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critiques et comptes rendus
The Royal Ballet (Londres)

13 juin 2012 : Le Prince des Pagodes  (K. MacMillan) par le Royal Ballet


prince des pagodes
Marianela Nuñez et Nehemiah Kish dans Le Prince des Pagodes (chor. Kenneth MacMillan)


La dernière saison de Monica Mason à la tête du Royal Ballet est l'occasion pour la compagnie anglaise de ressusciter Le Prince des Pagodes, chorégraphié en 1989 par MacMillan, trois ans seulement avant sa mort. L'histoire de l'oeuvre est chaotique et la renaissance tant attendue ressemble à bien des égards à l'essai de la dernière chance. Britten avait composé initialement la musique pour un ballet de Cranko, lequel s'avéra un échec. Bien plus tard, MacMillan s'empara à son tour du sujet et de la partition, confiant au passage à une Darcey Bussell de 19 ans son premier grand rôle. Las, le ballet, apparemment déjà critiqué en son temps, disparut définitivement du répertoire du Royal Ballet en 1996. Aujourd'hui d'ailleurs, rares sont les danseurs encore en activité à avoir participé à cette première version – Gary Avis, maître de ballet sur la production et interprète du rôle de l'Empereur, faisant un peu figure d'exception. En 2012, Le Prince des Pagodes renait donc pour le meilleur et pour le pire, au prix de quelques coupures dans la partition, exigées par les ayants-droit de Britten, et d'une redistribution de certain tableaux.  

Au départ, ce Prince des Pagodes a pourtant tout ce qu'il faut pour plaire et piquer la curiosité. Il y a bien sûr la partition de Britten et l'écrin fabuleux du compère Georgiadis, mais aussi ce titre, si évocateur, et le sujet même du ballet, un conte de fées orientaliste comme on n'en fait plus, qui pêche ses références aussi bien dans la littérature que dans l'histoire de la danse. Un vieil Empereur partage ses possessions entre ses deux filles : la Princesse Rose, la plus jeune, reçoit la plus grosse part du gâteau, tandis que la Princesse Epine, l'aînée, n'en obtient que la portion congrue. Epine, en héritière directe de Carabosse, jette alors un sort sur la cour, transformant au passage le Prince aimé de Rose en salamandre. Le récit prend là une dimension fortement initiatique, que souligne l'omniprésence d'un Fou auprès de l'héroïne, jusqu'au dénouement - heureux forcément – qui signe les épousailles du beau prince et de la brave princesse.


Avec son prologue imité du Roi Lear, ses allusions répétées à La Belle au bois dormant ou à La Belle et la Bête (et à d'autres encore...), Le Prince des Pagodes célèbre ainsi l'union éternelle du ballet et de la féerie. Sauf que l'on est chez MacMillan et que le pastiche du ballet classique paraît constamment décalé, flirtant sans cesse avec l'absurde ou le bizarre, à tendance psychiatrique ou grinçante. La musique de Britten joue elle-même avec les poncifs, mis la sauce moderniste. Au premier acte, les courtisans se retrouvent ainsi transformés en... baboins, subitement pris d'une espèce de danse de Saint-Guy, tandis que l'indispensable grand pas final laisse voir, au milieu des danseuses du corps de ballet en tutus, une cour d'une hénaurmité rabelaisienne, menée par un Empereur en chaise roulante, pris en flagrant délit de régression. Le second acte, censé représenter le voyage de Rose dans un ailleurs onirique, nous plonge en réalité dans les affres de sa conscience - un cauchemar nocturne incarné notamment par quatre Rois - indiquant les quatre directions -, comme un souvenir parodique des quatre cavaliers d'Aurore. La féerie disparaît pour laisser place à une scène sombre et presque nue et à des pas de deux au kilomètre comme seul MacMillan savait en faire. La narration, jusque-là bavarde mais lisible, s'opacifie nettement, avec quelques liens manquants (le Prince redevient le Prince, mais pourquoi le revoilà salamandre?...). La féerie, de retour à l'état plus ou moins pur dans l'acte III (une cour vaguement élisabéthaine sur fond de pagodes - enfin!), laisse elle-même une impression ambivalente, entre magnificence et ridicule.

La distribution n'arrange pas forcément les choses. La blonde et fine Sarah Lamb, princesse Rose toute trouvée, traine son aristocratique ennui et sa perfection glaciale tout au long du ballet, à l'instar de Federico Bonelli, indécrottablement Prince, avec son élégance irréprochable. Ils sont idéaux au-delà du raisonnable dans le majestueux grand pas final, qui donne enfin au corps de ballet l'occasion de se montrer, mais dans les deux premiers actes, notamment le second où évolue le prince salamandre, des interprètes un peu moins lisses, voire un peu plus passionnés, auraient sans doute été les bienvenus. Face à eux, Laura Morera instille davantage de théâtralité dans le rôle, bizarrement construit, de la Princesse Epine (son sort reste confus), même si sa danse manque parfois d'une certaine grandeur. Valentino Zucchetti ne semble pas de son côté au tout meilleur de sa forme dans le rôle central du Fou, avatar psycho-dramatique du traditionnel Bouffon. Les rois enfin, parmi lesquels se détachent Johannes Stepanek (roi de l'Est) et Brian Maloney (roi du Sud), sont prétexte à quelques sympathiques numéros de danse, mêlant virtuosité et caractère. Mais de manière générale, les personnages, dépourvus d'émotion, a fortiori d'épaisseur, semblent lointains, s'agitant vainement dans une histoire belle et pesante, où la débauche désordonnée de moyens dramaturgiques finit par tourner à vide.




B. Jarrasse © 2012, Dansomanie

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Le Prince des Pagodes
Musique : Benjamin Britten

Chorégraphie : Kenneth  MacMillan, remontée par Grant Coyle
Décors et costumes : Nicholas Georgiadis
Lumières : John B. Read

L'Empereur – Gary Avis
Princesse Rose – Sarah Lamb
Princesse Epine – Laura Morera
Le Prince – Federico Bonelli
Le Fou – Valentino Zucchetti
Le Roi du Nord – Bennet Gartside
Le Roi de l'Est – Johannes Stepanek
Le Roi de l'Ouest – Jonathan Watklns
Le Roi du Sud – Brian Maloney


The Royal Ballet
Orchestre du Royal Opera House, Covent Garden, dir. Barry Wordsworth

Mercredi 13 juin 2011,  Royal Opera House, Londres


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