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Ballet du Mariinsky - Baden-Baden 2010
28 décembre 2010 : soirée de gala (Carmen Suite, Scotch Symphony, Etudes)
Ouliana Lopatkina (Carmen) et Danila Korzuntsev (Don José) dans Carmen Suite (chor. Alberto Alonso)
Le
gala de clôture est sans nul doute la principale attraction des
tournées annuelles du Mariinsky à Baden-Baden. En
contrepoint d'une programmation qui se contente le plus souvent de
décliner les classiques que l'on attend de la maison, cette
soirée sait toujours proposer, en guise de dessert aussi copieux
qu'alléchant, des oeuvres rares ou inédites,
associées aux traditionnelles séries de pas de deux.
Cette année toutefois, le gala délaisse les
divertissements virtuoses pour une soirée en forme de
«triple bill», réunissant trois pièces
d'ampleur conséquente et s'inscrivant dans des styles bien
distincts. On goûte d'autant plus cette affiche 2010, aux
couleurs du XXème siècle, que l'on a peu d'occasions de
ce côté-ci de l'Europe de voir représentés Carmen Suite, Scotch Symphony, ou même encore Etudes, tous entrés au répertoire du Mariinsky la saison dernière.
Carmen Suite est
l'un des avatars de la nouvelle histoire d'amour, passablement
incongrue, entre le couple Plissetskaïa-Chédrine et le
Théâtre Mariinsky, ou plutôt son chef
éminent, Valery Gergiev. Dans ce contexte, l'oeuvre d'Alberto
Alonso, chorégraphiée en 1967 sur la musique de Bizet
revisitée par Chédrine, est entrée au
répertoire de la compagnie à l'occasion du festival
d'avril dernier, en même temps qu'Anna Karénine,
sur une partition du même compositeur. Plus de quarante ans
après sa création – pour Maïa -, le ballet
frappe surtout par son étrangeté chorégraphique et
musicale, «datée», comme on a coutume de dire,
à bien des égards, qui en fait davantage une
curiosité historique et esthétique qu'un sommet
incontournable – un indispensable en quelque sorte - du
répertoire d'aujourd'hui. Le caractère novateur de la
scénographie, ainsi que l'érotisme latent de la
chorégraphie, qui avait créé en son temps le
scandale à Moscou, restent cependant encore aisément
perceptibles. L'action, construite autour d'une suite de tableaux
juxtaposés les uns aux autres de manière
délibérément abrupte, se déroule dans
l'espace clos d'une arène symbolique, conçue comme lieu
du combat et de la fatalité. Un rideau de scène rouge et
noir, à l'effigie d'une tête de taureau, place l'oeuvre
sous le signe d'un constructivisme qui inspire l'ensemble de la
scénographie. Cette Carmen Suite
ressemble du reste à un exercice de géométrie :
géométrie du décor, dominé par les couleurs
primaires, géométrie de l'action, libérée
de tout lyrisme et d'une certaine forme de pittoresque espagnol,
géométrie des caractères, stylisés
jusqu'à l'abstraction, géométrie des pas, tout en
parallèles, en lignes droites et en angles coupants, à
l'image des ces chaises étranges qui envahissent la
scène. C'est un choc, il faut le dire, de voir le rideau
s'ouvrir sur Ouliana Lopatkina, la paume ouverte et le bras tendu
à la seconde, dans la pose aguicheuse immortalisée par
Maïa Plissetskaïa. Mais Ouliana ne cherche pas à
singer Maïa dans sa vulgarité ravageuse, ni à
être la Carmen gouailleuse de l'imaginaire populaire, elle
utilise plutôt la chorégraphie, véritable ode
à la plastique de l'interprète, et sa technique, aussi
flamboyante et aiguisée qu'un couteau de brigand andalou, pour
camper une séductrice à la beauté implacable,
jouant sans complexe de tout son corps avec les hommes jusqu'à
la mort. Une physicalité qui pourtant ne s'abstrait jamais du
sens. A ses côtés, Danila Korzuntsev semble avoir
été catapulté en Don José de Lopatkina
uniquement pour des raisons de partenariat. Il réussit toutefois
à convertir son relatif manque d'étoffe dramatique en un
jeu qui fait ressortir la fragilité sentimentale d'un
héros manipulé par la femme et le destin. Konstantin
Zverev domine ici la distribution, se jouant des bizarreries de la
chorégraphie d'Alonso et imposant un Escamillo au grotesque
parfaitement contrôlé, qui se hisse à la hauteur
dramatique de Lopatkina. Yulia Stepanova, enfin, est une captivante
figure du Destin, déployant un style impeccable et une technique
affutée dans un costume de Fantômette interdisant la
moindre défaillance. On retrouve ces mêmes
qualités, servies par une plastique de rêve, chez Nadezhda
Batoeva, Margarita Frolova et Olga Gromova, jeunes recrues du Mariinsky
elles aussi, qui forment le trio des Brigandes.
Alexandre Serguéïev et Anastasia Matvienko dans Scotch Symphony (chor. George Balanchine)
Scotch Symphony,
créé par Balanchine en 1952 à partir d'extraits de
la symphonie éponyme de Mendelssohn, témoigne surtout de
l'intérêt marqué – et sans doute un peu trop
appuyé - de l'actuel directeur de la compagnie, Youri Fateev,
pour le chorégraphe américain, dont il fut longtemps l'un
des répétiteurs au Mariinsky. L'oeuvre, qui se veut une
variation libre et brillante pour solistes et corps de ballet autour de
l'imaginaire de La Sylphide,
est tout à fait charmante, le décor et les costumes
– mélange de pittoresque écossais et de romantisme
éthéré - sont délicieux, le corps de ballet
y est admirable de placement et d'élégance, mais l'on se
demande franchement ce qui imposait cette entrée au
répertoire, en-dehors du fait que le ballet – souvenir,
souvenir... - fait partie des tout premiers Balanchine montés au
Kirov à la fin des années 80 (avec, notamment, Thème et Variations,
présenté l'an dernier en ces mêmes lieux). On ne
peut s'empêcher de penser à cette occasion qu'une
révision-résurrection de l'actuelle production
pétersbourgeoise de La Sylphide,
qui ressemble davantage à un objet de musée qu'à
une oeuvre vivante au style accompli, aurait sans doute eu plus de
pertinence que ce retour en grâce d'un Balanchine oublié.
Pour le reste, cette Symphonie écossaise,
aussi joliment dansée soit-elle, manque de style, ou
plutôt respire un peu trop celui, gracieux et sophistiqué,
du Kirov, pour que l'on y croit vraiment. Anastasia Matvienko offre une
prestation légère et souriante, à la fois
appliquée et musicale, mais sans grand mystère ni
nuances. Ancienne danseuse principale du Mikhaïlovsky, il lui
manque toujours cette aura unique et quelque peu magique – sans
parler du pied sculpté - des ballerines du Mariinsky. La paire
qu'elle forme avec Alexandre Serguéïev, bondissant et
racé, se révèle pourtant fort harmonieuse. On
préférera toutefois au couple principal les demi-solistes
qui les accompagnent ici : Valeria Martiniuk, petit elfe virtuose
déployant son charme dans la première variation, et
Vassili Tkachenko et Alexeï Nedviga, dont les qualités vont
bien au-delà du port impeccable du kilt et du béret.
Viktoria Tereshkina et Vladimir Shklyarov dans Etudes (chor. Harald Lander)
Etudes,
apothéose de virtuosité débridée aux
frontières de l'indécence, apporte la conclusion voulue
à ce gala – explosive, comme il se doit. Le ballet de
Lander, monté une première fois en 2003, est revenu lui
aussi la saison dernière au répertoire du Mariinsky, dans
une version, sensiblement différente de celle de l'Opéra
de Paris, du Danois Johnny Eliasen. Malgré l'attrait que suscite
le ballet, défi technique permanent pour les danseurs,
était-ce bien raisonnable d'achever une tournée - et un
gala de fin de tournée - par cette débauche de pas
d'école, ce déploiement pyrotechnique virant
aisément à la démonstration circassienne? On en
doute un peu à voir ces pieds coquins venant parfois rompre
l'harmonie du corps de ballet, ou ces alignements approximatifs,
notamment lors du final, qui ternissent quelque peu l'exécution
brillante des danseurs du Mariinsky. Aidée il est vrai par une
orchestration – et un orchestre - qui ont clairement
renoncé en cette fin de soirée à toute
subtilité, la troupe en livre une interprétation qui,
à défaut d'être à chaque instant
parfaitement policée, n'est pas non plus dépourvue de
second degré ni d'humour. Le pur exercice technique et ses
contraintes militaires, théâtralisé par Lander, en
est ainsi mis légèrement à distance. Pour servir
le propos du ballet, un trio d'étoiles de haut vol s'impose, et
en l'absence de Léonide Sarafanov, le Mariinsky nous offre sans
doute ce qu'il a de mieux en magasin, avec Denis Matvienko, Vladimir
Shklyarov et Viktoria Tereshkina. Chez les garçons, on pourra
toutefois regretter, en cette représentation un brin
fatiguée, que les qualités de l'un semblent se perdre un
tantinet chez l'autre. Matvienko a pour lui la puissance,
l'énergie et la précision dans les sauts et les tours
– et l'impeccable série de fouettés -, Shklyarov a
le ballon, l'élégance, et l'enthousiasme d'une jeunesse
irrésistible. Pour réconcilier tout le monde, Viktoria
Tereshkina s'impose de manière incontestable à leurs
côtés, malgré deux petites erreurs aussi incongrues
qu'inhabituelles, comme la reine de la soirée. Sa danse
ciselée et spirituelle, d'un raffinement qui évite les
pièges du maniérisme, est de celle, rare, qui convertit
la virtuosité en art. Une grande ballerine dont l'éclat
et l'élégance honorent la tradition aristocratique d'une
compagnie séculaire.
B. Jarrasse © 2010, Dansomanie
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intellectuelle.
Carmen Suite
Musique
: Rodion Chédrine, d'après Georges Bizet
Chorégraphie
: Alberto Alonso, remontée par Viktor Barykin
Scénographie : Boris Messerer
Carmen – Ouliana Lopatkina
Don José – Danila Korzuntsev
Escamillo – Konstantin Zverev
Le Magistrat – Dmitri Pikhachov
Le Destin – Yulia Stepanova
Les Gitanes – Nadezhda Batoeva, Margarita Frolova, Olga Gromova
Scotch Symphony
Musique
: Félix Mendelssohn Bartholdy, extraits de la Symphonie n°3 «Ecossaise»
Chorégraphie
: George Balanchine, remontée par Ben Huys
Costumes : Galina Solovieva
Avec : Anastasia Matvienko, Alexandre Serguéïev
Valeria Martiniuk
Alexeï Nedviga, Vassili Tkachenko
Xenia Ostreikovskaïa, Daria Pavlova, Olga Minina, Diana Smirnova,
Viktoria Krasnokutskaïa, Xenia Romashova, Tatiana Tiliguzova,
Margarita Frolova
Etudes
Musique
: Carl Czerny, orchestration de Knudage Riisager
Chorégraphie
: Harald Lander, remontée par Johnny Eliasen
Lumières : Alexander Naumov
Avec : Viktoria Tereshkina, Vladimir Shklyarov, Denis Matvienko, Alexandre Serguéïev
Orchestre du Mariinsky
Direction musicale : Alexeï Repnikov
Mardi 28 décembre
2010, 20h00, Festspielhaus,
Baden-Baden
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