatrice ni la plus palpitante. Le ballet se présente comme un hommage direct au poète Walt Whitman, dont un verset tiré des Leaves of grass (Feuilles d'automne) illustre chacun des six tableaux qui le composent. Là encore, l'oeuvre peut s'apprécier indépendamment de cette référence profondément américaine - elle résonne bien au-delà de la personne du dédicataire. Le Gloria de Francis Poulenc choisi par Taylor, et précédemment utilisé par MacMillan pour son ballet éponyme, fait partie de ces musiques dites «à risques» - musique religieuse à forte tendance sentimentale -, a priori peu faites pour rassurer le spectateur de ballet. On peine du reste à percevoir le lien entre la poésie panthéiste de Whitman et les paroles du Gloria. Le chorégraphe s'en sort pourtant bien, sans trop en rajouter dans le pathos porté par le thème initial. Les costumes et les lumières, d'une élégante sobriété, y contribuent, au même titre que la musicalité subtile de l'ensemble – une autre caractéristique du chorégraphe, qui saute, là comme ailleurs, aux yeux et aux oreilles. Au final, on se dit pourtant que Taylor semble mieux pratiquer l'humour que la gravité. Plus que le ballet, ce sont donc surtout les interprètes qui retiennent l'attention, à commencer, dans le rôle du Poète, par Michael Trusnovec, danseur sculptural d'une intensité et d'un charisme hypnotisants, et ses acolytes du cinquième tableau, Laura Halzack at Amy Young.


esplanade
Michelle Fleet dans Esplanade

Esplanade, la pièce la plus ancienne - 1975 – domine largement cette soirée d'ouverture. Question émotion, elle fait même largement oublier les deux précédentes, quelles que soient leurs qualités respectives. Le ballet, chorégraphié sur deux concertos pour violon de Bach (très balanchinien aussi, tout ça...), part d'un argument tiré de la vie quotidienne : une jeune fille essaye d'attraper son bus. Il est dès lors prétexte à une série de variations, époustouflantes de virtuosité, et en même temps dépourvues du moindre effet, explorant les gestes les plus naturels à l'homme : marcher, courir, sauter, tourner, tomber. C'est un peu «le parti-pris des choses» élevé au rang d'art chorégraphique, bien avant de sombrer dans le cliché qu'il est aujourd'hui. Le final est explosif, résolument libérateur, et donne envie de partager sur scène l'allégresse un brin surjoué des danseurs. Esplanade a une héroïne, elle s'appelle Michelle Fleet et elle est tout à fait exemplaire du style et de l'allure des danseurs de Paul Taylor : physique ramassé et compact, athlétique et dynamique, statuesque et hyper-mobile. Esplanade n'en est pas moins, avant tout, un ballet de groupe, qui donne à admirer toute l'unité de la troupe, optimiste, énergique et solaire - américaine en un mot.




B. Jarrasse © 2012, Dansomanie

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Cloven Kingdom
Chorégraphie : Paul Taylor
Musique : Arcangelo Corelli, Henry Cowell et Malloy Miller, mixée par John Herbert McDowel
Costumes : Scott Barriel
Lumières : Jennifer Tipton

Avec : Amy Young, Laura Halzack, Aileen Roehl, Heather McGinley
Michael Trusnovec, Robert Kleinendorst, Francisco Graciano, Michael Novak
Michelle Fleet, Parisa Khobdeh, Eran Bugge, Jamie Rae Walker


Beloved Renegade
Chorégraphie : Paul Taylor
Musique : Francis Poulenc
Costumes : Santo Loquasto
Lumières : Jennifer Tipton

Avec : Michael Trusnovec, Amy Young, Robert Kleinendorst , James Samson
Laura Halzack
Michelle Fleet, Parisa Khobdeh, Sean Mahoney, Jeffrey Smith
Eran Bugge, Francisco Graciano, Jamie Rae Walker    
Michael Apuzzo, Aileen Roehl, Heather McGinley  


Esplanade
Chorégraphie : Paul Taylor
Musique : Jean-Sébastien Bach
Costumes : John Rawlings
Lumières :Jennifer Tipton

Avec : Amy Young, Robert Kleinendorst, James Samson
Michelle Fleet, Parisa Khobdeh, Jeffrey Smith 
Eran Bugge, Laura Halzack, Jamie Rae Walker

Musique enregistrée

Mardi 19 juin 2012,  Théâtre de Chaillot, Paris


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