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critiques et comptes rendus
Théâtre de la Ville (Paris)

19 mai 2011 : Continu, de Sasha Waltz


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Continu (chor. Sasha Waltz)


L’actualité chorégraphique est tellement dominée par la figure de Pina Bausch, presque plus présente aujourd’hui que de son vivant, que l’attraction est irrésistible : la première partie de Continu, le dernier spectacle de Sasha Waltz, créé à partir de premières versions inspirées de l’architecture de nouveaux musées, fait irrésistiblement penser au Sacre du printemps de son aînée. On y retrouve des figures chorégraphiques communes, un esprit commun («l’ancrage à la terre, les pulsions et le désir», comme le dit Waltz), un même sens de l’investissement de la musique, ici les vastes espaces d’Arcana de Varèse, une pièce de 1927 dont la filiation avec le chef-d’œuvre de Stravinsky est elle-même évidente. Rares sont, sur la scène contemporaine, les pièces qui font évoluer plus d’une vingtaine de danseurs, qui plus est en accordant une aussi grande place au collectif au détriment de solos rares et généralement brefs : on ne peut qu’admirer la manière dont la chorégraphe sait écrire pour cette masse de danseurs une partition aussi constamment individuelle, aussi fluide, aussi variée. La danse est ainsi capable d’aller au plus profond de la pièce de Varèse, son ampleur cosmique comme le travail proprement inouï sur la sonorité de l’orchestre : la maîtrise de la grande forme, si on excepte son maladroit Roméo et Juliette de l’Opéra de Paris, est une des qualités premières de Sasha Waltz, et cette pièce en est un exemple particulièrement patent.

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Continu (chor. Sasha Waltz)

La confrontation avec la musique n’est pourtant pas toute la pièce : toute la soirée est comme trouée de moments de silence, à commencer par le prologue où trois danseurs-acrobates, suspendus par des filins, se balancent lentement au seul son des toux exaspérantes d’une partie du public qui, une fois rentré dans la pièce, retrouvera de lui-même sa santé. L’alternance entre ces moments de silence et les courtes pièces de Varèse et Xenakis qui constitue la fin de cette partie donne une pulsation qui n’est pas sans une réelle force hypnotique : on ne peut pas ne pas penser, pour la densité que Sasha Waltz sait donner au silence, pour la mise en musique des pieds des danseurs, au récent A song d’Anne Teresa de Keersmaeker : le silence comme nouvelle valeur de la danse contemporaine, comme un pied de nez à la vulgarité musicale qui envahit trop souvent la scène contemporaine?

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Continu (chor. Sasha Waltz)

La seconde partie, plus courte, est moins convaincante – peut-être aussi parce qu’elle est structurée autour d’une pièce pour orchestre à cordes surannée et à sa façon sentimentale de Claude Vivier. L’opposition entre les deux parties, dont les costumes successivement sombres et clairs sont l’indice le plus évident, est renforcée par l’ajout d’un sol, comme une gigantesque feuille à dessin couvrant toute la scène : non seulement les danseurs dessinent avec leurs pieds recouverts de couleur des trajectoires abstraites et élégantes, mais cette vaste surface blanche, soulevée et maniée dans l’air, est la matière de l’image finale de la pièce, qui est certainement ce qu’il y a de plus intéressant dans cette seconde partie.

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Continu (chor. Sasha Waltz)

Longtemps chorégraphe associée à la Schaubühne, l’un des principaux théâtres berlinois, et désormais indépendante dans le cadre du collectif d’artistes qu’elle a fondé – toujours à Berlin –, Sasha Waltz livre une fois de plus une démonstration du style élégant et maîtrisé qui est le sien de pièce en pièce. L’exercice ici est sans doute plus âpre et ne cède que rarement à la tentation de la joliesse qui a souvent été auprès du public la force et la faiblesse de ses pièces ; pour autant, Continu, par la densité de son écriture, a quelque chose d’une pièce classique, à cent lieues de la déconstruction d’un Forsythe comme des prétentions philosophiques vaines de MacGregor ou de Sidi Larbi Cherkaoui.



Dominque Adrian © 2011, Dansomanie

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Continu
Chorégraphie : Sasha Waltz
Musique : Iannis Xenakis, Edgar Varèse, Claude Vivier
Décor : Thomas Schenk, Pia Maier - Schriever, Sasha Waltz
Costumes : Bernd Skodzig
Lumières : Martin Hauk

Avec :Liza Alpízar Aguilar, Ayaka Azechi, Jirí Bartovanec, Justin Billy, Davide Camplani
Maria Marta Colusi, Juan Kruz Diaz de Garaio Esnaola, Luc Dunberry, Edivaldo Ernesto
Delphine Gaborit, Mamajeang Kim, Florencia Lamarca, Sergiu Matis, Todd McQuade
Thomas Michaux, Sasa Queliz, Virgis Puodziunas, Zaratiana Randrianantenaina
 Orlando Rodriguez, Mata Sakka, Yael Schnell, Xuan Shi, Shang-Chi Sun, Niannian Zhou


Jeudi 19 mai 2011,  Théâtre de la Ville, Paris


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