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Ballet du Capitole de Toulouse
26 octobre 2011 : La Reine morte, création de Kader Belarbi
Maria Gutierrez (Dona Ines de Castro) et Kazbek Akhmedyarov (Don Pedro)
Délaissé
en France dans la deuxième moitié du vingtième
siècle, méprisé par les chorégraphes
vivants, le long ballet narratif avait fini par être rangé
au rayon des antiquités. Il est revenu en force en ce
début de vingt et unième siècle et on voit ces
dernières années se multiplier les commandes et les
créations d’œuvres chorégraphiques occupant
une soirée entière. Beaucoup sont prêts à
relever le défi. Tous, bien sûr, n’y
réussissent pas. Les conditions du succès sont en effet
difficiles à réunir.
Il faut d’abord un bon sujet, tiré de la
littérature ou de l’histoire, assez universellement
reconnu pour avoir été élevé au rang de
mythe. Comme la tragédie grecque représentait de vieille
légendes, comme la tragédie classique s’appuyait le
plus souvent sur l’histoire antique, la danse a besoin de ces
sujets forts. Car contrairement à ce qu’on peut croire,
elle ne s’accommode guère longtemps de l’anecdotique.
Paola Pagano (l’Infante)
L’histoire semi-légendaire d’Inès de Castro,
couronnée reine plusieurs années après son
assassinat et saluée solennellement d'un baise-main par tous les
grands du royaume, a beaucoup frappé les esprits. Elle est
encore très vivace au Portugal et suscite toujours maintes
créations artistiques. C’est cette histoire d’amour
et de mort qui a fasciné Kader Belarbi. La célèbre
pièce de Montherlant n’est pas son unique source
d’inspiration. On retrouve certes la caractérisation des
principaux personnages (il faut mettre à part celui de
l’Infante de Navarre, si lumineux dans la pièce, si
brusquement croqué puis évacué dans le ballet). Le
déroulement du drame est également plus proche de la
pièce que de la réalité historique. Mais Kader
Belarbi s’est nourri à d’autres influences,
notamment les auteurs portugais.
Maria Gutierrez (Dona Ines de Castro) et Kazbek Akhmedyarov (Don Pedro)
Si sa précédente création pour le Ballet du Capitole, Liens de table,
s’inspirait de façon assumée de Mats Ek, Kader
Belarbi n’a pas oublié qu’il est tout d’abord
un danseur classique et c’est un grand ballet classique
qu’il a voulu monter. Le langage chorégraphique est
essentiellement basé sur la technique académique. La
musique est du compositeur du Lac des cygnes.
Concession ultime, il a même glissé un acte blanc, dans
lequel Don Pedro a la vision de sa bien-aimée, entourée
d’un cortège de jeunes mariées défuntes en
habits de noces. D’autres citations sont visibles, comme par
exemple une apparition du mouchoir de Desdémone au cours du bal,
alors que le ministre du roi se transforme en Iago, distillant des
conseils maléfiques. On se souvient que la dernière
apparition de Kader Belarbi sur scène à Toulouse
était dans la Pavane du Maure.
Toutes les scènes d’ensembles (le bal, le conseil, la
vision) paraissent les points faibles de l’œuvre et
rappellent que la troupe de Toulouse est surtout composée
d’individualités. Et ces individualités sont plus
ou moins bien mises en valeur. Passons rapidement sur la composition de
Paola Pagano en Infante. Figée dans une robe empesée
à l’extrême, elle n’a qu’un solo de
fureur à danser, au moment de l’affront public
qu’on lui fait. C’est bien mais insuffisant pour
s’intéresser au personnage, et trop peu pour cette
danseuse lyrique.
Valerio Mangianti (Le roi Ferrante)
Valeur sûre de la compagnie, Maria Gutierrez est une Inès
de Castro tendre, douce, rêveuse, séduisant le roi par sa
sincérité. Elle danse large et sans aucune baisse de
tension. Retenons surtout Valerio Mangianti dans le rôle du vieux
roi Ferrante. Usé par le pouvoir, semblant presque grabataire et
proche de tomber en poussière au début, son grand solo
à la fois méditatif et torturé après le bal
est le premier grand moment du ballet et fait entrer
l’œuvre dans une autre dimension. Il se rapproche au
deuxième acte du personnage velléitaire de Montherlant,
atteint par la paresse de la vie. Ce danseur compose toujours ses
personnages avec une intelligence rare et ce doit être un bonheur
pour n’importe quel chorégraphe ou
répétiteur de travailler avec lui.
Que dire de Kazbek Akhmedyarov en Don Pedro, sinon qu’il
s’agit d’une erreur de distribution? Semblant compter les
pas au premier acte, malgré un potentiel technique
évident, il est complètement étranger au
personnage fougueux et révolté qu’il incarne. Il
n’est que de comparer le duo Inès/Ferrante qui suit
immédiatement le pas de deux Inès/Pedro pour comprendre
la différence entre l’intensité dramatique et un
fade divertissement. Le deuxième acte le voit heureusement
s’épanouir pour être un excellent partenaire
de Maria Gutierrez dans la scène du rêve. Le
divertissement des bouffons est un petit ballet dans le ballet,
succulent et plaisamment interprété, même
s’il paraît en décalage total. On regrettera ces
fins d’actes (arrestation de Pedro au premier, mort du roi et
couronnement d’Inès au deuxième) à la
tension dramatique tellement poussée qu’elle en devient
extérieure.

Valerio Mangianti (Le roi Ferrante) - Kazbek Akhmedyarov (Don Pedro)
Maria Gutierrez (Dona Ines de Castro)
Les décors de Bruno de Lavenère et les costumes
d’Olivier Bériot sont une complète réussite,
mélangeant des références mauresques et des
touches intemporelles avec beaucoup de justesse poétique. On ne
peut que garder en mémoire ces immenses chaises hautes, symboles
de pouvoir, où le roi peine de plus en plus à monter pour
exercer son autorité. La musique est un assemblage de
différents extraits d’œuvres de Tchaïkovsky,
pour l’essentiel tirés de ses suites et ouvertures.
L’Orchestre national du Capitole sous la baguette de Vello
Pähn arrive tant bien que mal à unifier l’ensemble.
Selon toute probabilité, l’œuvre sera reprise
puisque Kader Belarbi prendra la direction du ballet en septembre
prochain. Quelques retouches de détails en modifieront alors
l’impression d’ensemble.
Jean-Marc Jacquin © 2011, Dansomanie
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La Reine morte
Chorégraphie : Kader Belarbi
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovsky
Décors : Bruno de Lavenère
Costumes : Olivier Bériot
Lumières : Sylvain Chevallot
Doña Inès de Castro – Maria Gutierrez
L’Infante de Navarre – Paola Pagano
Le roi Ferrante – Valerio Mangianti
Don Pedro – Kazbek Akhmedyarov
Le Conseiller du roi – Henrik Victorin
Les Bouffons – Isabelle Brusson, Maki Matsuoka, Alexander Akulov, Takafumi Watanabe
Ballet du Capitole
Orchestre du Capitole, dir. Vello Pähn
Mercredi 26 octobre 2011, Théâtre du Capitole , Toulouse
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