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Palais des congrès (Paris)
31 mai 2011 : "Les étoiles pour le Japon", gala de bienfaisance au profit des sinistrés
Il y a quelques jours, Le Figaro,
toujours subtil dans l'usage de l'hyperbole, nous annonçait un gala
relevant - rien que ça - «du jamais-vu». En-dehors des circonstances
exceptionnelles qui l'ont motivé – le tsunami au Japon – et de la
rapidité avec laquelle il s'est apparemment mis en place, c'était sans
doute y aller un peu fort dans le «teasing» - pas des plus efficace au
demeurant vu le remplissage mesuré de la salle. Il est vrai cependant
que Paris ne propose que très rarement des spectacles de ce type (Paris
est «artiste», n'est-ce pas? Il ne se compromet donc pas dans le
«cirque»), a fortiori réunissant un aussi grand nombre d'interprètes
de renom et/ou de qualité, issus des meilleures compagnies de ballet.
Difficile donc pour les balletomanes purs et durs, et de toutes
obédiences, de résister à une telle affiche, même si, en soi, le Palais
des Congrès est loin d'être un lieu de rêve pour la danse et pour le
spectacle tout court - plutôt du genre sans âme et sans chaleur à vrai
dire.
Un gros retard au démarrage, une ambiance style
salle d'attente d'aéroport - et sans les sièges - avant ouverture des
portes, des éclairages qui virent à la catastrophe, un piano rouillé,
des types en régie qui commentent à voix haute, ça commençait mal,
c'est peu de le dire, pour le gala des étoiles... Ne parlons pas de la
fin, qui n'en finissait plus, et des départs anticipés de spectateurs
pour cause de train à attraper... Globalement, la première partie,
surtout illuminée par la présence, belle et inspirée, des danseurs du
Ballet de Vienne et du Béjart Ballet Lausanne, ne m'a pas paru excessivement emballante,
pour dire le moins, tandis que la deuxième, beaucoup plus intéressante
sur le plan des interprètes, pâtissait de sa longueur excessive et de
l'abus en série des pas de deux néo-classiques, jouant tous sur les
mêmes effets plastiques et répétant à l'envi les mêmes figures. Comme on
l'avait souligné à l'occasion du dernier gala des étoiles du TCE (pas
du même niveau certes), il est fort à craindre que ce style ne s'impose
désormais comme le nouveau conformisme dans les programmations, autant,
sinon plus redoutable que celui, virtuoso soviético-cubano-bravouresque,
prisé habituellement dans ce genre d'occasions. Après avoir subi une
cascade de développés et d'arabesques identiques sur pointes d'acier,
Neumeier avec sa Dame n'a certes pas de mal à apparaître comme génie absolu de la chorégraphie et du drame dansé.
Une première partie en demi-teinte donc, où il
aura quand même fallu attendre le surgissement sur scène d'Olga Esina,
sublime apparition venue de Vienne, pour se dire que le spectacle valait
vraiment le déplacement.
L'ambiance romantique de Suite de Danses,
défendue par six élèves de l'Ecole de danse de l'Opéra de Paris assez
tendus (on peut comprendre), se prête d'emblée très mal à cette salle
moderne, de même que le pas de deux de La Belle au bois dormant,
que l'on aurait pourtant tellement aimé aimer. Polunin est souverain
dans tous les sens du terme, un vrai prince, à la présence dévorante, du
panache à revendre dans les sauts, et des tours en l'air aux réceptions
d'une perfection sidérante ; Maria Kochetkova, si petite auprès de lui,
a quant à elle des épaulements gracieux et délicats et des levers de
jambe comme on n'en fait plus, mais la noblesse et la grandeur du pas de
deux, placé en ouverture de surcroît, se dissolvent complètement dans
le dénuement un brin aseptisé du Palais des Congrès.
Si Friedemann Vogel a l'air de croire pleinement à ce qu'il fait, on est en revanche beaucoup moins convaincue par ce Mopey,
la pièce de Marco Goecke qu'il interprète et qui mérite vraiment la
palme de l'insignifiance de cette soirée. Dommage que les Allemands
aient de si bons danseurs dans leurs troupes pour les nourrir ensuite de
cette pauvreté abyssale, au support musical décoratif et
interchangeable (du Bach ici, mais pourquoi?). Même pas drôle avec ça.
Au rayon des déceptions encore, le pas de deux du Cygne noir, qui est, disons-le, le petit hic
technique du spectacle, le seul en fait, indépendamment des pièces
choisies, plus ou moins pertinentes dans le contexte. Dmitri Gruzdyev a
encore, malgré l'effort physique sensible, de la puissance et une belle
école en lui, mais sa partenaire, Fernanda Oliveira, se révèle bien
défaillante du point de vue du style, tout en force et en trivialité,
alors même que sa technique est assez inégale dans les variations, avec
notamment une série de fouettés abrégée.
Avec La Chauve-souris
de Roland Petit et les danseurs du Ballet de l'Opéra de Vienne, on
passe heureusement à du plus consistant. Bien que sorti de son contexte
dramatique, l'adage, dont ne devinerait pas qu'il est signé du Johann
Strauss des célébrissimes valses viennoises, n'a même pas l'air idiot,
en dépit des craintes qu'on aurait pu avoir. Il vaut à vrai dire surtout
pour Olga Esina, dont la présence lumineuse éclipse un peu celle de son
excellent partenaire, Roman Lazik. Une silhouette exceptionnelle,
sculpturale et féminine, que met en valeur un académique clair
(redoutable à porter), une sensualité et un lyrisme qui se prêtent à
merveille au style de Roland Petit..., bref, même si elle n'est pas une
véritable découverte (elle était soliste au Mariinsky avant d'être
étoile à Vienne), elle est peut-être la révélation féminine de cette
soirée, plutôt dominée par les garçons. On retrouve la même aura solaire
chez les danseurs du Béjart Ballet, Katerina Shalkyna et Julien
Favreau, un couple poétique et fusionnel, dans la grande tradition des
interprètes de Béjart, qui porte à sa perfection le pas de deux,
justement intitulé Light.
Ni complètement enthousiasmants ni vraiment décevants, les extraits de Sinatra Suite et le pas de deux du Corsaire.
Point commun : montrer deux merveilleux danseurs, deux icônes de la
danse d'hier et d'aujourd'hui, Igor Zelensky et Ashley Bouder, aux
prises avec l'inattendu, autrement dit avec des chorégraphies pour
lesquelles ils sont comme en léger décalage stylistique. Sinatra Suite
a beau avoir été créé par Twyla Tharp pour un autre Russe, et de la
même école, il y a une forme de crève-coeur à voir Zelensky, à la
présence toujours magique, aussi guindé - dépourvu de ce détachement
américain que savait jouer Micha -, dans son approche du music-hall.
Bien sûr, ça se détend au fur et à mesure des chansons, l'humour – à la
sibérienne? - finit par affleurer – et la classe des danseurs par
l'emporter. Ashley Bouder inversement, avec son physique compact et
véloce, nous oblige - et c'est heureux - à relativiser notre vision de
ce pas de deux plus que rebattu, naturellement forgée par les Russes,
qu'elle enlève brillamment, tout en lui donnant une coloration
terre-à-terre, musicalement plus piquante que d'ordinaire. Du coup,
c'est elle qui s'impose face à Jason Reilly, à la danse sans peur et
sans reproche, mais conventionnelle.
Dans la deuxième partie, même si les pièces
choisies n'étaient pas forcément toujours du plus haut intérêt,
l'ensemble est apparu plus homogène. Puisqu'il faut un palmarès -
intérêt chorégraphique et qualité de l'interprétation additionnés -, on
distinguera peut-être là, dans deux styles complètement différents, le
dernier pas de deux de La Dame aux camélias,
magistralement interprété par les danseurs de Stuttgart, dont on
perçoit au passage la familiarité avec la chorégraphie de Neumeier, et
la pièce de Russell Maliphant, Two,
reprise par Carlos Acosta. Du pas de deux de Neumeier, Sue Jin Kang et
Marijn Rademaker donnent une interprétation dramatisée et heurtée, très
peu lisse malgré leurs physiques magnifiques à tous les deux, assez
différente en tout cas de ce qu'on en voit à Paris. Avec Two,
Acosta tourne délibérément le dos au style de virtuosité qui a fait son
succès et sur lequel on l'attend naturellement davantage. La mise en
scène rappelle évidement un autre solo de Maliphant, AfterLight,
avec ses jeux de lumière circulaires
« chorégraphiés » autour d'un
danseur-roi, mais là où AfterLight se présentait comme une étude chorégraphique sur le tournoiement et la spirale, Two
serait plutôt un essai sur la force et l'énergie dans la danse,
présents jusque dans l'immobilité. Rien ici ne paraît vain ou simplement
décoratif, tout prend un sens dans l'ensemble que forme le solo en
forme de crescendo, de la musique électronique, saisissante de bout en
bout, jusqu'à l'écriture chorégraphique, habitée par son interprète,
réfléchissant et détournant tout à la fois son statut de danseur
héroïque.
Les hommes sont encore à l'honneur avec Igor Kolb, dans le Spectre de la rose,
qu'il sublime par une puissance physique associée à de merveilleux
ports de bras – toute l'ambivalence du Spectre est là, confrontée à la
jeune fille qui s'éveille au désir, bien campée par Elena Kuzmina. On
pouvait craindre l'inadéquation de la pièce dans le contexte, mais
c'était toutefois faire fi du génie interprétatif de Kolb qui, s'il ne
possède pas le ballon aérien d'Herman Cornejo ou d'Emmanuel Thibault,
creuse avec le temps son incarnation de cette créature d'un autre monde,
ni vraiment homme ni vraiment femme, mélange de grâce et de force
sauvage, sans jamais sombrer dans le narcissisme ou un efféminement
inapproprié. L'Adagio d'Alexeï
Miroshnichenko, interprété par Andreï Merkuriev, laisse, malgré sa
totale banalité chorégraphique, cette même impression d'un artiste
inspiré et sensible qui domine parfaitement son sujet par-delà une
perfection plastique qui pourrait en marquer rapidement les limites.
Dans la succession de pièces néo-classiques que nous impose le gala, Canon,
chorégraphié par Jiri Bubenicek, associé ici à son frère Otto et à Jon
Vallejo, reste sans doute comme la plus intéressante réussite, même si,
là encore, le talent et la présence charismatique des trois interprètes,
en totale osmose, y sont pour beaucoup.
Petit coup de chapeau aux danseurs du Ballet de
Berlin, qui ont démontré là leur excellence, trop méconnue en France,
en-dehors de la star internationale et sur-médiatisée Polina Semionova.
Le Grand Pas de deux de Christian Spuck, pastiche de pas de deux
classique chorégraphié sur l'ouverture de la Pie voleuse
de Rossini, a certes connu des interprètes plus drôles et plus naturels
qu'Elisa Carillo Cabrera et Mikhaïl Kaniskin - à commencer par Ouliana
Lopatkina et... Igor Kolb -, mais leur danse n'en est pas moins un régal
– et c'est la moindre des choses ici. Si le pas de deux de Caravaggio
de Mauro Bigonzetti est d'une mièvrerie absolue (et amorce le grand
mouvement de lassitude qui m'étreint durant cette interminable deuxième
partie), ses interprètes, Shoko Nakamura et Michael Banzhaf, ont eux
aussi de quoi séduire – même si la fascination s'en tient surtout ici à
leurs qualités plastiques.
Bien sûr, Lucia Lacarra, lumineuse, habite sans doute la méditation de Thaïs
comme personne, mais arrivé en bout de course, ce pas de deux,
archi-rebattu et... bien vide, disons-le, peine franchement à maintenir
l'intérêt. Avec le duo des Enfants du paradis,
le même constat s'impose, malgré la présence de ses deux magnifiques
interprètes, Mathieu Ganio et Isabelle Ciaravola, pleinement investis,
individuellement comme en couple. L'extrait, sorti de son contexte
dramatique (et pour ma part totalement oublié), dépourvu de début et de
fin véritable sur le plan musical, ne parvient en effet guère à se faire
ainsi comprendre du tout-venant. S'il s'agissait d'un « teaser » pour
le ballet prochainement à l'affiche de l'Opéra, on reste tout de même un
peu sceptique sur la nécessité absolue de le revoir (des réminiscences
du dernier Ratmansky, Illusions perdues,
venant soudainement se superposer au ballet de Martinez – tous ces
ballets jolis et élégants se ressemblent à un point... dramatique).
Du coup, avec tous ces retards, le pas de deux de Don Quichotte,
conçu pour être l'apothéose du gala, au lieu de se laisser pleinement
savourer, a paru quelque peu expédié – une petite frustration d'enfant
gâté devant tant de cadeaux accumulés. Le retour à la fougue des Russes,
presque aveuglante après tant de clair-obscur, et au pur spectacle de
virtuosité, est franchement brutal, mais difficile toutefois de résister
à Evguénia Obraztsova, toujours rayonnante, et à un bis impromptu
d'Andreï Merkuriev (remplaçant de Dmitri Goudanov), malgré la fatigue
perceptible, notamment dans le manège de la coda. Le partenariat de
dernière minute est excellent, la performance enlevée et efficace, mais
sans aucun doute ces deux-là valent bien autre chose qu'un numéro de
gala de fin de soirée.
B. Jarrasse © 2011, Dansomanie
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par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la
propriété
intellectuelle.
Suite de Danses – Pas de Trois
Musique : Frédéric Chopin
Chorégraphie : Ivan Clustine
Avec : les élèves de l’Ecole de danse de l’Opéra national de Paris
La Belle au Bois Dormant, Acte III, Pas de deux
Musique : Piotr Illitch Tchaikovski,
Chorégraphie : Marius Petipa
Avec : Maria Kochetkova, Sergei Polunin
Mopey
Musique : Jean-Sébastien Bach
Chorégraphie : Marco Goecke
Avec : Friedemann Vogel
La Chauve-Souris, Adagio Acte II
Musique : Johann Strauss Fils
Chorégraphie : Roland Petit
Avec : Olga Esina, Roman Lazik
Le Lac des cygnes, Pas de deux du Cygne noir
Musique : Piotr Illitch Tchaikovski,
Chorégraphie : Marius Petipa
Avec : Fernanda Oliveira, Dmitry Gruzdev
Sinatra Suite
Musique : Frank Sinatra
Chorégraphie : Twyla Tharp
Avec : Tatyana Gorokhova, Igor Zelensky
Light
Musique : Antonio Vivaldi
Chorégraphie : Maurice Béjart
Avec : Katya Shalkina, Julien Favreau
Le Corsaire
Musique : Adolphe Adam
Chorégraphie : Marius Petipa
Avec : Ashley Bouder, Jason Reilly
La Dame aux Camelias
Musique : Frédéric Chopin
Chorégraphie : John Neumeier
Avec : Sue Jin Kang, Marijn Rademaker
Russell Maliphant Two
Musique : Andy Cowton
Chorégraphie : Russell Maliphant
Avec : Carlos Acosta
Spectre de la Rose
Musique : Carl Maria von Weber, arrangée par Hector Berlioz
Chorégraphie : Michel Fokine
Avec : Elena Kuzmina, Igor Kolb
Adagio
Musique : Jean-Sébastien Bach
Chorégraphie : Alexy Miroshnichenko
Avec : Andreï Merkuriev
Grand Pas de Deux
Musique : Gioachino Rossini
Chorégraphie : Christian Spuck
Avec : Elisa Carrillo Cabrera, Mikhail Kaninskin
Caravaggio
Musique : Bruno Moretti
Chorégraphie : Mauro Bigonzetti
Avec : Shoko Nakamura, Michael Banzhaf
Thaïs
Musique : Jules Massenet
Chorégraphie : Roland Petit
Avec : Lucia Lacarra, Marlon Dino
Canon
Musique : Johann Pachelbel
Chorégraphie : Jiří Bubeníček
Avec : Jiří Bubeníček, Otto Bubeníček, Jon Vallejo
Les Enfants du Paradis
Musique : Marc-Oliver Dupin
Chorégraphie : José Martinez
Avec : Isabelle Ciaravola, Mathieu Ganio
Don Quichotte, Acte III, Pas de deux
Musique : Ludwig Minkus
Chorégraphie : Marius Petipa
Avec : Evguénia Obraztsova, Andreï Merkuriev
Mardi 31 mai 2011, 20h00, Palais des Congrès, Paris
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