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Bayerisches Staatsballett (Munich)
21 avril 2011 : Illusionen - wie Schwanensee (John Neumeier)
Tigran Mikayelyan (Le Roi)
Il
aura fallu 35 ans au roi Louis II de Bavière pour revenir dans
sa capitale : créé en 1976 à Hambourg,
l’ample ballet que John Neumeier lui a consacré
n’avait jamais encore été donné par le
Ballet de Bavière : il n’en fallait pas plus pour que la
soirée se termine par un triomphe pour Neumeier comme le public
munichois n’en accorde que rarement lors des soirées de
ballet. L’entreprise de Neumeier, avec ses
références marquées à un monde qu’on
pourrait qualifier d’apothéose du kitsch,
n’était pourtant pas sans risques ; loin de laisser libre
cours à la nostalgie monarchique toujours bien présente
en Allemagne, a fortiori en Bavière, il réussit à
laisser filtrer l’ombre de la folie jusque dans la fête
populaire du Ier acte ou dans le bal du IIIe acte. Le roi n’est
pas ici tant un cousin de Sissi qu’un frère de son
Nijinsky, et tant pis pour qui se sera laissé abuser par le
faste des costumes de Jürgen Rose ou par la désuète
moustache du roi.
Tigran Mikayelyan (Le Roi)
Là où Nijinsky, avec sa deuxième partie traumatique moulée sur la 11ème Symphonie de Chostakovitch, abandonnera le langage néoclassique pour une vision contemporaine, Illusionen - wie Schwanensee
ne sort qu’à peine du schéma du ballet narratif
néo-classique hérité de John Cranko. Sans doute la
pièce gagnerait-elle en intensité dramatique en
abrégeant les différents numéros des fêtes
du premier et dernier acte, mais ce serait sans doute au
détriment de sa cohérence et de son rythme propre : dans Nijinsky,
la mondanité et la folie sont en quelque sorte placées en
miroir de part et d’autre de l’entracte ; dans Illusionen,
c’est la manière dont la folie – comme forme
d’altérité au moins autant que comme pathologie
– entre en violent contact avec la mondanité qui est au
cœur du ballet.
Marlon Dino (LeClown noir - L'Homme de l'ombre)
On
aurait donc tort de traiter de haut le langage aisément
compréhensible et ne heurtant jamais les habitudes de vision du
public ballettomane de Neumeier : la construction du ballet, alternant
la «réalité» crue du roi déchu et
prisonnier et les «souvenirs» des événements
qui ont amené sa destitution, pourrait paraître
artificielle, elle n’en a pas moins une force dramatique
considérable, qui s’épanouit lors du pas de deux
qui suit le troisième et dernier «souvenir», lorsque
son ancienne fiancée Natalia vient lui rendre visite au lieu de
sa relégation.
Lucia Lacarra (La Princesse Natalia) - Tigran Mikayelyan (Le Roi)
On
retrouve dans ce pas de deux tout ce qui a fait le succès du
langage chorégraphique de Neumeier, à l’instar de
ceux plus célèbres de La Dame aux camélias
: la légèreté aérienne combinée aux
portés les plus complexes, l’intensité dramatique
issue de l’abstraction et de la rigueur formelle. Ailleurs,
c’est en héritier direct de Cranko que Neumeier
s’affirme : on retrouve ainsi particulièrement dans le bal
masqué du dernier acte l’admirable fluidité des
enchaînements qui donne une impression de naturel exceptionnelle
même en ces années où, dans toute l’Europe,
à l’Est comme à l’Ouest, on travaillait
à réinventer la tradition du ballet narratif, avec des
succès divers.
Un autre moment dramatiquement et chorégraphiquement majeur de
la pièce est le 2ème acte, où Neumeier a
reconstitué à partir du souvenir de ce qu’il avait
pu voir autrefois dans la province américaine un second acte du Lac des Cygnes
plein de surprises : non seulement Neumeier s’amuse à
reconstituer le faste désuet de ces représentations, mais
il y réintroduit surtout une dose de pantomime qui a de quoi
faire tourner la tête du ballettomane le plus rassis tout en
renvoyant à une possible authenticité de ce ballet auquel
la tradition – sans même parler de Rudolf Nouréev
– a fait une sorte d’idéal romantique de
pureté.
Lukáš Šlavický (Le Comte Alexander) - Ilana Werner (La Princesse Claire) - Tigran Mikayelyan (Le Roi)
Pour
cette entrée au répertoire primordiale, le Ballet de
Bavière avait mobilisé pas moins de 11 de ses 15 solistes
et premiers solistes, qui pour un rôle central, qui pour une
simple silhouette, sans parler de quelques espoirs de la troupe pas
encore entrés dans ces cercles illustres, au premier rang
desquels Ilana Werner, qui apporte fraîcheur et
sûreté technique au rôle de la fiancée du
confident du roi. Lucia Lacarra était évidemment au
rendez-vous, et sa danse met en évidence sa grande
familiarité avec ce répertoire dont elle a pu à
Munich danser beaucoup de grands rôles, de la Juliette de Cranko
à la Dame aux camélias de Neumeier ; pourtant, le ballet
ne repose pas tant sur elle que sur Tigran Mikayelyan dans le
rôle du roi.
Tigran Mikayelyan (Le Roi) - Lucia Lacarra (La Princesse Natalia)
Le danseur arménien n’est jamais en manque de puissance
physique, mais ce n’est pas tant celle-ci que le rôle
sollicite le plus : le rôle est non seulement long, mais il est
aussi infiniment divers, des illusions champêtres du premier acte
aux pas de deux en passant par la gestuelle plus contemporaine du trop
prosaïque monde de la folie, et c’est le mérite
d’un grand acteur-danseur comme Mikayelyan d’avoir
réussi à maîtriser tous ces registres, avec un art
remarquable du partenariat.
Marlon Dino (Rotbart - L'Homme de l'ombre) - Tigran Mikayelyan (Le Roi)
Le
contraste est grand avec la silhouette longiligne de Marlon Dino,
chargé de représenter les obsessions morbides du roi,
mais dont la présence scénique laisse encore à
désirer, surtout quand il a à ses côtés un
Cyril Pierre, admirable de présence dans un rôle pourtant
plus épisodique. Pour le reste, ce qui frappe est surtout la
grande cohésion d’une troupe habituée aux exigences
considérables de précision et de confiance
d’où naît ce naturel sans lequel les structures
fragiles de cette apothéose néo-classique du ballet
narratif seraient douloureusement mises à nu.
Dominique Adrian © 2011, Dansomanie
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Cyril Pierre (Le Prince Léopold / Siegfried) - Daria Sukhorukova (Odette)
Illusionen - wie Schwanensee
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovsky
Chorégraphie : John Neumeier
Décors et costumes : Jürgen Rose
Le Roi – Tigran Mikayelyan
L’homme de l’ombre/ Rotbart – Marlon Dion
La Princesse Natalia – Lucia Lacarra
Le Prince Léopold / Siegfried – Cyril Pierre
Le Comte Alexander – Lukáš Šlavický
La Princesse Claire – Ilana Werner
La reine-mère – Séverine Ferrolier
Odette – Daria Sukhorukova
Bayerisches Staatsballett
Orchester der Bayerischen Staatsoper, dir. Michael Schmidtsdorff
Jeudi 21 avril 2011, National Theater, Munich
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