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Ballet du Mariinsky - Baden-Baden 2010
26 décembre 2010 : Casse-Noisette (Vassily Vainonen)
Casse-Noisette (chor. V. Vainonen)
Casse-Noisette,
c'est évidemment le rituel obligé de décembre, le
ballet indissociable du folklore de Noël. Pas un hasard si le
Mariinsky, envers et contre tout, et malgré des salles
allemandes pas vraiment pleines, continue de l'imposer en série
lors de ses visites annuelles à Baden-Baden, ville de carte
postale qui dissimule forcément, au détour de quelque rue
enneigée, la maison des Stahlbaum. Pour la troupe, cette
tournée est d'ailleurs une occasion unique de danser, en lieu et
place de la production modernisée de Simonov et Chemiakin, la
vieille version classique de Vassili Vainonen,
chorégraphiée en 1934 pour Galina Oulanova, et
réservée à Saint-Pétersbourg aux seuls
élèves de l'Académie Vaganova, qui la dansent
traditionnellement sur la scène du Mariinsky durant les mois
d'hiver.
Détaché de ses racines impériales et
récupéré par une culture à dominante
anglo-saxonne, Casse-Noisette
est devenu bien souvent, dans le monde du ballet occidental, l'objet
kitsch par excellence. Pour les amateurs de productions sucrées
et généreuses en paillettes ou en effets spéciaux,
ou, à l'opposé, de celle, plus sombre et chic, de Rudolf
Nouréev, la version de Vainonen, avec ses tons passés,
risque donc d'avoir l'air aujourd'hui un brin vieillotte,
dépourvue qu'elle est, surtout, de toute la surenchère
spectaculaire qu'on est censé venir chercher dans une oeuvre
originellement dédiée à l'enfance. Le sapin de
Macha, simple décor au centre du salon, ne subit aucune
transformation extraordinaire, les costumes, sans artifices
superfétatoires, ont l'air de sortir d'un antique coffret
à panoplies enfantines et n'ont d'autre fonction que symbolique,
la magie de la Valse des Flocons tient au seul génie
chorégraphique de Vainonen conjugué à la
poésie et au lyrisme d'un corps de ballet russe d'exception, et
le royaume de Confiturembourg se déploie au troisième
acte dans le camaïeu de rose des toiles un peu surannées de
Virsaladze, dont l'onirisme relève plus d'un effort de
l'imagination que d'un faste réel. Aucun mauvais goût
là-dedans – on est au Mariinsky tout de même -, mais
une sobriété de moyens, un réalisme naïf et
stylisé, auxquels des yeux modernes et occidentaux ne sont sans
doute plus guère habitués.
Bien plus que son absence de spectaculaire, cette production,
dansée par la troupe, a quelque chose d'un peu frustrant sur le
plan chorégraphique. Non que l'on éprouverait ici une
quelconque nostalgie pour les déferlements infernaux de pas
à la Nouréev – on s'en nettoierait plutôt
l'esprit! - mais force est de constater que le ballet, tel qu'il a
été créé par Vainonen, convient mieux
aujourd'hui à des élèves d'une école
d'élite (Ivanov l'avait d'ailleurs chorégraphié
pour les élèves de l'Ecole du Ballet Impérial)
qu'à des danseurs connus par ailleurs pour leur
virtuosité extrême. Dans le premier acte, les danses
autour du sapin, traditionnellement réservées aux
enfants, sont exécutées par les adultes, de même
qu'au deuxième acte le combat des Rats, ce qui n'est pas sans
faire naître un certain sentiment d'incongruité, et il
faut attendre la Valse des Flocons – il est vrai, sublime - pour
que le corps de ballet dispose enfin d'une nourriture
chorégraphique un peu plus consistante. Les solistes principaux
sont mieux traités, entre le joli pas de deux du rêve
à la fin du deuxième acte et le grand pas final,
pastichant allégrement l'Adage à la Rose de La Belle au
bois dormant avec ses quatre cavaliers entourant l'héroïne
Macha, mais pour autant, le ballet ne leur offre pas quantité de
moments pour briller dans une pyrotechnie qu'ils seraient
d'évidence à même de soutenir.
Il faut le reconnaître, on aurait sans doute du mal à
envisager la production de Vainonen sous forme de longues séries
de représentations à l'intérêt (a priori)
sans cesse renouvelé, comme on en a l'habitude en Occident. Il
n'empêche, le ballet, livré à petites doses et une
fois l'an dans le cadre de cette tournée allemande,
possède un charme certain, venant de l'évidente
familiarité entre la troupe du Mariinsky et la
chorégraphie, qui fait qu'à aucun moment on ne se pose la
question de la pertinence de la version proposée, tant elle
semble faire corps avec les danseurs. Par son découpage, ses
images mêmes, à commencer par celle de l'arrivée
des invités dans la maison des Stahlbaum, on comprend aussi
qu'elle est la version «princeps» dont s'est nourri le
jeune Noureev, le texte originel sur lequel il a pu rêver
intensément, avant de concocter sa propre relecture, à
l'imaginaire plus sombre et complexe, jusque dans l'écriture
chorégraphique.
La représentation du 26 réunissait Olessia Novikova et
Léonid Sarafanov dans les rôles principaux et
s'annonçait surtout comme la «dernière» de
Sarafanov au Mariinsky, engagé au Mikhaïlovsky comme
danseur étoile à compter de janvier 2011. Tous deux ont
incontestablement le charme juvénile et les physiques
délicats qui se prêtent à ces rôles de
fantaisie, ne péchant ni par un excès de dramatisme ni
par une maturité physique déplacée. Olessia
Novikova campe au début une petite fille naïve et
émerveillée, dont le jeu, à la
théâtralité certes conventionnelle (mais le ballet,
construit autour d'archétypes de conte, en demande-t-il
tellement plus?) met bien en valeur la dimension initiatique de
l'intrigue, dès lors qu'elle se métamorphose dans le
grand pas de deux final en une princesse imposant son autorité
par le raffinement et l'élégance de sa danse. L'entente
des deux danseurs est visible, bien que Sarafanov soit loin de se
montrer le meilleur des partenaires sur le plan technique, commettant
quelques erreurs dommageables dans les soutiens et portés des
deux pas de deux du ballet. Sa variation au dernier acte est en
revanche déconcertante d'aisance, de précision et de
brio, au point qu'on se demande vraiment ce qu'il faut pour
dérider le public allemand et le sortir de sa froideur polie. Au
final, leur duo, qui cède parfois à une forme de
démonstration, malheureusement non dépourvue de quelques
approximations, n'effacera pas le souvenir de la pureté
classique de Ekaterina Osmolkina et Vladimir Shklyarov, vus ensemble
dans ce même ballet et en ces mêmes lieux il y a trois ans
de cela.
Le ballet laisse peu de place à des rôles
intéressants pour les demi-solistes – et il y a vraiment
de quoi se désoler, entre autres petites choses, de voir
l'excellente Yana Selina réduite au premier acte à celui
de Luisa, qui n'a même pas ici de variation à
portée de bras ou de pointe pour lui permettre de briller
quelques brèves minutes. La prestation de Youri Smekalov en
Drosselmeyer a néanmoins de quoi retenir l'attention au premier
acte, plus peut-être que les divertissements qu'il offre
successivement aux enfants, dont les interprètes apparaissent un
peu en retrait, en-dehors de Fiodor Murashov, toujours parfait en
Bouffon. Malgré le caractère très conventionnel de
ce rôle de vieux magicien vaguement excentrique, Smekalov (qu'on
avait pu apprécier dernièrement au Châtelet en
génial Chambellan dans Le Petit Cheval Bossu de
Ratmansky) parvient, par le seul art de la pantomime, à lui
instiller quelque chose de personnel, laissant deviner toutes les
qualités dramatiques d'un artiste qui a fait ses armes
auprès de la troupe de Boris Eifman avant de rejoindre le
Mariinsky. Dans le dernier acte, les danses de caractère ne
permettent peut-être pas de livrer des prestations d'anthologie,
mais demeurent une leçon pour les danseurs des troupes
occidentales, souvent guindés ou trop peu naturels dans ce style
de chorégraphie. Si le Trepak est un peu fatigué sur
cette représentation et l'Orientale toujours aussi ennuyeuse, la
Danse Espagnole, interprétée par Olga Belik et surtout
l'impeccable Karen Ioannissian, se révèle très
séduisante, de même que la Danse Chinoise, menée
avec entrain et précision par Yulia Kasenkova et Islom
Baimuradov. Le trio des Mirlitons laisse également voir un
excellent Alexeï Timofeev, aux côtés des ravissantes
Yana Selina et Irina Golub.
A défaut d'un feu d'artifice pour les divers solistes, ce
Casse-Noisette aura en tout cas permis d'apprécier le lyrisme et
l'élégance uniques du corps de ballet du Mariinsky,
particulièrement en forme sur cette représentation et sur
les deux gros morceaux de bravoure que sont la Valse des Flocons et la
Valse des Fleurs, qui accompagne le pas de deux final,
transformé en partie en pas de six. La Valse des Flocons en
particulier, malgré un très léger décalage
entre les Deux Flocons en chef, Daria Vasnetsova et Oxana Skorik, est
un miracle d'harmonie musicale et de poésie aérienne, qui
parvient à faire oublier l'investissement physique qu'il
demande, jusqu'au moment un peu plus laborieux de la
«remontée des Flocons», sorte de pastiche
inversé de la «descente des Ombres», destinée
à conclure le tableau.
B. Jarrasse © 2010, Dansomanie
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par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la
propriété
intellectuelle.
Casse-Noisette
Musique
: Piotr Ilitch Tchaïkovsky
Chorégraphie
: Vassily Vainonen
Scénographie : Simon
Virsaladzé
Le Conseiller Stahlbaum – Vladimir Ponomarev
Mme Stahlbaum – Elena Bazhenova
Drosselmeier – Youri Smekalov
La Grand-mère – Svetlana Khrebtova
Le Grand-père – Stanislav Burov
La Nourrice – Lioubov Kozharskaya
Franz – Xenia Romashova
Luisa – Yana Selina
Macha – Olessia Novikova
Casse-noisette / Le Prince – Léonide Sarafanov
Le Bouffon – Fiodor Murashov
La Poupée – Yulia Kasenkova
Le Maure – Alexeï Timoféev
Le Roi des Rats – Soslan Kulaev
Deux Flocons – Daria Vasnetsova, Oxana Skorik
Danse Espagnole – Olga Belik, Karen Ioanissian
Danse Orientale – Elena Bazhenova, Svetlana Khrebtova, Lioubov Kozharskaya, Maria Shevyakova, Irina Prokofieva
Danse Chinoise – Yulia Kasenkova, Islom Baimuradov
Trepak (Danse Russe) – Margarita Frolova, Nadezhda Batoeva, Mikhaïl Berdichevsky
Danse des Mirlitons – Yana Selina, Irina Golub, Alexeï Timoféev
Orchestre du Mariinsky
Direction musicale : Alexeï Repnikov
Dimanche 26 décembre
2010, 20h00, Festspielhaus,
Baden-Baden
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