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critiques et comptes rendus
Wiener Staatsballett

03 novembre 2011 : Marie-Antoinette (Patrick de Bana), à l'Opéra royal de Versailles


marie antoinette
Olga Esina (Marie-Antoinette)


De Marie-Antoinette on avait eu un avant-goût en France en 2009, à l'occasion d'un gala du groupe 3e étage donné au Théâtre de Poissy. En contrepoint des traditionnels pas de deux du répertoire et des créations burlesques de Samuel Murez, on avait alors pu voir Agnès Letestu et Patrick de Bana – à la fois danseur et chorégraphe - réunis dans une pièce d'une quinzaine de minutes, point de départ imaginaire du ballet créé l'an dernier pour la troupe de l'Opéra de Vienne, désormais dirigée par Manuel Legris.

Il faut bien l'avouer, c'est le cadre choisi qui fait en grande partie le charme de cette affiche inédite – à laquelle le Parisien plus ou moins endimanché n'aura eu accès, pour cette première, qu'au terme d'une longue et (très) pluvieuse expédition. Mais l'Opéra royal de Versailles, sous ses ors patinés et ses miroirs baroques, est en soi déjà un spectacle – un lieu rêvé pour servir d'écrin à un ballet sur Marie-Antoinette, interprété, comme une coïncidence symbolique, par une compagnie autrichienne. Ambiance feutrée, éclairage tamisé, public mêlant sages familles du coin et discrets VIP de la danse, on se dit finalement que Versailles vaut bien une averse.

Justement, le ballet de Patrick de Bana est idéalement conçu pour satisfaire le «grand public», un public non seulement avide de jolies choses, mais aussi «bien de son temps», tout prêt à se laisser tenter – excitation suprême sans grande conséquence - par un soupçon de modernité. La structure du ballet, très classique et linéaire, suit ainsi Marie-Antoinette dans un périple qui la conduit de la cour de Vienne à celle de Versailles, du mariage aux tentations, représentées par Axel de Fersen et Madame Elisabeth, et, parallèlement, de la gloire royale à la prison et à la mort. Le premier acte alterne, de manière somme toute assez mécanique, des tableaux proprement narratifs (parmi lesquels l'inévitable scène de bal masqué), illustrés par un choix de musiques baroques (enregistrées), et des scènes de nature plus psychologique, mettant en scène le Destin et l'Ombre de Marie-Antoinette, accompagnées par une partition de commande, plus contemporaine, signée Luis Miguel Cobo. L'acte II, en revanche, est plus intimiste et dépouillé, plus percutant peut-être aussi dans sa narration chorégraphique, resserrée autour de quelques personnages-clé et fort heureusement discrète sur la figuration de la mort. Bien que le ballet se veuille narratif dans sa composition, ce n'est pourtant pas tant la grande Histoire, avec ses remous politiques et sa charge pittoresque, qui intéresse le chorégraphe que la personne de Marie-Antoinette – la femme, livrée à ses états d'âme et à ses passions et en qui peuvent se retrouver sans doute toutes les femmes, plutôt que la mythique souveraine. De ce point de vue, cette Marie-Antoinette serait un peu la réponse chorégraphique au film, désormais culte - pour le meilleur et pour le pire - de Sofia Coppola. L'héroïne, campée par Olga Esina, rappelle d'ailleurs parfois étrangement, sous sa blondeur éclatante et ses allures d'aristocrate mutine et moderne, l'actrice Kirsten Dunst.

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Olga Esina (Marie-Antoinette) et Roman Lazik (Louis XVI)

Les décors, sans intérêt particulier, se contentent de suggérer, avec des moyens sans doute par trop limités - à coup de jeux de lumières, de miroirs et de chaises - l'enfermement progressif de la reine. La couleur locale XVIIIe, revisitée par le regard contemporain, est toutefois préservée au travers des costumes d'Agnès Letestu, légers, soyeux et vaporeux, mais aussi un brin chichiteux, notamment pour quelques-uns de ces messieurs, affublés de petits shorts et de longues vestes transparentes hélas pas toujours du meilleur goût. Dans l'ensemble, tout cela est joli, raffiné, libertin et décalé comme il faut, et fonctionne en accord parfait avec l'écriture chorégraphique très lisse de Patrick de Bana - quelque part entre Kylian et Preljocaj? - laquelle ne sort jamais vraiment du déjà-vu, celui d'un néo-classicisme esthétisant, chaussé de demi-pointes, émaillé de quelques sauts, dans l'ensemble très ancré dans le sol et le demi-plié. On n'y verrait guère d'inconvénient si la formulation n'en était pas aussi littérale et redondante - au point de susciter rapidement l'ennui. La musique suit, comme le reste, ce chemin plaisant mais très convenu, entre Indes Galantes et Quatre Saisons.

Passé l'attrait touristique du cadre royal, c'est le Ballet de Vienne qui se révèle la véritable récompense de ce voyage au long cours. La troupe a bonne presse depuis quelque temps, ses solistes font de plus en parler d'eux sur la scène internationale (Olga Esina, invitée ici ou là à danser en "guest", Denys Cherevichko et Maria Yakovleva nominés aux Benois de la danse...), mais il fallait sans doute la voir collectivement à l'oeuvre pour en juger, fût-ce dans une pièce mineure de son répertoire (donnée du reste à la Volksoper et non à la Staatsoper). Ce sont donc les danseurs que l'on admire sans réserve ici, des danseurs qui, solistes ou corps de ballet, savent nous préserver de l'ennui qui guette parfois. Olga Esina, magnifique danseuse aux lignes et à l'éducation parfaites, maintient constamment l'intérêt par sa personnalité rayonnante et son jeu toujours affûté. Roman Lazik est un excellent contrepoint à cette vision à la fois moderne et classique de la femme, une autorité sans éclat à l'image du roi faible et pathétique qu'il incarne. Ketevan Papava, d'une féminité toute terrienne dans le rôle de Madame Elisabeth, complète quant à elle idéalement le trio de tête. On n'oubliera pas de mentionner le formidable duo de l'Ombre et du Destin interprété par Alice Firenze et Kirill Kourlaev, danseur puissant et virtuose, très justement ovationné par le public, qui rappelle les meilleurs interprètes des ballets de Boris Eifman.

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Roman Lazik (Louis XVI) et Olga Esina (Marie-Antoinette)


Manuel Legris avait de quoi être ému et fier dans son discret salut final au public. La troupe de Vienne qu'il a contribué à médiatiser depuis un peu plus d'un an est enthousiaste, superbe à tous points de vue, et ses solistes se montrent, sans exception, d'une grande force scénique. On les attend à présent dans du plus solide!




B. Jarrasse © 2011, Dansomanie

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Marie-Antoinette
Chorégraphie : Patrick de Bana

Musique : Georg Philipp Telemann, Antonio Vivaldi,
Le Chevalier de Saint-Georges, Wolfgang Amadeus Mozart
Johann Christian Bach, Jean-Philippe Rameau, Jean-Fery Rebel
Luis Miguel Cobo
Décor : Marcelo Pacheco, Alberto Esteban
Costumes : Agnès Letestu
Lumières : James Angot

Marie-Antoinette – Olga Esina
Louis XVI  Roman Lazik
Madame Elisabeth – Ketevan Papava
Le Destin –  Kirill Kourlaev
L'Ombre de Marie-Antoinette – Elisabeth Golibina
Marie-Thérèse – Dagmar Kronberger
Mercy – Fabrizio Coppo
Louis XV  – Christoph Wenzel

Wiener Staatsballett
Musique enregistrée

Jeudi 03 novembre 2011, Opéra royal, Versailles


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