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The Royal Ballet (Londres)
26 novembre 2010 : Sylvia (Frederick Ashton) par le Royal Ballet
Zenaida Yanowsky dans Sylvia (chor. Frederick Ashton)
Au classement virtuel des livrets de ballet les plus drolatiques ou (au choix) consternants, Sylvia
mérite sans aucun doute de figurer à la meilleure place.
Le ballet romantique avait libéré la scène des
dieux, des déesses, des tuniques et des cothurnes, mais le
XIXème siècle finissant crut bon de les ressortir en
grande pompe du placard des antiquités. En 1876, Sylvia,
chorégraphié par Louis Mérante sur une musique de
Léo Delibes, est le premier ballet représenté
à l'Opéra tout en ors ruisselants de Charles Garnier,
construit sur les ruines d'un Empire défunt. La Sangalli incarne
alors Sylvia, la nymphe de
Diane, flamboyante et robuste héroïne fin-de-siècle,
aux chairs lascives et aux pointes d'acier.
La Sylvia du Royal Ballet,
évidemment, déroule un autre fil. Ashton, fan de Delibes,
pique le livret à Mérante, mais ce qui l'intéresse
au fond, ce ne sont pas tant les sylvains, les faunes et les satyres de
la mythologie grecque que la reine Margot, dont il s'agit, en 1952, de
célébrer le couronnement en «prima ballerina
assoluta». Pour la Fonteyn, quoi de mieux qu'une nymphe
fière et farouche, et vouée à la chasteté?
Mais l'ouvrage, initialement prévu en trois actes, revu et
corrigé en deux, puis en un, disparaît plus ou moins du
répertoire au fil du temps, jusqu'à ce que Christopher
Newton, un contemporain d'Ashton, se décide à remonter,
en 2004, l'hypothétique ballet originel à la
chorégraphie disparue, pour le centenaire de la naissance du
chorégraphe. Et c'est Darcey Bussell, l'idole du royaume, qui
est alors filmée dans le rôle-titre, aux
côtés de Roberto Bolle en berger d'Arcadie.
Pour peu qu'on ne soit pas trop exigeant en matière de
subtilité dramatique ou qu'on n'attende pas autre chose du
ballet qu'une émotion visuelle, chorégraphique et
musicale, Sylvia se laisse
regarder avec le plaisir que procure une reconstruction réussie
: une scénographie aux décors particulièrement
soignés, entre tableaux de Poussin et peintres pompiers, une
chorégraphie qui, à défaut d'être absolument
authentique, offre ce qu'il faut de virtuosité subtile pour
faire briller, dans ce qu'il a de complexe et de résolument
unique, le style ashtonien, et, pour emballer le tout, une musique dont
on dit que Tchaïkovsky aurait voulu échanger le Ring rien que pour elle...
Zenaida Yanowsky (Sylvia)
Au
départ, il faut bien avouer qu'on ne sait pas trop si cette
Arcadie ressuscitée au XXIème siècle est du lard
ou du cochon, du sucré ou du salé, du lourd ou du
léger. On s'accommode en général volontiers (et
même on en redemande...) des fantaisies excentriques du
XIXème siècle et du kitsch «crème
fouettée » des reconstitutions modernes – Paquita,
Corsaire et autres Fille du Pharaon... Malheureusement, le premier acte
de cette Sylvia («Dans
le bois sacré») est un peu plombé par une
accumulation incessante de péripéties, supposées
dramatiques, toutes plus incongrues les unes que les autres, qui
donnent l'impression d'assister à une Giselle à l'envers,
traitée sur un mode parodique trop peu lisible : ici, c'est le
berger (Aminta) qui est amoureux de la nymphe farouche (Sylvia),
servante de Diane, jusqu'à ce qu'un troisième larron
(Orion), jaloux comme de bien entendu, se débarrasse de
l'importun en enlevant la belle, désormais amoureuse de son
berger en jupette, suite à la fine intervention d'Eros et de son
arc (je résume à gros traits). L'ensemble, à vrai
dire bien compliqué, est livré par le corps de ballet
avec un maximum de gravité et un minimum d'esprit - et de ce
second degré permettant de faire passer, comme dans The Dream,
la pilule de l'invraisemblance mythologique : entrée en
matière orphéonesque de l'orchestre, qui nous massacre
allégrement la jolie petite musique de Delibes (ça
s'arrange par la suite sans pour autant atteindre des sommets de
grâce et de légèreté), corps de ballet d'un
sérieux papal, solistes à l'avenant, malgré
Zenaida Yanowky, ses jambes interminables et un sourire triomphal
à la Alexandrova (marque déposée) absolument
irrésistibles. Rétrospectivement, l'entrée en
scène de l'armée des fines Amazones du Ballet national de
Chine (Sylvia version
Darsonval) avait bien plus de chien et de mordant que celle des petites
Anglaises! Bien sûr, quand on commence à voir la statue de
ce pauvre Eros s'agiter dans les sous-bois, puis se mettre à
lancer des flèches à tout va sur les protagonistes, Eros
(à nouveau) déguisé en sorcier ressusciter le
berger Aminta grâce à sa fleur magique, et les
décors s'animer de toutes parts - avec surgissement de bateau en
prime au deuxième acte (entre Corsaire et Belle au bois dormant)
-, on se dit que la seule issue est d'en rire franchement et de prendre
la chose comme un pur divertissement balletomaniaque.
Le côté positif du ballet, c'est que les choses
s'arrangent grandement pour tout le monde dans les second et
troisième actes – avec même un crescendo sensible de
l'un à l'autre, jusqu'à l'apothéose de kitscherie
bien sentie du feu d'artifice final. Dans la grotte d'Orion, qui
rappelle étrangement celle du Corsaire,
Sylvia, enlevée à Aminta par le méchant Orion, se
délure enfin pour se muer en potentielle
Shéhérazade, tandis que les concubines et les esclaves
s'offrent un divertissement dans le goût exotique,
résolument anachronique, dans le genre de celui de Casse-noisette.
Le dernier acte («Au bord de la mer, près du temple de
Diane»), tour de force de virtuosité ashtonienne
élaboré pour le corps de ballet et les solistes,
évoquerait plutôt le dernier tableau de la Coppélia de Vikharev ou, dans le même esprit, une version anglaise (et fort improbable) du merveilleux Réveil de Flore.
Pas de délicieuse petite chèvre conduisant une cariole
fleurie, mais Akane Takada pour mener, aux côtés de
Michael Stojko, un duo de rêve dans le genre caprin et
anacréontique. En fait, on comprend très bien pourquoi
c'est cet acte qui est plus ou moins parvenu à résister
au temps, par-delà la célèbre variation des
pizzicati.
On s'en doute, seules la personnalité et la virtuosité
des solistes permettent à un tel ballet de tenir debout et de
pétiller – même si l'effet «champagne»
met un certain temps à se mettre en place. Sylvia, c'est le
genre de rôle rêvé pour une étoile d'une
grande compagnie : omniprésence scénique, variations
brillantes en nombre conséquent, costumes mettant
délibérément en valeur la plastique de la
danseuse, trois actes pour trois métamorphoses du personnage,
mais d'une exigence dramatique fort heureusement modérée.
Par son tempérament flamboyant, sa sophistication et sa
féminité monumentale, Zenaida Yanowsky, qui signe
là son retour à la scène après un long
arrêt, se prête bien au rôle et à ses diverses
incarnations. De la nymphe, elle a la beauté et
l'autorité impérieuse au premier acte, la
sensualité et l'espièglerie au second, le brillant et
l'abattage au troisième – et sur l'ensemble, le lever de
jambe facile, spirituel et d'une musicalité à toute
épreuve. Sa taille reste néanmoins une gêne pour
mener véritablement à la perfection les
enchaînements de pas d'Ashton, tout en précision des
accents et en vélocité du bas de jambe. Face à
l'omniprésente Sylvia, le berger Aminta se fait rare, contraint
à la passivité et à l'attente. Un rôle
franchement insipide, jusqu'à la réunion des héros
dans le pas de deux de l'ultime tableau.
David Makhateli (Aminta) et Zenaida Yanowsky (Sylvia)
David Makhateli est grand, beau, avec ce qu'il faut de noblesse et de
sensibilité, et – détail important - il porte
parfaitement la jupette pastorale et le costume de légionnaire
romain. Sans panache excessif, il exécute dans les règles
de l'art le peu qu'il a à faire, notamment en tant que
partenaire, plus à son aise ici que dans le répertoire
purement classique. La seule vraie (et conséquente)
déception vient de Thiago Soares en interprète d'Orion,
qui s'agite beaucoup, multiplie les pirouettes et les mines furieuses,
mais peine à suggérer une quelconque noirceur, au premier
ou au second degré – peu aidé par son lourd
costume, il est vrai. Avec Laura Morera, qui campe le petit rôle
de Diane, on retrouve en revanche le meilleur de la tradition anglaise
en matière de théâtralité. Puissance,
naturel et lisibilité du geste, ça ne ment pas, c'est
incisif sans surjeu, et ça vous saisit sans prévenir
l'espace de quelques instants à la toute fin du ballet. Le
souvenir des amours passées avec Endymion qui s'incruste soudain
dans les nuages de carton-pâte du décor pour anticiper la
clémence de la déesse envers les deux héros
évite même de sombrer dans le complet ridicule, c'est dire
l'exploit commis par la dame! Du côté des demi-solistes,
il y a de l'abattage et du brio chez nombre de danseurs
convoqués au dernier acte, à l'image d'un corps de
ballet, plutôt terne au départ, mais qui monte
sérieusement en puissance et en discipline au fil des tableaux,
pour atteindre un bon rythme de croisière dans le dernier. Chez
Akane Takada toutefois – petits pieds délicats à la
précision toute française, haut du corps expressif
à la mobilité toute russe, vélocité
redoutable et saltation unique, sans parler de l'esprit et de la
finesse en veux-tu en voilà... – on pressent non seulement
le fort potentiel ashtonien, mais plus encore, le fort potentiel tout
court. Un talent multiforme qui devrait la mener très vite
beaucoup plus loin. A suivre!.
B. Jarrasse © 2010, Dansomanie
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intellectuelle.
Sylvia
Musique : Léo Delibes
Chorégraphie : Frederick Ashton, remontée par Christopher Newton
Décors et costumes : Robin et Christopher Ironside, reconstitués par Peter Farmer
Lumières : Mark Jonathan
Sylvia, nymphe de Diane – Zenaida Yanowsky
Aminta, berger – David Makhateli
Orion, chasseur – Thiago Soares
Eros, dieu de l'Amour – Ricardo Cervera
Diane, chasseresse, déesse de la chasteté – Laura Morera
Les Suivantes de Diane – Francesca Filpi, Melissa Hamilton, Hikaru Kobayashi, Laura McCulloch
Kristen McNally, Itziar Mendizabal, Sian Murphy, Samantha Raine
Les Concubines d'Orion – Emma Maguire, Romany Pajdak
Les Esclaves – Fernando Montaňo, Dawid Trzensimiech
Les Chèvres – Akane Takada, Michael Stojko
Cerès et Jason – Claire Calvert, Thomas Whitehead
Perséphone et Pluton – Emma Maguire, Kenta Kura
Terpsichore et Apollon – Lara Turk, Valeri Hristov
The Royal Ballet
Orchestre du Royal Opera House, Covent Garden, dir. Boris Grouzine
Vendredi 26 novembre 2010, Royal Opera House, Londres
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