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Théâtre des Champs-Élysées (Paris)
27 juin 2011 : Corps et âmes, de Julien Lestel, au Théâtre des Champs-Élysées
Corps et âmes (chor. Julien Lestel)
A vrai dire, on n'avait pas gardé un souvenir impérissable du ballet Constance,
inspiré du roman de D.H. Lawrence, donné début 2010 à l'Espace Cardin
par Julien Lestel et son complice de toujours Gilles Porte, associés à
deux danseuses de la compagnie du jeune chorégraphe. Faute de grands
moyens, le ballet, illustré par une musique de Phil Glass mille fois
ressassée, diluait son inspiration romanesque dans l'esthétisme des
éclairages et le sentimentalisme de pas de deux néo-classiques
sensualo-mystiques sans véritable originalité. Au final, il en résultait
une oeuvre certainement pleine de bonne intentions, mais un brin
chichiteuse et répétitive dans son minimalisme.
Corps et âmes,
créé le 28 mai dernier au Grand Théâtre d'Aix en Provence, est d'une
tout autre dimension. Nul doute que le cadre du Théâtre des
Champs-Elysées, lieu plus propre à mettre en valeur la danse et le
spectacle que l'Espace Cardin, n'y soit pour quelque
chose, gageure pour le chorégraphe, encore peu connu, ou reconnu, hors
du petit monde des afficionados
de l'Opéra de Paris.
Corps et âmes (chor. Julien Lestel)
Que raconte Corps et Ames?
Pris sous cet angle, pas grand-chose. Julien Lestel s'éloigne ici des
rives de la narration, du reste pas véritablement exploitées dans Constance,
pour laisser place à la danse pour la danse, à l'abstraction
chorégraphique autant qu'à l'expression de l'émotion, dans une série de
tableaux, collectifs ou plus intimistes, qui s'enchaînent sans logique
immédiatement perceptible. Dans Corps et Ames, on retrouve les mêmes sources d'inspiration chorégraphique et esthétique que dans Constance,
mais servies par des moyens - et une ambition créatrice - beaucoup plus
conséquents. Il y a des moments graves, d'autres plus légers, des élans
spirituels et des passages plus sensuels, où domine une physicalité
toujours esthétisée, au risque parfois de lasser. La gestuelle, très
expressionniste, à la fois ancrée dans le sol et axée sur le travail des
bras et du haut du corps, rappelle ici ou là Pina Bausch ou Preljocaj,
d'autres aussi sans doute. La scénographie, particulièrement soignée,
repose essentiellement sur les éclairages sophistiqués de Max Haas,
allant du cyclorama bleu néo-classique au clair-obscur plus
contemporain, en passant par des tonalités de rouge qui lorgneraient
presque du côté du music-hall. Celles-ci viennent d'ailleurs illustrer
une scène de tango, ouvertement ludique et distanciée, qui semble
marquer une rupture dans la dramaturgie plutôt sombre du ballet. On y
évite les clichés du genre, c'est déjà beaucoup! Petit regret tout de
même concernant les costumes, pas prétentieux certes, mais d'une triste
banalité néo-classique - en réalité, il ne s'agit là que de magnifier
les corps en mouvement, seuls, à deux, ou bien en groupe. Pour le reste,
et c'est bien là la grande chance de ce Corps et Ames,
Julien Lestel a bénéficié d'une partition, riche et évocatrice à défaut
d'être originale, signée Karol Beffa, et expressément composée pour son
ballet. On a bien souvent l'impression dans nombre de créations
d'aujourd'hui que la musique y est purement décorative ou qu'elle n'est
là que parce qu'agréable à l'oreille du chorégraphe ou simplement dans
l'air du temps (ah! les charmants concertos de Mozart, les tangos
argentins et les gentilles musiquettes d'Arvo Pärt ou de Phil Glass qui
servent à faire avaler toutes les couleuvres chorégraphiques...), ici
toutefois, elle se trouve vraiment en plein accord avec le propos et
l'atmosphère des différents tableaux, reflétant leur éclectisme, allant
même parfois jusqu'à supplanter la danse dans l'esprit du spectateur.
Corps et âmes (chor. Julien Lestel)
Pour beaucoup sans doute, cette unique
représentation parisienne signait les retrouvailles, depuis longtemps
attendues, avec Fanny Fiat, la reine des purges de l'Opéra de Paris, son
indétrônable Miss Virtuosité, et l'une de ses plus impeccables
danseuses - indépendamment même du niveau actuel de la compagnie. La
chorégraphie de Julien Lestel sait parfaitement mettre en valeur son
élégance demeurée intacte, mise au service d'un lyrisme auquel on était
moins habitués dans sa vie précédente. Si l'on apprécie de revoir
également ces deux excellents danseurs que sont Gilles Porte et Nicolas
Noël, le meilleur du ballet réside toutefois dans ses scènes
collectives, qui dégagent à la fois une grande rigueur de construction
et une force émotionnelle indéniable dans les effets. Plus que dans les
duos, on pressent que le défi du chorégraphe se trouvait là, dans cette
capacité à élaborer des scènes belles et puissantes pour un corps de
onze danseurs.
Pour autant, et malgré le plaisir esthétique que
procurent les différentes scènes de ce ballet - un peu longuet parfois,
mais pas trop, en tout cas beaucoup moins qu'on ne le craignait -, on ne
peut se défaire de l'impression de n'assister, ni plus ni moins, qu'à
un bel exercice de style, parfaitement inoffensif, une collection de
clichés artistiques du meilleur goût et de la plus belle eau
néo-classique égrenés durant un peu plus d'une heure, d'où une voix
personnelle et sincère cherche encore à émerger. Les tableaux, peaufinés
et léchés, sont souvent visuellement réussis, exaltants même par la
passion qui les traverse à l'occasion, mais il reste à les arranger, à
construire, au sein même de l'abstraction et du parti-pris constamment
esthétisant de l'ensemble, une "histoire" qui tienne en haleine jusqu'au
dénouement - qu'on aurait aimé un peu plus tranché que celui qu'il nous
propose. Le spectacle se tient, ne dépare pas dans le cadre prestigieux
du Théâtre des Champs-Elysées (où l'on a vu aussi de sacrés navets),
mérite d'une certaine manière ses applaudissements enthousiastes, il
n'empêche, tout sent ici un peu trop souvent son premier de la classe :
les notes de programme, au style passablement formaté (philosophie de
classe terminale?) pour ne pas dire fumeux, les interprètes, beaux,
énergiques et engagés sans le moindre doute, mais parfois un peu trop
lisses pour le propos entre terre et ciel que suggère le titre, la
chorégraphie, qui peine à se dégager des meilleures influences, apprises
par coeur et débitées avec éloquence (ah! le Sacre
de Pina... comment en sortir?), la partition enfin, véritable concentré
de cinq siècles de musique classique occidentale, qui passe en revue,
non sans talent du reste, à peu près tout le monde, de Jean-Sébastien
Bach à Igor Stravinsky, sans oublier les polyphonies religieuses, le
tango d'Astor Piazzolla ou le piano romantique.
B. Jarrasse © 2011, Dansomanie
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Corps et âmes (chor. Julien Lestel)
Corps et âmes
Chorégraphie : Julien Lestel
Musique : Karol Beffa
Décors et costumes : Virginie Merlin
Lumières : Max Haas
Avec : Julien Lestel, Fanny Fiat, Gilles Porte, Nicolas Noel, Caroline Lemière
Aurora Licitra, Gennaro Siciliano, Maria-Stefania Di Renzo, Antonio Faroppa
Francesca Franzoso, Marco Vesprini
Compagnie Julien Lestel
Musique enregistrée
Lundi 27 juin 2011, 20h00, Théâtre des Champs-Élysées , Paris
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