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Het Nationale Ballet (Amsterdam)
25 & 27 avril 2012 : Giselle au Het Nationale Ballet
Igone de Jongh (Giselle) - Casey Herd (Albrecht)
La Hollande, ce n'est pas, à coup sûr, au ballet
qu'on l'associe spontanément. Pourtant, avec des compagnies aujourd'hui
aussi renommées que le Nederlands Dans Theater, à La Haye, ou le Het
Nationale Ballet, à Amsterdam, elle peut s'avérer une alternative
intéressante à notre perfide Albion préférée, paradis bien connu des
amateurs de danse. On ne présente plus le NDT, la plus belle des
compagnies contemporaines du monde (d'ailleurs jugée digne des désormais
incontournables retransmissions en direct dans les salles de cinéma, ce
sera à partir du 31 mai 2012 via le réseau Pathé Live)
et pour ce qui est du HNB, s'il n'a pas la notoriété internationale du
Royal Ballet, ni son style bien trempé, on peut le considérer
actuellement comme la troupe classique «qui monte» en Europe – bien
au-delà de l'image séduisante diffusée depuis deux ans environ par un
service de communication efficace. Bref, à seulement quelques encablures
de train de Paris - le tunnel sous la Manche en moins -, la Hollande
est une sérieuse piste à explorer pour le balletomane voyageur.
Le Het Nationale Ballet fête donc cette année son
cinquantième anniversaire. Sa saison est attractive, alternant les
programmes mixtes néo-classiques, qui semblent en partie en faire le
sel, avec quelques bons vieux classiques des familles - de ceux que se
pique de danser toute compagnie de ballet digne de ce nom. En cette fin
d'avril, c'est Giselle qui est à
l'affiche, dans une nouvelle version montée en 2009 par Rachel Beaujean
(maître de ballet au Het Nationale Ballet) et Ricardo Bustamante
(maître de ballet au San Francisco Ballet) et filmée dès sa création.
Pas révolutionnaire pour deux sous, elle témoigne d'une volonté
manifeste du directeur de la troupe, Ted Brandsen, de proposer au public
des productions classiques à la scénographie élégante, à la fois
traditionnelles et dépoussiérées, comme ce fut également le cas en 2010
avec le Don Quichotte flambant neuf chorégraphié pour la troupe par Alexeï Ratmansky, à son tour enregistré en DVD.
Igone de Jongh (Giselle)
Cette Giselle
sait jouer en terrain familier tout en ménageant quelques menues
surprises chorégraphiques, notamment à l'acte I. Le pas de deux des
paysans, par exemple, est remplacé ici par un pas de quatre, comportant
deux variations inédites, très joliment chorégraphiées, bien que
musicalement un peu incongrues (de quel(s) ballet(s) sont tirées ces
interpolations musicales, notamment celle à la flûte? c'est ce à quoi le
programme ne répond malheureusement pas...). Une petite danse, menée
par quatre vendangeurs aux jambes nues et en culottes de peau, mi-Faunes
mi-Bavarois, se révèle en revanche plus discutable sur le plan
stylistique, tant elle paraît anachronique dans le cadre d'un ballet
romantique. Hilarion voit de son côté son rôle étoffé au point qu'il
n'en finit plus de mourir. Quant à Albrecht, il écope, à l'acte I, d'une
vraie bonne variation virtuose, placée juste avant celle, classique, de
Giselle. Mais plus que la volonté de redonner matière à danser aux
garçons dans un ballet si essentiellement féminin, la grande réussite de
cette version réside dans la lisibilité extraordinaire de la pantomime,
d'une clarté absolue au premier acte, toujours élaborée, jamais
sacrifiée au profit de je ne sais quelle démonstration technique. Les
maîtres de ballet semblent aussi avoir mis l'accent sur les qualités
théâtrales, sans crainte d'un jeu peut-être parfois par trop
naturaliste.
Les décors, plongés dans une lumière plus
hivernale qu'automnale à l'acte I, sont légèrement trop stylisés à mon
goût, mais l'on s'en accommode, d'autant qu'ils sont rehaussés par des
costumes charmants et sans excès de chichis. A l'acte II, l'apparition
des Wilis sur un épais tapis de fumées, la silhouette entièrement
recouverte d'un linceul immaculé, est d'un effet sublime, à l'instar de
certains ensembles « blancs » particulièrement bien réglés, tels
l'avancée en ligne et en rang serré des fiancées défuntes lors de la
mort d'Hilarion – scène particulièrement démonstrative, mais assez
jouissive au final.
Sur cette série de représentations, toujours en cours, le
Het Nationale Ballet peut se flatter d'aligner pas moins de six Giselle
différentes, parmi lesquelles ne figure d'ailleurs pas – et pour cause
(bien légitime) - Jurgita Dronina, magnifique image « officielle » du
ballet de Perrot-Coralli disséminée à travers les rues d'Amsterdam.
Casey Herd (Albrecht) - Igone de Jongh (Giselle)
La première distribution vue (en réalité la deuxième de cette série de Giselle)
réunissait Igone de Jongh et Casey Herd. Igone de Jongh, l'une des
rares artistes – encore plus si l'on parle des solistes - néerlandaises
de la compagnie, est un choix a priori un peu surprenant pour incarner
le rôle-titre. Grande, distinguée, très féminine, c'est elle qui
interprète, avec une superbe autorité d'ailleurs, le rôle de Myrtha sur
l'enregistrement paru en 2009, qu'elle peine à faire oublier quand on
voit la manière dont sa Giselle attaque les sauts. L'héroïne qu'elle
interprète ne ressemble donc pas vraiment à la paysanne humble et naïve
du conte, prête à se laisser embobiner par le premier prince venu. Au
fond, malgré son jupon court, elle pourrait presque passer dans
l'histoire pour l'égale de la belle Bathilde. Si son travail dramatique
s'avère remarquable, notamment dans la scène de la folie, on est loin du
naturel rêvé pour le rôle. On se dit surtout qu'à cette Giselle
majestueuse et pleine d'assurance amoureuse, à la fragilité un brin
forcée, il faudrait un prince qui lui (et nous) en impose absolument sur
le plan des manières, ce qui n'est pas tout à fait le cas de Casey
Herd, dont la fougue un peu brutale et la danse tout en puissance
évoqueraient presque plus un Hilarion qu'un Albrecht. Dans l'acte II,
plus abstrait, Igone de Jongh réussit toutefois à dessiner avec son
partenaire une figure aérienne et poétique, grâce notamment à un très
beau travail des bras et à une danse magnifiquement ciselée.
Jozef Varga (Albrecht) - Anna Tsygankova (Giselle)
D'une tout autre force émotionnelle, avouons-le,
était la seconde représentation, réunissant Anna Tsygankova et Jozef
Varga – première distribution de la série, celle également du DVD de
2009. Le couple est éprouvé et le duo, très fusionnel et attentif,
raconte une véritable histoire d'amour et de mort. Anna Tsygankova n'a
sans doute rien aujourd'hui d'une Giselle de quinze ans, mais elle
possède ce naturel et cette simplicité uniques, si rares, qui font toute
l'essence du rôle. Techniquement et stylistiquement, elle paraît née
pour danser Giselle : des pointes d'acier, des équilibres d'une grande
sûreté, un aplomb parfait, une danse à la fois moelleuse et terrienne,
et en même temps, un ballon, une légèreté, un lyrisme aérien qui
éblouissent sans jamais tourner ni à la démonstration d'école ni au
maniérisme dans le second acte. Dramatiquement, elle est exceptionnelle,
glissant naturellement de l'humanité du premier acte à l'onirisme du
second. Sa Giselle n'a rien d'une mièvre héroïne de conte - une gentille
péronnelle trompée par un méchant prince -, elle est démesurée, dans la
joie comme dans le désespoir. Jozef Varga est certes un peu en-deçà de
sa partenaire sur le plan technique, mais il possède, en plus d'une
noble présence, un mystère, une ambivalence qui rendent son personnage
intéressant, moins monochrome en tout cas que celui campé par Casey
Herd.
Anna Tsygankova (Giselle)
Du côté des autres personnages, la troupe affiche
des interprètes très convaincants sur les rôles d'Hilarion et de
Myrtha. Face à Igone de Jongh et Casey Herd, James Stout est un Hilarion
juvénile et simple dans sa colère comme dans son désir de vengeance,
qui se montre extrêmement investi dans sa pantomime et dans sa danse.
C'est toutefois Sasha Mukhamedov qui s'impose dans le rôle de Myrtha
comme la véritable révélation de cette représentation : des piétinés
d'une incroyable rapidité, des sauts amples, un sens de l'attaque
impressionnant, elle dévore véritablement la scène, sans forcément de
précaution stylistique - il semble là qu'elle ait de qui tenir. Ses deux
acolytes, Maiko Tsutsumi (Zulme) et plus encore Emanouela Merdjanova
(Moyna), sont excellentes, à la tête d'un corps de ballet féminin vif et
dans l'ensemble impeccable dans les alignements. Point positif : il ne
paraît rien, ou pas grand-chose, du manque d'unité stylistique
constitutif de ce type de compagnie, que l'on remarque d'autant plus
lorsqu'on est habitués aux compagnies russes ou parisienne. Le seul
ennui de cette distribution vient en fait de l'association des
caractères principaux, pas suffisamment distincts, notamment ceux de
Myrtha et de Giselle. La seconde représentation, idéale à tous égards,
offre des interprètes au moins aussi satisfaisants, avec Alexander
Zhembrovsky, Hilarion passionné, qui rappelle parfois le génial Yuri
Smekalov du Mariinsky, et Vera Tsyganova, impeccable (et implacable)
Myrtha, qui n'a pas grand-chose à envier du côté des sauts à Sasha
Mukhamedov.
Sasha Mukhamedov (Myrtha)
Le pas de quatre, meilleur le second soir – l'on y
remarque notamment l'excellent Remi Wörtmeyer - laisse voir en revanche
plus d'hétérogénéité technique et stylistique. Les variations sont
prises un peu trop en force, au détriment parfois de la propreté et du
raffinement de la danse. Sur l'ensemble des deux spectacles, disons que
ces messieurs paraissent un peu moins affûtés techniquement que ces
dames, mais de façon générale, la troupe séduit par sa jeunesse partagée
et son dynamisme très théâtral.
B. Jarrasse © 2012, Dansomanie
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Igone de Jongh (Giselle)
Giselle
Musique : Adolphe Adam
Chorégraphie : Rachel Beaujean et Ricardo Bustamante
d'après Jules Perrot, Jean Coralli et Marius Petipa
Décors et costumes : Toer van Schayk
Lumières : James F. Ingalls
Giselle – Igone de Jongh (25/04) - Anna Tsygankova (27/04)
Albrecht – Casey Herd (25/04) - Jozef Varga (27/04)
Hilarion – James Stout (25/04) - Alexander Zhembrovsky (27/04)
Myrtha – Sasha Mukhamedov (25/04) - Vera Tsyganova (27/04)
Wilfried – Anatole Babenko (25/04) - Dario Mealli (27/04)
La Mère (Berthe) – Amanda Beck (25/04) - Jeanette Vondersaar (27/04)
Bathilde – Amanda McGuigan
Le Duc de Courlande – Raimondo Fornoni (25/04) - Boris de Leew (27/04)
Moyna (1ère Wili soliste) – Emanouela Merdjanova (25/04) - Laura O'Malley (27/04)
Zulme (2ème Wili soliste) – Maiko Tsutsumi (25/04) - Megan Zimny Gray (27/04)
Pas de quatre – Susanna Kaic, Laura O'Malley, Serguéï Endinian, Koen Avenith (25/04)
Nadia Yanowsky, Emanouela Merdjanova, Mathieu Gremillet, Remi Wörtmeyer (27/04)
Het Nationale Ballet
Holland Symfonia, dir. Ermanno Florio
Mercredi 25 avril et vendredi 27 avril 2012, Het Muziektheater Amsterdam
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