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Théâtre National de Chaillot (Paris)
24 novembre 2011 : Artifact (William Forsythe), par le Ballet Royal de Flandre
Artifact, chor. W. Forsythe
Chaillot
se met cet automne aux couleurs de Forsythe pour une
rétrospective en trois volets et deux compagnies. Histoire de
découvrir l'évolution actuelle, parfois très
déroutante, du chorégraphe, l'affiche propose au public,
successivement, deux «classiques» du maître,
attachés aux glorieuses années 80, Artifact et Impressing the Czar, interprétés par le Ballet Royal de Flandre, et son oeuvre la plus récente, Sider, forcément bien différente, servie par la Forsythe Company.
Bien avant le mythique In The Middle, il y eut Artifact,
oeuvre fondatrice créée en 1984 pour le Ballet de Francfort. Le Ballet
Royal de Flandre, basé à Anvers et dirigé par Kathryn Bennetts,
elle-même ancienne assistante de Forsythe à Stuttgart et à Francfort,
est l'une des rares compagnies à posséder les droits sur ce ballet, dont
on connaît bien à Paris la «réduction», intitulée Artifact Suite, reprise avec succès ces dernières saisons. Sur le modèle formel du grand ballet classique, Artifact
se décline en deux actes et quatre tableaux, soigneusement découpés. Au
fil du spectacle, on rencontre ainsi deux personnages de théâtre
récurrents, un homme et une femme d'un âge certain, créatures étranges
et anachroniques intégrées à l'ensemble de l'oeuvre, une simili danseuse
étoile toute blanche, comme descendue des cieux, deux couples de
solistes virtuoses, et puis, pour les encadrer, un corps de ballet à
l'unisson, presque militaire, impressionnant de savoir et de discipline -
jusqu'à la caricature. Mais comme toujours chez Forsythe, l'histoire de
la danse n'est là, omniprésente, obsessionnelle, que pour être mieux
déconstruite.
Artifact, chor. W. Forsythe
Le premier tableau rompt d'abord avec certaines attentes. Plutôt qu'un
ballet, c'est une pièce de théâtre, en forme de fantaisie burlesque, que
le chorégraphe semble nous imposer. Une femme, en perruque poudrée et
robe XVIIIe, et un homme à l'apparence très banale, mégaphone à la main,
s'agitent, parcourent la scène, lancent quelques slogans lancinants.
Une bouillie de mots dont on retient des «Step inside!», «Step
outside!» (en-dedans / en dehors), ou le désormais trop fameux :
«Welcome to what you think you see!» (bienvenue à ce que vous croyez
voir). Une trappe s'ouvre, une danseuse à l'allure fantomatique
apparaît, sans que l'on comprenne véritablement son rôle. Le second
tableau signe le retour à la danse pure - et au familier : la Chaconne
en ré mineur de Bach, interprétée par Nathan Milstein, les académiques
jaune moutarde et noirs, la scène plongée dans une obscurité d'encre,
les projecteurs aveuglants dans les coulisses, les alignements
inquiétants du corps de ballet, les pas de deux, entre abstraction
lyrique et démonstration de force, le rideau qui tombe et se relève
brutalement, avec un bruit de couperet, toute cette ambiance de fin des
temps... En gros, on reconnaît là, sous une forme fragmentaire et
discontinue, le premier acte d'Artifact Suite,
même si Forsythe ne l'a pas vraiment repris tel quel dans sa version de
2004. La seconde partie en remet d'emblée une louche dans la mise en
abyme et le théâtre dans le théâtre, montrant des danseurs en tenue
d'échauffement, improvisant de manière confuse aux côtés du vieux au
mégaphone et de la Pompadour au bord de la crise de nerfs. Mais dès lors
que s'impose la musique litanique d'Eva Crossman-Hecht, interprétée au
piano par Margot Kazimirska, l'ordre chorégraphique règne à nouveau,
implacable. Advient alors le moment de la liturgie forsythienne,
cérémonial en vert et noir, sorte de messe pour le temps présent,
emblématisé par la mécanique inexorable des corps en mouvement, happés
par la vitesse, pris dans un mimétisme collectif qui séduit, saisit,
sans pour autant cesser d'interroger.
Artifact, chor. W. Forsythe
Disons-le franchement, si Artifact
se regarde avec un plaisir constant, on est loin de retrouver là le
saisissement - la stupeur - éprouvé lorsqu'on avait découvert – puis
revu - à l'Opéra de Paris Artifact Suite.
Ici, plus que les individualités (deux couples de solistes sans doute
distribués en contrepoint l'un de l'autre, notamment pour les deux
filles, Aki Saito et Altea Nunez), c'est la puissance du collectif, dont
on perçoit au passage l'intimité profonde avec le style du chorégraphe,
qui séduit l'oeil. Le scepticisme - relatif - tient pourtant beaucoup
moins à la troupe qu'à l'oeuvre elle-même confrontée à son avatar plus
récent. Débarrassée des effets clinquants et des bavardages par trop
démonstratifs qui caractérisent le premier épisode, la Suite de 2004 – une sorte de Vingt ans après
- fait plus que jamais figure aujourd'hui de version ultime : une
version ramenée à l'essentiel, et dont la force de frappe – au sens
littéral - réside aussi dans la concision. A côté, Artifact
apparaît rétrospectivement comme une curiosité grandiose, témoignant de
quelques obsessions d'une époque et du goût précoce du chorégraphe pour
une théâtralité ostentatoire, presque baroque, ainsi que pour une forme
d'expérimentation aimant à mêler les arts de la scène.
B. Jarrasse © 2011, Dansomanie
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Artifact, chor. W. Forsythe
Artifact
Musique : Eva Crossman-Hecht, Jean-Sébastien Bach
Chorégraphie : William Forsythe
Scénographie, lumières et costumes : William Forsythe
Son : Bernard Klein
Avec : Kate Strong, Eva Dewaele, Nicholas Champion
Altea Nuñez, Aiki Saito, Evguéni Kolesnik, Wim Vanlessen
Ashley Wright, David Jonathan
Piano solo : Margot Kazimirska
Violon solo : Nathan Milstein (musique enregistrée)
Jeudi 24 novembre 2011, Théâtre National de Chaillot, Paris
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