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critiques et comptes rendus
Ballet du Capitole de Toulouse

12 mai 2012 : La Tempête, de Mauricio Wainrot, à la Halle aux Grains


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La Tempête (chor. Mauricio Wainrot)


L'Argentin Mauricio Wainrot fait partie des chorégraphes d’aujourd’hui reconnus dans le monde entier, recevant des commandes de nombreuses compagnies de ballet. Mieux connu en France par ses ballets abstraits, comme le Messie ou Carmina Burana, il a aussi abordé le genre du ballet narratif, une de ses premières pièces étant inspirée du journal d’Anne Frank. La Tempête, qui entre au répertoire du Ballet du Capitole, a été créé en octobre 2006 par le Ballet contemporain du Théâtre Saint-Martin de Buenos Aires, qu’il dirige depuis 1999.

Artiste très à l’écoute de l’évolution de son temps, sensibilisé à l’aspect tragique du monde, Mauricio Wainrot ne pouvait qu’être passionné par l’adaptation de la dernière pièce de Shakespeare. Cette comédie-féérie nous raconte l’histoire de Prospéro, duc de Milan chassé de ses états par une conspiration fomentée par son propre frère, et exilé sur une île déserte avec sa fille Miranda. Grâce à des pouvoirs magiques qu’il a acquis, il déclenche une tempête pour faire échouer sur l’île ceux qui l’ont trahi et leur fait subir diverses épreuves avant de finalement leur pardonner et de rentrer en possession de son duché. Pièce complexe, presque énigmatique, riche d’une multitude de thèmes autour du pouvoir, de l’asservissement, des rapports de domination et de soumission, de la haine et du pardon, du désir et du renoncement, elle renvoie aussi par ses situations répétées comme en miroir, à la relativité des jugements humains. Enfin, ses personnages contrastés aux évolutions psychologiques subtiles, son décor exotique à la limite du réel, et l’intervention de la magie, peuvent donner lieu à des interprétations très diverses.


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La Tempête (chor. Mauricio Wainrot)

En fait de ballet narratif, l’adaptation du chorégraphe argentin pèche par un manque de découpage dramaturgique. Les rebondissements de l’action, les changements d’atmosphère, les paroxysmes et les points de rupture ne sont pas mis en évidence et tout semble sur le même plan. Il faut dire que la musique de Philip Glass, assemblage de plusieurs œuvres dans la veine minimaliste, est souvent bien trop statique et n’aide pas à la lisibilité de l’action. Pour un ballet d’une heure et demie environ, présenté sans entracte, c’est un défaut majeur, la public n'étant pas forcément familier de l'oeuvre originale, malgré nombre d'avatars récents. Heureusement, il reste plusieurs caractères forts que Mauricio Wainrot a su habilement dépeindre et approfondir.

La première moitié du ballet décrit logiquement les événements qui précèdent l’exil de Prospéro, événements racontés dans la pièce. Dans un décor sombre, évoquant des souffleries d’usine sur l'immense plateau de la Halle aux grains, on voit le duc de Milan plongé dans ses lectures, avide de science et d'art. Ce personnage au tempérament contemplatif,  paraît davantage attaché à l'intimité de sa vie familiale qu’à l’administration de son duché, qu’il délègue volontiers à son frère. Situation trop paradoxale pour ne pas aboutir à sa déposition. Quelques projections vidéo suggèrent les douze années qui s’écoulent, mais non pas un changement de lieu, comme si la deuxième partie se déroulait dans l’univers mental de Prospéro, plutôt que sur un îlot méditerranéen. Avec l’aide d’Ariel, l’esprit des airs, il s’oppose tout d’abord à la sorcière Sycorax en la dépossédant elle aussi de son domaine, puis à son fils, le monstrueux Caliban qu’il est le seul à savoir domestiquer, pour devenir le maître absolu de son nouveau royaume.


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La Tempête (chor. Mauricio Wainrot)

On ne voit pas qui d’autre que Valerio Mangianti aurait pu rendre justice à ce personnage fascinant. Silhouette élégante dans un long manteau cintré, de long bras prolongés par de grandes mains bien dessinées et toujours expressives, il est presque constamment en scène et l’œuvre repose en très grande partie sur son autorité naturelle et sa présence envoûtante. Le difforme Caliban est excellemment interprété par Kazbek Akhmedyarov. Serpentin à souhait, il compose un monstre plein d'animale sensualité. Il sera un moment arraché à sa nature sauvage et violente par la jeune Miranda, la vive et brillante Maria Gutierrez. Le duo d'amour de celle-ci avec le Ferdinand de Demian Vargas fournit un un épisode de danse presque classique.

Le chorégraphe a choisi de démultiplier le rôle essentiel d’Ariel en le confiant à une danseuse et trois danseurs. L’idée s’avère judicieuse pour ce personnage imprévisible, émanation peut-être des lectures et du savoir prodigieux de Prospéro. Juliette Thélin fait preuve d'un beau lyrisme poétique, dans une danse souvent acrobatique, mais qui sonne toujours juste, tandis que Davit Galstyan, Takafumi Watanabe et Hugo Mbeng rivalisent de sauts spectaculaires.

La sorcière de Pascale Saurel (personnage seulement évoqué chez Shakespeare), malgré de grandes qualités, manque par trop de noirceur pour faire face de manière crédible à Prospéro. Les deux bouffons Trinculo et Stephano sont interprétés dans l’esprit burlesque par Jérémy Leydier et Guillaume Ferran, mais leurs interventions peinent à s'imposer à cause des défauts de dramaturgie déjà mentionnés. Parmi les nombreux autres rôles il faut citer les belles apparitions de Ina Lesnakovski, mère de Miranda. On ne peut pas non plus ne pas remarquer la silhouette inquiétante de Vladimir Bannikov en roi de Milan. Son allure de dictateur froid et sans émotion fait grande impression.

L'entreprise était ambitieuse, la réussite totale n'est pas au rendez-vous malgré des éléments remarquables. Mais Mauricio Wainrot est venu à bout de bien d'autres défis encore plus élevés. On attendra avec intérêt ses prochaines venues en France.




Jean-Marc Jacquin © 2012, Dansomanie

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La Tempête
Musique : Philip Glass
Chorégraphie : Mauricio Wainrot
Décors, costumes et installation vidéo : Carlos Gallardo
Lumières : Patrick Méeüs

Prospéro – Valerio Mangianti
Miranda – Maria Gutierrez
Susanna – Ina Lesnakowski
Caliban – Kazbek Akhmedyarov
Alonso – Vladimir Bannikov
FerdinandDemian Vargas
AntonioDmitri Leshchinskiy
L'Epouse d'AntonioPaola Pagano
Ariel – Juliette Thélin, Davit Galstyan, Hugo Mbeng, Takafumi Watanabe
Sycocax – Pascale Saurel
TrinculoJérémy Leydier
StéphanoGuillaume Ferran

Ballet du  Capitole de Toulouse
Musique enregistrée

Vendredi 11 mai  2012,  Halle aux grains, Toulouse


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