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critiques et comptes rendus
Ballet National de Bordeaux

23 octobre 2011 : Carmina Burana et  Chopin N° 1 au Ballet National de Bordeaux


carmina burana
Carmina Burana


Le chorégraphe argentin Mauricio Wainrot est devenu un familier des scènes toulousaine et bordelaise. Après son célèbre Messie, qui est peu ou prou devenu l’œuvre emblématique du Ballet de l’Opéra National de Bordeaux, il a confié à la compagnie dirigée par Charles Jude la création en France de Carmina Burana, dont la conception permet de rassembler à nouveau toutes les forces artistiques du Grand Théâtre, l’orchestre, le chœur et les danseurs. Ce ballet, créé en 1998, est déjà au répertoire de plusieurs compagnies de par le monde.

En toute discrétion, cette œuvre imposante est précédée d’un autre ballet du chorégraphe argentin  Chopin numero uno, ballet bien plus récent puisque créé en septembre 2010 à l’occasion du bicentenaire Chopin. S’appuyant sur le Premier concerto pour piano du compositeur franco-polonais, l’œuvre se propose d’en traduire par le geste chorégraphique le romantisme affirmé. Wainrot a délibérément choisi, pour ce faire, l’enregistrement du couple Martha Argerich - Charles Dutoit, version ébouriffante s’il en est.

chopin numero uno
Chopin Numero Uno

Sans aucun décor, les danseurs apparaissent en tenues noires, à peine éclairées par les doublures bleu-nuit des robes des danseuses. Dès
l‘exposition de l’Allegro maestoso, la chorégraphie s’avère très exigeante avec les danseurs qui doivent concilier des portés rapides et des déplacements très amples. Wainrot fait ressortir avec bonheur les thèmes musicaux masculin et féminin et témoigne d’un grand sens de l’occupation de l’espace. Les alternances entre solistes et corps de ballet sont bienvenues. L’architecture interne de ce premier mouvement n’est cependant pas toujours soutenue. Notamment le retour si spectaculaire musicalement vers la récapitulation tombe un peu à plat.

Le Larghetto central est un vaste pas de deux dans une atmosphère toujours plus nocturne. La parole est aux solistes principaux. Oksana Kucheruk, étoile du Ballet de Bordeaux, a la part belle et peut faire valoir nombre de ses qualités : jolie musicalité, présence de tous les instants et grande précision technique dans ce ballet sans pointes. A ses côtés, Igor Yebra se montre un partenaire plutôt réservé, moins félin qu’à l’accoutumée. La fin du Larghetto, avec ses harmonies suspendues, est remarquablement restituée par la danse.

chopin numero uno
Yumi Aizawa et Alvara Rodriguez Pinera dans Chopin Numero Uno

Le Rondo final, voit revenir un corps de ballet galvanisé par les rythmes de danses polonaises. Les deux autres couples de solistes reviennent aussi au premier plan. Juliane Bubl, rayonnante, l’élégant Roman Mikhalev, et surtout l’énergique féminité de Vanessa Feuillatte, avec son partenaire aux magnifiques ports de bras, Alvaro Rodriguez Pinera. Celui-ci, déjà habitué aux rôles de soliste, semble avoir acquis une nouvelle dimension. Il était d’ailleurs appelé à danser le Larghetto dans la deuxième distribution aux côtés de Yumi Aizawa. Malgré quelques redites, ce ballet est parfait pour mettre en valeur une belle compagnie de danse avec d’excellents solistes.

La cantate scénique que Carl Orff a composée à partir de poèmes médiévaux trouvés au monastère de Beuren en Bavière (d’où le titre de Carmina Burana) est devenue un tube du 20ème siècle. Plus souvent donnée dans des lieux populaires que dans des salles de concert stricto sensu, il faut dire que la démarche musicale propre à l’œuvre a fait sourire plus d’un musicologue, et d’autant plus après l’avènement des baroqueux et autres spécialistes de musique ancienne. Carl Orff ne visait pourtant à aucune recherche d’authenticité historique, mais voulait retranscrire le caractère imagé et l’immense variété de ces poèmes, essentiellement profanes. On ne peut néanmoins s’empêcher de penser que Stravinsky, dans son Sacre du printemps - bien antérieur -, nous plongeait dans un monde primitif avec d’autres moyens musicaux et une intuition artistique qui atteignait plus profondément son but.

carmina burana
Carmina Burana

Dans ce ballet créé par le Ballet Royal de Flandre, Mauricio Wainrot a choisi la version pour deux pianos et percussions, due à un élève du compositeur, et approuvée par celui-ci. Cette version allégée s’avère de manière surprenante plus intéressante que la version avec énorme orchestre. L’auditeur en est mieux disposé à écouter la simplicité du propos, et la lourdeur de l’orchestration originale ne cherche plus à camoufler la pauvreté harmonique et mélodique, qui est en réalité voulue.

Pour évoquer la roue de la destinée (Fortuna imperatrix mundi), les danseurs se disposent en ronde, habillés de vastes jupes colorées, rouges ou mauves pour les filles, dans des tons bleu-vert pour les garçons. Les épisodes suivants respectent le découpage de la musique : renouveau de la nature (Primo vere), chansons à boire et satiriques (In Taberna), chansons érotiques (Cour d’amours). Il semble bien que le chorégraphe ait voulu donner un pendant profane à l’œuvre sacrée que constitue Le Messie. Le résultat n’est que partiellement convaincant. Il y a de la vitalité, de la fraîcheur, et parfois de l’humour. On voudrait voir davantage de verdeur, voire de crudité. A moins que cette retenue ne vienne des interprètes, car certains d’entre eux tranchent au contraire par une expressivité et une exubérance tout à fait dans le ton. Yumi Aizawa, Marina Guizien ou Guillaume Debut sont remarquables. Mais on pense surtout à Vanessa Feuillatte et Alvaro Rodriguez Pinera qui éclipsent presque leurs partenaires à chacune de leurs apparitions.

carmina burana
Carmina Burana

Doté en outre d’un physique très avantageux, que les tenues minimalistes de Cour d’amours mettent particulièrement en valeur, Alvaro Rodriguez Pinera devait d’ailleurs être promu demi-soliste à l’issue de cette série de représentations. Ce n’est que justice en dépit du fait que le ballet contemporain semble son domaine de prédilection.

Si les décors de Carlos Gallardo, à base de panneaux translucides sont soit encombrants, soit insignifiants, souvent les deux en même temps, les costumes du même Gallardo, par leur variété et leur adéquation au propos arrivent à surprendre agréablement. Signalons aussi la qualité des interventions des trois jeunes solistes français, disposés comme dans Le Messie dans une loge d’avant-scène. Le bijou architectural que constitue le Grand Théâtre de Bordeaux est exigu, mais l’exigence de qualité des spectacles est toujours présente.




Jean-Marc Jacquin © 2011, Dansomanie

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Chopin Numero Uno
Musique : Frédéric Chopin (Concerto pour piano et orchestre n°1 )
Chorégraphie : Mauricio Wainrot
Costumes : Mini Zuccheri
Lumières : Eli Sirlin - François Saint-Cyr

Avec :  Oksana Kucheruk, Igor Yebra
Juliane Bubl, Roman Mikhalev
Vanessa Feuillatte,  Alvaro Rodriguez Pinera
Stéphanie Roublot, Ludovic Dussarps
Stéphanie Gravouille, Davit Gevorgyan
Mika Yoneyama, Guillaume Debut
Diane Le Floc'h, Alexandre Gontcharouk

Carmina Burana
Musique : Carl Orff, arrangée par Wilhelm Killmayer
Chorégraphie : 
Mauricio Wainrot
Décors et costumes : Carlos Gallardo
Lumières : François Saint-Cyr


Primo Vere – Juliane Bubl, Alvaro Rodriguez Pinera
Stéphanie Roublot,  Kase Craig
Stéphanie Gravouille, Take Okuda
Vanessa Feuillatte, Guillaume Debut
In Taberna – Oksana Kucheruk, Roman Mikhalev
Davit Gevorgyan, Felice Barra, Alexandre Gontcharouk
Cour d'Amours – Yumi Aizawa, Igor Yebra
Vanessa Feuillatte, Take Okuda, Alvaro Rodriguez.Pinera
Felice Barra , Marina Guizien


Sophie Desmars, soprano
Mickaël Mardayer, haute-contre
Florian Sempey, baryton
Jean-Philippe Guillo et Martine Marcuz , piano
Jean-Daniel Lecoq et Patrice Guillon , percussions

Ballet National de Bordeaux
Choeur de l’Opéra National de Bordeaux, dir.  Pieter-Jelle de Boer

Dimanche 23 octobre 2011,  Grand Théâtre de Bordeaux


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