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Théâtre National de Chaillot (Paris)
26 mai 2011 : Vamos al tiroteo (Rafaela Carrasco) - Tr3s (Belén Maya)
Belén Maya dans Tr3s
Pour une toute petite semaine, le flamenco fait
un retour bienvenu à Chaillot, qui l'avait largement délaissé depuis sa
reprise en main, en 2008, par le couple Montalvo-Hervieu. Le titre de ce
mini-festival est ridiculement pompeux pour le peu qu'il recouvre -
« Temps fort flamenco », qu'ils appellent ça du côté du Trocadéro –, et
les représentations sont des plus parcimonieuses, mais l'on s'en
satisfera tout de même, vu la belle brochette d'artistes que l'affiche
propose. Rocio Molina, La Moneta, Belén Maya, Rafaela Carrasco, Marco
Flores et Manuel Liñán - quelques-uns des plus grands noms de la scène
actuelle – se partagent pour l'occasion les salles Gémier et Jean Vilar,
sur l'air – éternel - de la confrontation entre modernité et tradition.
Belén Maya et Rafaela Carrasco nous offrent ainsi
pour un soir, chacune à leur manière, deux visages bien différents du
flamenco d'aujourd'hui. Mais par-delà la différence de nature et de
style entre ces deux artistes et ces deux créations - la première
installée dans l'intimité de la salle Gémier, la seconde évoluant sur le
vaste plateau de la salle Jean Vilar -, on a envie de dire que c'est
aussi, bon an mal an, le meilleur et le pire du flamenco contemporain,
qui transparaît, lors d'une même soirée, à travers leurs spectacles
respectifs.
Rafaela Carrasco dans Vamos al tiroteo
Le spectacle de Rafaela Carrasco, Vamos al tiroteo (Versiones de un tiempo pasado) (Allons nous faire fusiller – Versions d'un temps passé),
se présente comme une variation en douze tableaux autour de douze
chansons du poète Federico Garcia Lorca, consacrées par un disque
enregistré en 1931 par Lorca et la Argentinita, intitulé Canciones populares españolas.
Pour cet hommage chanté et dansé à un album mythique, source
d'inspiration de nombreux artistes espagnols, Rafaela Carrasco est
accompagnée de quatre danseurs et d'un ensemble de sept musiciens, dont
un violoncelle et un piano, instruments pour le moins incongrus dans
l'univers du flamenco traditionnel (Lorca lui-même accompagnait au piano
la Argentinita dans l'oeuvre originale). Le spectacle, très
soigneusement mis en scène, met au premier plan le pittoresque andalou –
ambiance enfumée et trouble de tablao,
sol carrelé de patio sévillan –, sans craindre de le mêler à des
éléments plus modernes, notamment dans le choix des costumes. Rafaela,
en Espagnole brûlante au bord de la crise de nerfs, danse en pantalon
noir pailleté et chemisier blanc de femme d'aujourd'hui, seule, ou
accompagnée de ses «boys» en souliers rouges, quatre caballeros
débordant de virilité, au style passablement démonstratif. A la
traditionnelle carte postale andalouse, au coloris vaguement rétro, se
superpose, dans un effet esthétique très «fusion» et très rebattu, une
imagerie populaire et clinquante, presque télévisuelle. Peu d'émotion
et encore moins de grâce se dégagent de cette succession de saynètes
léchées et par trop artificielles, où le spectaculaire – jusque dans le
volume sonore à la limite du supportable - prime continument sur la
pureté d'une danse qui sait jouer ailleurs, comme aucune autre
peut-être, avec l'ultime. On ne peut décemment pas reprocher grand-chose
à la danse de Carrasco, souple, véloce, énergique, et toujours d'une
extrême virtuosité, ni contester son charisme généreux, mais l'ensemble
pâtit sans doute d'une recherche par trop exclusive de la performance,
au détriment de l'exploration de la poésie primitive, bien que stylisée,
portée par les chansons de Lorca.
Rafaela Carrasco dans Vamos al tiroteo
D'une tout autre trempe est le spectacle de Belén Maya, qui, en un peu
plus d'une heure et avec un minimum de moyens scéniques, suffit à
justifier bien des quêtes. Belén Maya, les Parisiens avaient notamment
pu l'admirer à Chaillot en 2007 dans le cadre d'un «Gala flamenca»
survolté, en compagnie de l'ancêtre, Merche Esmeralda, et de la
formidable jeune prodige, Rocio Molina, devenue, avec son physique
atypique et austère, l'une des étoiles les plus intéressantes de la
scène flamenco actuelle. Avec Tr3s,
on revient en fait à la structure essentielle du flamenco – solitaire
et collective à la fois : un chanteur, un guitariste, un joueur de
palmas et une danseuse. La qualité des accompagnateurs est telle ici –
le chanteur notamment, Jésus Méndez, a une voix à pleurer – que chacun
des comparses réussit à exister pleinement pour lui-même et dans l'union
autour de la danseuse. Ce n'est pourtant pas le minimalisme et la
simplicité délibérés de cette création qui font de Tr3s l'antithèse absolue – et hautement jubilatoire - à Vamos al tiroteo.
Pas plus «traditionnelle» dans son approche du flamenco que Rafaela,
moins redoutablement technique du reste que cette dernière dans le
travail des pieds, Belén mêle une gestuelle parfois très contemporaine,
qui fait volontiers écho au silence, à un travail constant sur les codes
classiques, utilisés et détournés. La traditionnelle robe à traîne – la
bata de cola - est ici, et
d'abord, une image, un simple élément du décor, suspendu à un fil, avec
lequel la danseuse flamenco s'amuse et se rêve, telle une fiancée encore
vierge, avant de s'en revêtir pour un final en forme de nuit d'amour
sublimée. Il y a chez elle des mouvements de bras et de mains uniques et
terriblement sophistiqués, qui rappellent à certains moments Israel
Galván, sa gestuelle taurine, ses métamorphoses androgynes et son goût
de la rupture et du contre-temps. Chez elle aussi, cette élégance
aristocratique, cette ignorance de toute vulgarité, et cette présence
stupéfiante, toute intérieure, qui satisfont certes au culte de
l'interprète pérennisé par l'art flamenco, mais qui, à aucun moment,
n'imposent au spectateur une danse d'égoïste - ou de pure démonstration.
B. Jarrasse © 2011, Dansomanie
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Belén Maya dans Tr3s
Tr3s
Chorégraphie : Belén Maya
Mise en scène : David Montero
Son : Angel Olalla
Lumières : Ada Bonadei (Vancram)
Avec : Belén Maya (danse), Jesús Méndez (chant), Rafael Rodriguez (guitare), Felipe Mato (palmas)
Vamos al tiroteo
Chorégraphie : Rafaela Carrasco
Musique : Jesús Torres, Juan Antonio Suárez "Canito", Pablo Suárez, José Luis López
Scénographie : Elisa Sanz
Son : Juan Benavides
Costumes : Pepa Carrasco
Lumières : Gloria Montesinos (Aai)
Danse : Rafaela Carrasco, Ricardo López, Jonatan Miron, Pedro Córdoba, David Coria
Piano : Pablo Maldonado
Guitare : Jesús Torres, Juan Antonio Suárez "Canito"
Chant : Antonio Campos, Gema Caballero
Jeudi 26 mai 2011, 19h00 (Tr3s) / 20h30 (Vamos al tiroteo), Théâtre National de Chaillot, Paris
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