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The Royal Ballet (Londres)
27 novembre 2010 : Cinderella / Cendrillon (Frederick Ashton) par le Royal Ballet
Cinderella (chor. Frederick Ashton)
Cendrillon
en matinée, dans le froid glacial de novembre, c'est un peu,
sans les chichis parisiens, le spectacle «Rêve
d'enfants» du Royal Opera House. C'est en tout cas la
présence garantie dans la salle d'un jeune public arborant en
masse le col claudine et le charles IX, venu s'enthousiasmer en famille
de la féerie très premier degré du ballet
d'Ashton. Hasard ou nécessité, même la distribution
du jour se met à l'heure de la jeunesse, puisque ce sont deux
espoirs de la troupe, certes déjà bien confirmés,
Yuhui Choe, première soliste, et Sergueï Polunin, danseur
principal, qui se retrouvent au centre du ballet, dans les rôles
de Cendrillon et du Prince.
A l'affiche en alternance avec Sylvia, Cendrillon
nous ramène une nouvelle fois à Frederick Ashton,
chorégraphe historique de la maison de la reine. La
différence avec la Sylvia restaurée et rutilante de 2004, c'est que cette Cendrillon,
reprise régulièrement depuis 62 ans d'existence, est bel
et bien d'époque. Chorégraphiée en 1948 pour ce
qui s'appelait alors le Sadler's Wells Ballet, elle est aussi la
première version occidentale du ballet de Prokofiev,
composé durant la guerre. Depuis, les décors et les
costumes ont sans doute dû subir quelques nécessaires
petites réfections, mais l'on sent bien que ce n'est pas
là l'objet principal de la production, conservée
pieusement dans sa littéralité théâtrale.
Preuve en est, les portraits de Prokofiev et d'Ashton qui nous
regardent d'un air respectable, dès l'entrée, du haut de
la cheminée de la maison de Cendrillon...
Les «Ugly Sisters» de Cinderella (chor. Frederick Ashton)
La
version d'Ashton offre une lecture traditionnelle du conte,
dépourvue de tout psychologisme, mais qui n'en est pas moins
typée et caractéristique. Si la chorégraphie sent
très fort son Petipa et multiplie les clins d'oeil -
sérieux ou amusés - aux classiques, Ashton a su toutefois
en accommoder la russité originelle à la sauce anglaise,
en introduisant notamment dans le livret les rôles travestis des
«Ugly Sisters». Presque plus que le Prince et sa
dulcinée, ces deux-là, traditionnellement
interprétées par des hommes, deviennent les
véritables héroïnes du ballet, conspuées
autant qu'acclamées par un public qui a vraiment l'air de les
adorer. Bref, entre variations virtuoses, adages, et portés
poisson (étrangement, l'acmé chorégraphique du
ballet se trouve dans la scène du bal et non dans le dernier
acte), le ballet offre, en miroir de cette tradition familière,
une belle petite série de saynètes de pantomime à
l'anglaise, étalées sur les trois actes, dont on est
sûr au moins qu'on en verra de semblables nulle part ailleurs.
Pas de marâtre omnipotente et tyrannique ici, mais un père
falot et peu présent, une marraine-fée, tout ce qu'il y a
de plus féerique, avec robe en tulle mauve de rigueur et
baguette magique à pointe en strass, un défilé de
saisons virtuoses, un maître de ballet ridicule... Les fantaisies
cendrillonesques parisiennes rappellent aussi de temps en temps que
notre bon Rudi savait aussi son Ashton sur le bout des doigts.
Le Prince et Cendrillon, Cinderella (chor. Frederick Ashton)
On n'a pas vu cette Cendrillon
anglaise trente-six mille fois, mais on a vraiment envie de croire que
Yuhui Choe et Sergueï Polunin en sont une sorte d'incarnation
idéale. Non pas la distribution «qui assure», celle
qu'on glisse en matinée pour un public de provinciaux toujours
contents, mais celle, vraiment magique, qui saura mettre tout le monde
d'accord quand les Cojocaru et Kobborg auront définitivement
raccroché les chaussons. Yuhui Choe a un charme fou, une
bonté et une ingénuité sans manières qui
séduisent d'emblée et pour longtemps. Sa danse
ciselée est un rêve de raffinement technique et de
précision musicale. Pour ne rien arranger à l'affaire,
elle a des bras merveilleux, ses pieds sont plus délicats et
soignés que ceux d'une danseuse de l'Opéra de Paris et
ses manèges de tours piqués, dans le grand pas de deux du
bal, sont tellement parfaits et millimétrés qu'on a envie
d'en pleurer. Face à elle, Sergueï Polunin a la noblesse
juvénile et néanmoins autoritaire - cet air de grandeur
des princes de théâtre qui ne se fabrique pas. En toute
simplicité, il réussit absolument tout ce qu'il fait -
tours en l'air, pirouettes, sauts, portés - et en plus, il sait
y mettre le panache. On pourra toujours arguer que les rôles
qu'ils incarnent sont à peu près vides psychologiquement
parlant, on pressent qu'avec ces deux-là - copains comme cochons
ils ont l'air en plus -, on a affaire à du lourd, du genre qui
rameute à eux seuls du public, bien au-delà des
lointaines banlieues londoniennes.
Les «Ugly Sisters» de Cinderella (chor. Frederick Ashton)
En contrepoint des gentils héros, qui paraissent, voire
glissent, dans ce ballet plus qu'ils ne le jouent, Philip Mosley et
Thomas Whitehead offrent, en «Ugly Sisters», un vrai
numéro de théâtre, très incarné, un
de ces numéros éprouvés et archi-codés qui
vous font toucher de près l'âme d'une production, jusque
dans ses costumes hors d'âge sortis tout droit d'une gravure
d'autrefois. Tout est naturel dans leur grotesque parodique
(peut-être pas assez différencié dans cette
paire-là?) ; en un mot, ils nous font rire - et pas jaune. Du
côté des Fées, Francesca Filpi se montre fort
convaincante en Marraine de charme de Cendrillon, aussi puissante que
généreuse dans sa danse. Sa petite troupe
saisonnière est un peu plus inégale – ni Akane
Takada ni Laura Morera pour enchanter cette distribution! -, même
si l'on a bien envie de mentionner Elizabeth Harrod en Fée du
Printemps, pour sa musicalité, sa vélocité et sa
danse primesautière, des qualités qui donnent une belle
idée de ce que peut être le style ashtonien accompli. En
revanche, Itziar Mendizabal (l'une des toutes dernières recrues
du Royal Ballet chez les solistes), qui incarne là une
Fée de l'Hiver hiératique et tout en jambes, semble avoir
encore du chemin à faire dans ce domaine, tout au moins au
regard de ses consoeurs, plus anciennes dans la boutique. Fernando
Montaño est le Bouffon, rôle de virtuose bondissant
chargé d'animer en grande pompe l'acte du bal et qui vous taille
un succès public garanti lorsqu'il est assuré avec brio.
On aurait bien aimé y voir James Hay, initialement prévu
sur cette matinée, mais à vrai dire, on ne perd pas non
plus au change, il y a de la matière - à tourner,
à sauter et à se réceptionner plus que proprement
- chez le Cubain. Enfin, si les filles semblent montrer plus de
discipline dans les ensembles que les garçons (on se surprend
à voir les Amis du Prince se comporter dans un pas de quatre en
purs solistes - ah oui, c'est vrai, c'est le Royal Ballet!), de
manière générale, le corps de ballet offre une
prestation très honorable et équilibrée dans cette
Cendrillon, supérieure en tout cas à celle de Sylvia la
veille. A l'image de l'orchestre (Sorokin 1 – Gruzin 0), ô
combien plus performant avec la partition de Prokofiev qu'avec celle de
Delibes.
B. Jarrasse © 2010, Dansomanie
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Cinderella (Cendrillon)
Musique : Serge Prokofiev
Chorégraphie : Frederick Ashton, remontée par Wendy Ellis Somes
Scénographie : Christopher Carr
Décors : Toer van Schayk
Costumes : Christine Haworth
Lumières : Mark Jonathan
Cendrillon – Yuhui Choe
Le Prince – Sergueï Polunin
Les Belle-soeurs de Cendrillon – Philip Mosley, Thomas Whitehead
Le Père de Cendrillon – Bennet Gartside
La Fée-Marraine – Francesca Filpi
Le Maître à danser – Liam Scarlett
Deux Violonistes – Mark Greensill, David Hanesworth
Un Tailleur – Sander Blommaert
Les Costumières – Claire Calvert, Jacqueline Clark
Le Cordonnier – James Wilkie
Le Coiffeur – Benjamin Ella
Un Bijoutier – Kevin Emerton
La Fée du Printemps – Elizabeth Harrod
La Fée de l'Eté – Olivia Cowley
La Fée de l'Automne – Deirdre Chapman
La Fée de l'Hiver – Itziar Mendizabal
Le Bouffon – Fernando Montaño
Les Amis du Prince – Kenta Kura, Johannes Stepanek, Eric Underwood, Andrej Uspenski
Les Suivants – Ryoich Hirano, Paul Kay
The Royal Ballet
Orchestre du Royal Opera House, Covent Garden, dir. Pavel Sorokin
Samedi 27 novembre 2010, Royal Opera House, Londres
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