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critiques et comptes rendus
The Royal Ballet (Londres)

12 juin 2012 : Ballo della Regina - La Sylphide par le Royal Ballet


ballo della regina
Nehemiah Kish et Marianela Nuñez dans Ballo della Regina (chor. George Balanchine)


Il y a deux ans, le Bolchoï avait présenté, à l'occasion d'une tournée à l'Opéra Royal de Londres, un programme réunissant Giselle et... Sérénade. En cette fin de saison, le Royal Ballet renouvelle - en la radicalisant - l'expérience de la générosité et de l'éclectisme stylistique, en offrant au public, en prélude à La Syphide de Bournonville, une petite coupe de champagne balanchinienne (à consommer avec modération) intitulée Ballo della Regina.  

Ballo della Regina est l'un des derniers ballets de Balanchine. Le chorégraphe l'avait créé en 1978 pour sa reine de l'époque, Merill Ashley, chargée à présent des répétitions de la troupe londonienne. Chorégraphié sur un arrangement de la musique du Don Carlos de Verdi, Ballo est court, rapide et brillant – jusqu'à l'indigestion. Sur la forme, c'est un pastiche néo-classique de grand pas à la russe, avec entrée, adage, variations et coda. Sur le fond, c'est une sorte de Tchaïkovsky pas de deux en version d'ensemble, ayant pris un peu d'embonpoint technique, comme si, avec Balanchine, le trop n'était jamais assez. On a beau être gourmand, on finit bien un jour par être écoeuré. Le couple principal s'y ébroue donc dans une série de joutes virtuoses ébouriffantes, destinées à la jubilation – ou à l'exaspération - générale. Il faut dire aussi que la partition - ou l'arrangement - ne brille pas forcément par sa légèreté ni par sa finesse. Pour les accompagner dans leurs ébats indécents, une cour de seize demoiselles – jupettes fluides, transparentes et légèrement pailletées de rigueur, sourire ultra-brite unanimement partagé, toutes jambes – et toutes hanches – dehors, jusqu'au pshiiitt final. Pour faire pshiiitt dans la joie et la bonne humeur, Marianela Nuñez, qui ne rate jamais un tour piqué arabesque ni un saut de chat (et se permet même d'être musicale avec ça), est une sorte d'interprète idéale. Nehemiah Kish, moins terne qu'il n'y paraît à première vue, tient quant à lui très correctement sa place, sans pour autant nous éblouir par une virtuosité exceptionnelle. C'est sûr, il y a quand même de quoi regretter le Serguéï Polunin, rappelé à notre souvenir par les photos du programme. Chez les demi-solistes, Beatriz Stix-Brunell, radieuse, est d'un aplomb indéniable, mais c'est encore Yuhui Choe qui domine largement l'affaire, avec sa danse piquante et toujours délicieusement ciselée. On pourrait en fait s'arrêter là, le corps de ballet anglais faisant généralement montre d'un « Balanchine spirit » assez mesuré.


la sylphide
Alina Cojocaru dans La Sylphide (chor. August Bournonville)

Après les chichis du Bal de la Reine, La Sylphide nous ramène à l'essentiel – à la danse d'avant les Russes. La version qu'en a donnée Bournonville, soigneusement conservée par les Danois depuis 1836, est à peu près tout ce qui nous reste aujourd'hui de ce romantisme primitif. En 2005, Johan Kobborg a offert à la troupe londonienne ce ballet, celui avec lequel grandit tout danseur danois, celui qui l'a lui-même fait étoile. Non seulement l'acclimatation du ballet à Londres est une réussite totale, mais en plus, les danseurs du Royal Ballet parviennent à lui imprimer leur marque – une théâtralité à nulle autre pareille. Au cas où l'on aurait oublié, Kobborg vient nous rappeler que La Sylphide n'est pas qu'un tortueux exercice d'école, mais aussi un vrai grand drame, où, en peu de mots, tout est dit. L'histoire, d'une lisibilité parfaite, est servie simultanément par une construction qui sait trouver le juste équilibre entre danses et pantomime et par le talent très familial de la troupe. Tous les interprètes sont formidablement investis dans le drame, des adorables petits enfants du premier acte jusqu'aux artistes de caractère expérimentés, comme Kristen McNally dans le rôle de la sorcière Madge, à la poursuite du fantôme de Sorella Englund. Cette version est par ailleurs un enchantement visuel. Les décors sont jolis et raffinés - ni poussiéreux ni nouveau riche -, avec notamment une forêt chargée d'onirisme. Question kilts, les Anglais restent des maîtres insurpassables de la couleur et des matières et seuls les tutus des romantiques sylphides pourraient nous faire regretter la finition des ateliers couture de l'Opéra de Paris.

Sur la forme, on pourra sans doute trouver de par le monde des Sylphides plus accomplies ou plus techniquement perverses qu'Alina Cojocaru, mais sans doute bien peu possédant ce don miraculeux qui s'appelle la grâce. Avec son expressivité et sa danse incroyablement aérienne, elle est une sublime incarnation du sylphe malicieux, toujours à mi-chemin entre l'humanité et le surnaturel. Rien n'est surjoué, et surtout pas la mort, tout chez elle respire le charme et la tendresse. James n'a pas complètement tort, cette danseuse-là, on ne peut que l'aimer à la folie! Johan Kobborg redonne quant à lui tout son sens et son intérêt au personnage de James, non pas le bellâtre ravi qu'on voit un peu trop souvent, mais un homme de la terre partagé entre le réel et l'idéal. C'est lui le pivot du drame et son charisme puissant le sert à merveille. Pour le reste, la maîtrise du style, l'élégance des bras et des épaulements, la petite batterie précise, le ballon et les sauts exaltants font vite oublier chez lui quelques réceptions de pirouettes un brin approximatives. On peut saluer aussi cette distribution en ce qu'elle prend soin de nous présenter, face au papillon de rêve qu'est Cojocaru, une Effie fortement aimable. Du genre brune piquante, Emma Maguire a ainsi tout le charme sensuel des filles de la terre. Bien sûr, on comprend qu'elle est destinée à finir avec Gurn, le rustre sympathique et costaud incarné par l'excellent et très amusant José Martin. On louera enfin le corps de ballet, à l'enthousiasme contagieux dans les danses de caractère du premier acte, et l'engagement des divers amis des héros, parmi lesquels on reconnaît le glorieux et toujours élégant James Hay. Au second acte, il est sans doute ensembles de sylphides plus harmonieux, mais l'on n'en est pas moins séduit par la douceur et le moelleux qui se dégagent de leur danse.



B. Jarrasse © 2012, Dansomanie

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Ballo della Regina
Musique : Giuseppe Verdi

Chorégraphie : George Balanchine

Avec : Marianela Nuñez, Nehemiah Kish
Samantha Raine, Yuhui Choe, Beatriz Stix-Brunell, Emma Maguire


La Sylphide
Musique : Herman Severin Løvenskiold

Chorégraphie : August Bournonville remontée par Johan Kobborg
Décors : Soren Frandsen
Costumes : Henrik Bloch
Lumières : Mark Jonathan

La Sylphide – Alina Cojocaru
James – Johan Kobborg
Madge – Kristen McNally
Effie – Emma Maguire
Gurn – José Martín
Anna – Ursula Hageli
Deux hommes – Philip Mosley, Thomas Whitehead
Une Petite fille – Annabel Pickering
Les Amies d'Effie Leanne Cope, Iohna Loots, Leticia Stock
Les Amis d'Effie Alexander Campbell, James Wilkie, James Hay
Première Sylphide – Yasmine Naghdi
Deux Sylphides – Meaghan Grace Hinkins, Leticia Stock


The Royal Ballet
Orchestre du Royal Opera House, Covent Garden, dir. Daniel Capps

Mardi 12 juin 2011,  Royal Opera House, Londres


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