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critiques et comptes rendus
Ballet National de Bordeaux

27 mars 2011 : Soirée Balanchine au Ballet National de Bordeaux


stravinsky violin concerto
Stravinsky - Concerto pour violon


Toute compagnie de ballet de répertoire se doit d’y intégrer des œuvres de Balanchine, et si possible les plus emblématiques de son art, voire les plus populaires. Chorégraphe peut-être le plus célèbre du 20ème siècle, considéré aux Etats-Unis comme le pionnier de la danse classique, il est forcément incontournable au fil des saisons. La difficulté est qu’il a développé et fixé (pour l’éternité?) un style spécifique, que doit s’approprier qui veut aborder ses œuvres. Dans cette intention, le George Balanchine Trust, animé par d’anciens danseurs ayant côtoyé le maître, veille au grain, et s’attache à préserver l’intégrité de l’héritage.

Pour ce programme le Ballet de l’Opéra National de Bordeaux a choisi de reprendre Apollon et Les Quatre tempéraments, et de présenter pour la première fois Stravinsky - Concerto pour violon. Bien que créés à des époques différentes, ces trois ballets renvoient à la même continuité esthétique, celle que George Balanchine voulait simple et dépouillée. Plateau nu devant un fond lumineux, danseurs en tenue de répétition (justaucorps noirs ou blancs pour les filles, collants noirs pour les garçons), rien ne doit détourner l’attention de la danse, si ce n’est l’écoute de la musique, qui lui est intimement mêlée.

stravinsky violin concerto
Igor Yebra et  Oksana Kucheruk dans Stravinsky - Concerto pour violon

Appartiennent à cette veine de nombreux ballets construits sur des musiques de Stravinsky. C’est donc le cas de Concerto pour violon, récemment rebaptisé Stravinsky - Concerto pour violon au New York City Ballet. Balanchine régla une première version de ce ballet en 1941, sous le nom de Balustrade. Trente ans plus tard, à la mort de son ami musicien, le chorégraphe en conçut une nouvelle version, affirmant qu’il en avait complètement oublié la chorégraphie originale, qui avait pourtant enthousiasmé le compositeur. Il serait vain et cuistre d’essayer d’imaginer ce que Mr B voudrait en faire encore quarante ans plus tard, mais l’anecdote est significative du caractère fugace propre à l’art dansé. Elle ne peut nous conduire qu’à davantage d’indulgence sur nos désirs d’authenticité.

Si les titres des mouvements du concerto sont d’évidence empruntés à Jean-Sébastien Bach : Toccata, Aria, Capriccio, de même que l’utilisation du contrepoint, témoignant d’une époque où on regardait vers le passé, les recherches de sonorités, de rythmes, et la danse russe du Finale sont caractéristiques du compositeur.

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Oksana Kucheruk et Igor Yebra  dans Stravinsky - Concerto pour violon

Les deux pas de deux sur les Arias 1 et 2 forment le cœur battant du ballet, les deux couples successivement sur scène présentant deux discours amoureux différents. Juliane Bubl et Alvaro Rodriguez Piñera dans Aria 1 nous montrent une danse pleine de vigueur, des mouvements précis et contrastés. Oksana Kucheruk et Igor Yebra, étoiles de la compagnie, les surpassent dans Aria 2 par leur amplitude, leur engagement, leur harmonie, mais aussi par les sentiments d’une grande subtilité qu’ils expriment.

Autour d’eux, le corps de ballet évolue avec un grand respect de la musique, déployant beaucoup de vitalité dans la danse russe, même si l'on remarque ici ou là quelque regard mal assuré. On regrette au passage l’éclairage de la scène imparfaitement ajusté, donnant presque par moments des effets de contre-jour malvenus. En revanche dans la fosse, le chef d’orchestre Fayçal Karoui, par ailleurs directeur musical du New York City Ballet, et le violoniste Mathieu Arama, qui fait montre d’un sens de la couleur dans sa difficile partie de soliste, ne méritent que des éloges.

apollon
Roman Mikhalev, Marina Guizien, Diane Le Floc'h et Vanessa Feuillatte dans Apollon

Balanchine n’a cessé, au fur et à mesure des reprises, de chercher à épurer son ballet Apollon. Créé en 1928 sous le titre Apollon musagète, il s’inspirait des ballets à entrées et à sujets mythologiques de la cour de Louis XIV. Danseurs en simple tunique blanche, sans décor et finalement sans prologue présentant la naissance du dieu, l’œuvre s’est progressivement recentrée sur sa signification profonde : la vision allégorique de la création chorégraphique. C’est sous cette forme qu’il nous est donné aujourd’hui par le Ballet de Bordeaux.

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Vanessa Feuillatte et Roman Mikhalev dans Apollon

Roman Mikhalev est un Apollon tout de puissance contenue, à la technique irréprochable. Malheureusement, sa danse directe et trop au premier degré ne laisse pas apparaître le personnage divin au-delà du danseur. Il manque le mystère du dieu omniscient. De ce fait, l’attention se porte davantage sur les trois muses, symbolisant chacune un aspect de la danse.

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Vanessa Feuillatte et Roman Mikhalev dans Apollon

Marina Guizien en Calliope, à l’allure tout d’abord un peu timide, évoque remarquablement dans sa variation l’éloquence du geste. Diane Le Floc'h est mutine et pleine de charme en Polymnie, personnifiant avec grâce l’expression dramatique. Mais c’est Vanessa Feuillatte en Terpsichore qui domine la distribution. Cette superbe danseuse à l’énergie débordante démontre un travail technique sans faille, des mouvements très purs, toujours au service de l’expression juste. Conduite par le dieu «musagète», elle en devient finalement la véritable inspiratrice.

quatre temperaments
Les Quatre tempéraments

Il serait absurde de chercher dans Les Quatre Tempéraments de Balanchine, une interprétation de la théorie médicale d’Hippocrate, selon laquelle le corps humain est irrigué de quatre humeurs, correspondant chacune aux quatre éléments de l’univers. Tout au plus
peut-on y voir une expression visuelle de l’œuvre musicale de Paul Hindemith, d’une grande cohérence architecturale dans l’esprit néo-classique. Ballet d’une lumineuse beauté, sans aucun temps mort, il nécessite des interprètes à la hauteur. Le Ballet National de Bordeaux l’a mis à son répertoire en 2004 et s’y sent visiblement à l’aise. Parmi les solistes qui se succèdent, il faut admirer l’humour de Nicole Muratov et Guillaume Debut dans le 2ème thème, l’accord parfait de Yumi Aizawa et Kase Craig dans le 3ème thème, le dynamisme brillant et très balanchinien de Vanessa Feuillatte et Roman Mikhalev dans Sanguin. Igor Yebra est pour sa part saisissant dans Flegmatique, en conjuguant l’élégance avec la sensualité. L’œuvre s’achève dans l’apothéose d’une suite de portés époustouflants.



Jean-Marc Jacquin © 2011, Dansomanie

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quatre temperaments
Vanessa Feuillatte et Roman Mikhalev dans Les Quatre tempéraments


Stravinsky - Concerto pour violon
Musique : Igor Stravinsky
Chorégraphie : George Balanchine

Aria 1 – Juliane Bubl, Alvaro Rodriguez Piñera
Aria 2 – Oksana Kucheruk, Igor Yebra

Apollon
Musique : Igor Stravinsky
Chorégraphie : George Balanchine

Apollon – Roman Mikhalev
Calliope – Marina Guizien
Polymnie – Diane Le Floc'h
Terpsichore – Vanessa Feuillatte

Les Quatre tempéraments
Musique : Paul Hindemith
Chorégraphie : George Balanchine

1er Thème – Marina Guizien, Ashley Whittle
2ème Thème – Nicole Muratov, Guillaume Debut
3ème Thème – Yumi Aizawa, Kase Craig
Mélancolique – Vladimir Ippolitov
Sanguin – Vanessa Feuillatte, Roman Mikhalev

Flegmatique – Igor Yebra
Colérique – Oksana Kucheruk


Ballet National de Bordeaux
Matthieu Arama, violon solo
Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine, dir. Fayçal Karoui

Dimanche 27 mars 2011,  Grand Théâtre de Bordeaux


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