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critiques et comptes rendus
Miami City Ballet / Etés de la danse

12 juillet 2011 : Les Quatre TempéramentsPromethean FireThème et Variations


four temperaments
Jeremy Cox dans Les Quatre tempéraments (chor. George Balanchine)


Les programmes du Miami City Ballet se suivent et se ressemblent - un peu - avec la reprise, hier soir, des Quatre Tempéraments, couplé à deux nouveautés, Promethean Fire, de Paul Taylor, et Thème et Variations - Balanchine forever. Succès renouvelé pour la troupe du MCB et le festival des Etés de la danse : un public très enthousiaste, des spectateurs déjà "habitués" qui sont présents chaque soir ou presque, et une salle honnêtement bien remplie (si tant est que le Châtelet, avec ses aberrations, puisse être plein). Personnellement, j'apprécie énormément la variété de la programmation et l'alternance des affiches. Nostalgie d'un théâtre de répertoire...

On ne se lasse pas des Quatre Tempéraments interprété de cette manière. La troupe offre là une leçon de style et de musicalité, et même l'émotion - ce quelque chose de pas très balanchinien - n'en est pas absente. Tout le monde en fait, des solistes au corps de ballet, semble avoir quelque chose d'intéressant à dire ici et semble savoir également pourquoi il le dit. Ce n'est pas une leçon bien apprise, récitée de manière satisfaisante, présentant de belles lignes et des alignements propres, mais une pièce avec laquelle les danseurs paraissent vivre dans une véritable intimité stylistique et musicale, comme le Mariinsky de son côté avec un ballet comme le Lac des Cygnes. Bien loin d'être un pensum dépourvu de chair, la pièce prend vie grâce aux différents interprètes des "tempéraments", tous en adéquation avec l'humeur qu'ils sont censés représenter. Les solistes comme le corps de ballet possèdent à la fois la technique sèche et acérée, tout en angles, et la souplesse, le moelleux, la musicalité, qui conviennent à la pièce et la rendent excitante. Les déhanchés sont à l'unisson, jamais vulgaires, dans le trop ou le pas assez, les jambes se lèvent facilement, très haut, et dans une unité parfaite, comme le montrent les différents tableaux et surtout le final, superbe, qui réunit tous les danseurs.

four temperaments
Carlos Guerra et Patricia Delgado dans Les Quatre tempéraments (chor. George Balanchine)

Kleber Rebello - stagiaire en 2010 et soliste en 2011, nous dit le programme -, est l'interprète à ne pas manquer dans "Mélancolique", peut-être la partie la plus intéressante du ballet. De près, il a vraiment l'air de sortir de l'école, mais pour le coup, sa danse, tout en gardant quelque chose de cette jeunesse chère à Balanchine, ne ressemble pas du tout à celle d'un élève sage et appliqué. Il est léger, d'une grande souplesse, possède un ballon et une petite batterie du feu de dieu, ses réceptions sont incroyablement nettes et précises, en plus d'être silencieuses... - un digne héritier d'Edward Villella en somme. Mais si les qualités proprement virtuoses, déjà déployées lors du gala d'ouverture dans Tarantella, contribuent à la réussite du solo, elles ne seraient rien s'il en usait simplement pour se contenter de briller. Or, elles sont vraiment mises au service du texte, tempérées ou équilibrées par un lyrisme des bras magnifique, un art consommé du déséquilibre et de la chute, et un sens abouti des poses, alanguies ou nerveuses, que dessine la chorégraphie. Je ne me souviens pas avoir jamais vu ce solo aussi magnifiquement interprété, et avec autant de nuances. Même si c'est lui qui sort du lot, par la maturité et la force de son incarnation, les autres solistes ne sont pas en reste, entourés par un corps de ballet parfaitement à l'unisson : Patricia Delgado et Renan Cerdeiro forment un duo véloce et harmonieux dans "Sanguin", Isanusi Garcia-Rodriguez, plus souple et délié que Yann Trividic, utilise à merveille ses talents dans "Flegmatique", peut-être la partie la plus ingrate du ballet, et Adrienne Carter a ce qu'il faut, en termes d'attaque et de précision musicale, pour convaincre, essentiellement par la puissance de son style, dans "Colérique". Bref, s'il fallait faire une sélection des ballets de cette tournée façon Guide Michelin, j'apposerais la mention "incontournable", en plus des trois étoiles réglementaires, à ces Quatre Tempéraments-là.

promethean fire
Carlos Guerra et Patricia Delgado dans Promethean Fire (chor. Paul Taylor)

Je serai moins prolixe sur Promethean Fire, de Paul Taylor, qui me laisse assez sceptique. Du point de vue de la danse pure, la pièce se regarde sans déplaisir : c'est de la modern dance à l'américaine, dont le style peut nous paraître, vu d'ici, un peu daté -, qui permet d'admirer une nouvelle fois toute la cohérence de la troupe, dans des ensembles d'une magnifique architecture. Mais le propos politique, très circonstanciel et très premier degré, qui en a motivé l'écriture et lui sert d'argument, fait qu'on ne peut pas recevoir la pièce de manière détachée, comme un pur objet esthétique. On peut évidemment ne pas savoir, ou faire comme si l'on ne savait pas qu'elle s'inspirait de la catastrophe du 11 septembre, mais les académiques noirs, les portés et la gestuelle "avion", l'accumulation d'effets visuels qui évoquent l'idée d'un cataclysme, tels ces corps qui se croisent, éperdus, ou s'entassent, forment un faisceau de signes en soi bien lourdingues... que souligne à gros traits l'orchestration pompière et pompeuse de Bach qui l'accompagne (mais je doute fort qu'un orgue apocalyptique eût été de meilleur goût...). En bref, ce "feu promothéen" est au mieux une curiosité d'Outre-Atlantique, au pire, une pièce dispensable.  

theme and variations
Thème et variations (chor. George Balanchine)

Thème et Variations est donné par le Miami City Ballet dans la production de Nicolas Benois (fils d'Alexandre Benois), qui est à peu près identique à celle du New York City Ballet, vue lors de la tournée de 2008 (le NYCB avait en fait donné Tchaïkovsky Suite n°3, dont Thème et Variations constitue le quatrième mouvement). Ce n'est pas exactement la production d'origine du ballet (Alicia Alonso en 1947!), mais une production attachée à une nouvelle version du ballet, recréé par Balanchine pour Barychnikov et Kirkland en 1970). Evidemment, d'un point de vue visuel, il vaut mieux être préparé à l'avance à recevoir le kitsch dégoulinant de sucre des décors et des costumes, en forme de pastiche gourmand de l'imaginaire impérial (peut-être plus près de susciter des ah? que des oh! chez les Parisiens...). Personnellement, j'aime bien ce genre de production historique, sans complexe, pleine de fantaisie théâtrale (d'autant que les costumes sont très, très joliment réalisés), même si j'apprécie aussi la version que danse régulièrement le Mariinsky - cycloroma bleu et tutus dans le style de Diamants pour des danseurs qui n'ont pas à prouver leurs quartiers de noblesse - d'une élégance sobre, sans doute plus en phase avec le goût actuel. Bref, on pardonnera volontiers à Jeannette Delgado la regrettable main posée à terre, impromptue et imprévisible, à la toute fin de l'adage, car pour le reste, elle s'est montrée brillante dans les pas de virtuosité comme à son habitude, le sourire rayonnant inclus, parfaitement secondée dans l'exercice par Renato Penteado qui, s'il n'a pas le charisme d'un Joaquin de Luz, est tout de même un excellent danseur. A vrai dire, je craignais un peu le côté terre-à-terre des troupes américaines dans cette pièce-hommage à la vieille Russie et aux ballets de Petipa, encore sensible dans le Ballet impérial de l'autre jour - pourtant pas sans qualités -, mais franchement, mes craintes ont été effacées bien au-delà de mes attentes. Le corps de ballet se révèle extrêmement soigné et bien éduqué, jusque dans l'adage, filles et garçons ne sont pas seulement jeunes, sympathiques et enthousiastes (ils le sont certes, mais bon, ça ne fait pas un Balanchine de cette eau...), ils ont aussi fort belle allure, tout cela saute et épaule joliment, en musique s'il vous plaît, et à vrai dire, les ensembles sont bien plus harmonieux et disciplinés que ceux que nous avait présentés le New York City Ballet il y a trois ans. En résumé, mérite le détour, vaut le voyage et peut même contenter les palais les plus exigeants (les estomacs délicats préféreront toutefois s'abstenir).




B. Jarrasse © 2011, Dansomanie

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Les Quatre tempéraments
Chorégraphie : George Balanchine
Musique : Paul Hindemith
Costumes :
Karinska
Lumières : John Hall

Premier thème – Katian Carranza, Michael Sean Breeden
Second thème – Tricia Albertson, Didier Bramaz
Troisème thème – Amanda Weingarten, Carlos Miguel Guerra
Mélancolique – Kleber Rebello
Sanguin – Patricia Delgado, Renato Penteado
Flegmatique – Isanusi Garcia-Rodriguez
Colérique – Adrienne Carter

Promethean Fire
Chorégraphie :
Paul Taylor
Musique : Jean-Sébastien Bach, orchestration Leopold Stokowski
Scénographie et costumes : Santo Loquasto

Lumières : 
Jennifer Tipton

Avec : Tricia Albertson, Yann Trividic

Thème et variations
Chorégraphie : 
George Balanchine
Musique : Philip Glass
Costumes :
Norma Kamali
Lumières : Jennifer Tipton

Avec :
Jeanette Delgado, Renato Penteado

Miami City Ballet
Francisco Rennó, piano solo
Orchestre "Prométhée", dir.  Gary Sheldon

Mardi 12 juilletl 2011, Théâtre du Châtelet, Paris


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