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Ballet du Théâtre Stanislavsky (Moscou) - Evguenia Obraztsova
23 avril 2011 : Le Lac des cygnes (chor. Vladimir Bourmeister) au Théâtre Stanislavsky
Semyon Chudin (Siegfried) et Evguénia Obraztsova (Odile)
Beaucoup moins célèbre en Occident que son
glorieux voisin, le Théâtre musical Stanislavsky s'élève à Moscou à
quelques encablures du Théâtre Bolchoï, dans la grande rue Dimitrovka.
Sa dénomination exacte rappelle en fait ses deux fondateurs, Konstantin
Stanislavsky et Vladimir Nemirovitch-Danchenko, réformateurs du théâtre
russe et de l'interprétation dramatique à la toute fin du XIXème siècle,
avec le fameux Théâtre d'Art de Moscou.
Fondé en 1941, le Stanislavsky - théâtre musical
et non dramatique - possède actuellement une troupe d'opéra et une
troupe de ballet, laquelle était dirigée il y a encore quelques mois par
Serguéï Filin, avant que celui-ci ne reprenne, quasiment du jour au
lendemain, la direction artistique du Bolchoï, évidemment plus
prestigieux. Durant ses quelques années à la tête de la compagnie,
Serguéï Filin a sans aucun doute contribué à élever le niveau général du
corps de ballet et, par sa notoriété personnelle de danseur étoile, à
redorer son blason international. Il a par ailleurs enrichi
considérablement le répertoire de la troupe, avec des reconstructions de
ballets plus ou moins oubliés comme La Esmeralda ou La Fleur de Pierre de Grigorovitch, et l'introduction d'oeuvres notables et aussi diverses que le Napoli de Bournonville, Marguerite et Armand d'Ashton, les ballets de Kylian (Sechs Tänze et Petite Mort, couronnés récemment par un Masque d'Or), de Duato (Por Vos Muero et Na Floresta) ou encore de Neumeier (La Mouette et, dernièrement, La Petite Sirène). Il est prévu, semble-t-il, que La Sylphide de Lacotte fasse prochainement son entrée au répertoire de la troupe.
Evguénia Obraztsova (Odette)
Etoile invitée du Stanislavsky depuis une ou deux saisons,
Evguénia Obraztsova a dansé dernièrement Giselle
sur la scène de ce théâtre aux côtés de Mathieu Ganio. Elle a aussi pu
aborder, grâce à ce titre d'étoile invitée, le ballet de Kylian, Petite Mort.
Annoncée depuis plusieurs mois, ses débuts dans le rôle d'Odette-Odile
se présentaient d'évidence comme la sensation balletomaniaque du
printemps, non exempte d'une certaine frustration tout de même pour
l'amateur de ballet russe. Depuis plusieurs années, le Mariinsky réserve
en effet le rôle à de grandes danseuses lopatkinesques et longilignes,
condamnant les petites danseuses bâties sur le modèle d'Obraztsova à
aller le danser en d'autres lieux moins renommés ou à se contenter
simplement d'en rêver. De l'arbitraire et de la vanité des modes
esthétiques, quand on sait que Makarova, qu'on aurait bien du mal à
considérer comme une Odette-Odile anecdotique dans l'histoire du
Mariinsky et dans celle du ballet en général, n'est certainement pas
plus grande qu'Obraztsova...
Evguénia Obraztsova (Odile)
La version du Lac des cygnes
dansée par la troupe du Stanislavsky est celle de Vladimir Bourmeister,
laquelle fut d'ailleurs créée dans ce théâtre en 1953, avant d'être
montée à l'Opéra de Paris en 1960, où elle fut dansée avec succès
jusqu'à l'arrivée de celle de Noureev (on sait qu'elle fut maintenue au
répertoire parallèlement à cette dernière pendant un temps, de la
volonté même des danseurs). Cette version, superbement lisible et
dramatiquement très cohérente, est en fait bien différente, ne serait-ce
que sur le plan musical, de celle de Serguéïev, attachée à
Saint-Pétersbourg, dans laquelle évolue Obraztsova au Mariinsky. L'acte
II de Petipa-Ivanov est certes conservé tel que nous le transmet la
tradition, mais les autres actes sont entièrement réécrits, agrémentés
d'une multitude de petits détails de mise en scène qui participent aussi
de son charme tenace, comme cette plume symbolique perdue par Odette à
l'acte II et restituée à Odile par le Prince à l'acte III. Le ballet
débute ainsi par un prologue mettant en scène, durant l'introduction
symphonique, la jeune princesse Odette tombant sous le pouvoir maléfique
de Rothbart, idée largement reprise par Noureev pour sa production
parisienne. Lors du dénouement du ballet, évidemment heureux, le cygne,
libéré par Siegfried des sortilèges de Rothbart, redevient princesse.
L'acte I, très étoffé, avec un Bouffon particulièrement actif et un
Siegfried pas si falot que ça, comporte, en lieu et place du
traditionnel Pas de trois, un Pas de quatre, ainsi qu'un Adage dansé par
Siegfried et une Princesse de la cour (ici, l'excellente Anastasia
Pershenkova) sur la musique habituellement associée au Cygne noir.
L'acte III, surtout, est vraiment unique en son genre, puisque
Bourmeister recourt à une musique oubliée de Tchaïkovsky (reprise par
Balanchine dans son Tchaïkovsky Pas de deux)
pour la chorégraphie du Pas de deux de Siegfried et d'Odette, qui
brille par ses effets dramatiques, à l'image d'une version d'où la
théâtralité n'est jamais vraiment absente. Les danses de caractère,
convoquées par Rothbart, viennent s'y insérer naturellement et avec une
énergie démultipliée par le drame sous-jacent, au lieu d'être plaquées
sur l'action à la manière d'un divertissement imposé. La scénographie de
la production du Stanislavsky, avec son esthétique gothique troubadour
obligatoire à l'acte III et ses couleurs très tranchées, jusque dans les
choix des éclairages, est en parfait accord avec cette vision hautement
dramatique du Lac.
Anton Domashev (Rothbart) et Evguénia Obraztsova (Odile)
Pour ses débuts, c'est justement dans l'acte
«noir» qu'Evguénia Obraztsova séduit le plus, déployant une autorité
et des talents dramatiques impressionnants, parfaitement soutenus par
une technique précise et acérée et un véritable sens de l'attaque. Le
regard est vif, le visage mobile, le geste sensuel et impérieux, cette
Odile signe, de manière merveilleusement théâtralisée, le triomphe de la
tentatrice face à un Prince entièrement abusé. En regard de cette
incarnation réussie, son Odette laisse plus sceptique à l'acte II. La
nervosité est certes palpable, notamment dans la diagonale de la coda,
mais par-delà les aléas obligés d'une prise de rôle, on ne peut se
retenir de penser que son Odette, douce et charmante, manque là de cette
féminité métaphorique et irréelle, et surtout de cette grandeur propre
aux cygnes russes - et ce n'est pas là une question de taille, mais bien
une affaire d'image et de projection. L'on se satisferait volontiers de
son lyrisme et de sa maîtrise stylistique et musicale à Paris, de ce
raffinement délicat dans les positions si caractéristique du Mariinsky
(et qui la distingue aussi très nettement des danseuses du
Stanislavsky), mais dans un contexte artistique où les cygnes
remarquables ne sont tout de même pas une denrée rare, le travail des
bras du Cygne blanc qu'elle délivre pâtit tout de même d'un certain
défaut de sophistication plastique. L'acte IV, qui comporte un très beau
duo avec le Prince, lui sied sans doute davantage, laissant s'épanouir
les qualités humaines et poétiques que l'on apprécie d'ordinaire chez
cette ballerine. Le partenariat avec Semyon Chudin, dans une version où
le Prince n'est pas un simple cavalier, n'est pas chargé d'une grande
émotion, le danseur du Stanislavsky convainc en réalité davantage par
ses lignes élégantes et par sa technique, très propre et agrémentée de
sauts brillants, que par son expressivité.
Evguénia Obraztsova (Odette)
Par-delà les deux solistes, à l'envergure et à la
notoriété internationales, notamment pour ce qui est d'Obraztsova, la
troupe du Stanislavsky, bien soutenue par un orchestre très dynamique
dirigé par Felix Korobov, montre par la qualité de son travail
d'ensemble que la vie chorégraphique moscovite ne s'arrête pas aux
colonnes du temple du Bolchoï, plus brillantes, plus touristiques, plus
mondaines. Certes, la troupe ne roule pas dans la même catégorie que le
voisin glorieux ou le Mariinsky de Saint-Pétersbourg, mais la prestation
remarquable du corps de ballet, tout comme celle des nombreux
demi-solistes, dont les talents sont particulièrement perceptibles dans
le Pas de quatre de l'acte I, le quatuor des Petits Cygnes et le trio
des Grands Cygnes de l'acte II, est incomparable si l'on s'avise de la
mettre en regard de ce que donnent à voir les diverses petites
compagnies russes de tournée, parfois beaucoup plus médiatisées, qui
parcourent à longueur d'années les routes d'Occident.
B. Jarrasse © 2011, Dansomanie
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Le Lac des cygnes
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovsky
Chorégraphie : Vladimir Bourmeister
Décors et costumes : Vladimir Arefiev
Odette / Odile – Evguénia Obraztsova
Le Prince Siegfried – Semyon Chudin
La Mère – Natalia Trubnikova
Rothbart – Anton Domashev
Le Bouffon – Dmitri Muravinets
Pas de quatre – Maria Kramarenko, Anna Khamzina,
Serguéï Kuzmin, Dmitri Khamzin
Adagio – Anastasia Pershenkova
Trois Grands Cygnes – Inessa Bikbulatova, Erika Mikirticheva, Anna Khamzina
Quatre Petits Cygnes – Yulia Goryunova, Alexandra Dorofeeva
Anna Naumova, Anna Perkovskaïa
Danse espagnole – Irina Belavina
Danse napolitaine – Anastasia Pershenkova
Danse hongroise – Ekaterina Garaeva, Olga Kuzmina
Oleg Rogachev, Alexandre Seleznev
Mazurka – Maria Vorodinets, Serguéï Manuylov
Ballet du Théâtre Stanislavsky
Orchestre du Théâtre Stanislavsky, dir. Félix Korobov
Samedi 23 avril 2011, Théâtre Stanislavsky, Moscou
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