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critiques et comptes rendus
Théâtre du Léman (Genève)

08 avril 2011 : La Tentation d'Eve, par Marie-Claude Pietragalla


la tentation d'eve pietragalla


Le rideau se lève et l'on aperçoit des masques anciens ornant le haut de la scène. Quelques instants plus tard, une ombre imposante, altière, une femme qui avance doucement sur scène, portant le fardeau de la souffrance féminine en traînant une immense pomme (celle d’Eve?). Cette femme, c’est Marie-Claude Pietragalla. La Pietra..

Un spectacle atypique qui mélange habilement la danse, la pantomime, les marionnettes, la vidéo, en même temps qu'«un voyage dans l’univers de la femme à travers l’histoire»,
où s’entremêlent les codes du théâtre, du drame au burlesque. Le mystère de la femme de l’Antiquité à nos jours vue par une personnalité forte de la danse, un voyage artistique où l'on côtoie Ève, la femme guerrière, la courtisane, la danseuse, la cantatrice, la maîtresse de maison, la femme libérée et la femme moderne, l’ensemble accompagné par la poésie d’Andrée Chedid, de Mariane Favreau et de Marcelline Desbordes-Valmore, le théâtre de Molière, la figure mélancolique et sensuelle de Barbara... La pertinence des choix musicaux qui accompagnent les tableaux nous entraîne dans ce voyage avec un bonheur certain.

La femme prisonnière de sa souffrance, la femme muse et inspiratrice, manipulée et manipulatrice, libre, épanouie et névrosée, drôle et tragique, mère et maîtresse, androgyne et féminine... : seule sur scène, Pietragalla explore cet univers complexe de l’éternel féminin en arborant
avec délectation différents visages de la femme, en parfaite harmonie avec sa personnalité et le mythe qu'elle incarne. Car ce spectacle reflète aussi bien la femme à travers l’histoire que la personnalité intense et passionnée de Pietragalla.

Deux références viennent immédiatement à l’esprit en assistant à La Tentation d’Eve : l’extraordinaire Eonnagata mise en scène par Robert Lepage avec Sylvie Guillem, qui mêle habilement plusieurs formes d’art, telles le théâtre, la danse, la pantomime et la vidéo, et aussi le théâtre d’Ariane Mnouchkine, avec sa force primitive, son dynamisme et son souci permanent d’explorer des horizons multiculturels et purement visuels.

C'est un 
one woman show que Pietragalla nous présente ici, et non un spectacle d’ensemble. Si certains ont accusé la danseuse de narcissisme, pour avoir voulu monter un spectacle où elle est seule sur scène, on peut néanmoins saluer le courage de l’artiste d'avoir su relever ce défi et de mener son jeu avec conviction, sincérité et passion. Quant à l’interprétation, Pietragalla emporte tout sur son passage par son intensité, sa présence scénique, sa beauté, sa sensualité et sa capacité de communier avec son public. Qu’elle fascine ou qu’elle agace, Pietra ne laisse personne indifférent et cela reste sans doute l’un des atouts majeurs de cette artiste atypique.

Sur le plan de la mise en scène et de la chorégraphie, on retient quelques belles idées, telles celle de l'artiste allongée et presque immobile, le regard fixé sur les spectateurs, maniant habilement une marionnette (qui évoque à la fois la voix intérieure de la femme et la femme-mère) ou celle où elle ôte son armure pour enfiler un costume d'androgyne savante et de femme libérée. Dans un autre passage remarquable, Pietragalla ondule des bras
sur la musique de la Mort du cygne, en un discret et poignant hommage à la danseuse classique qu’elle fut.

On aurait aimé parfois plus d’imagination dans la chorégraphie, qui reste assez répétitive en dépit de l'engagement de l'artiste. La scène de la cantatrice-ménagère verse dans la facilité, alignant des clichés qui n’apportent rien d’essentiel à l'ouvrage. Certains pourront sans doute s’amuser de la verve comique de Pietragalla, mais l'on aurait aimé davantage de nuances dans le portrait et une
mise en scène plus en finesse.

Le tableau ultime nous renvoie à la première apparition de la Pietragalla et résume l'évolution de la femme à travers le temps, avec l'image de la femme moderne qui avance doucement sur la pomme d’Eve. Le rideau se lève et la danseuse salue son public, qui lui réserve une belle ovation : voilà un beau spectacle populaire! Si La Tentation d’Eve manque parfois d'une certaine subtilité, ainsi que de cohérence dans la scénographie et la chorégraphie, l'oeuvre parvient néanmoins à convaincre par sa sincérité et la force de l’interprétation de Pietragalla, artiste atypique, fière, libre et fascinante. On ne peut qu'être admiratif devant la fougue et la passion de cette artiste comblée.
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Yiannakis Ioannides © 2011, Dansomanie



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La Tentation d'Eve
Chorégraphie et mise en scène : 
Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault
Collaboration musicale :  Laurent Perrier
Décors : Simon Pastukh
Masques, marionettes et costumes : Johanna Hilaire, avec la collaboration de Stéphane Rolland
Lumières : Eric Valentin

 Avec : Marie-Claude Pietragalla, et la participation de Daniel Mesguich et Marek Halter
Pietragalla Compagine - Le Théâtre du corps

Vendredi 08 avril 2011,  Théâtre du Léman, Genève


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