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Ballet de l'Opéra National de Bordeaux
07 novembre 2010 : Quatre tendances (3) au Grand Théâtre de
Bordeaux
Yumi Aizawa et Marc-Emmanuel Zanoli dans Tétris (chor. Anthony Égéa)
Troisième
édition de la formule, ce programme «Quatre
tendances» ne déroge pas à son principe initiateur
: une création mondiale, suivie de trois œuvres
récentes, présentées dans un ordre
antichronologique. Il se trouve que dans cette disposition,
forcément voulue, la charge émotionnelle ne cesse de
monter d’œuvre en oeuvre, jusqu’au déjà
classique Petite mort, de
Jiří Kylián, créé en 1991. On peut
même avancer que la première partie du spectacle ne semble
qu’une aimable mise en bouche avant une deuxième qui en
fait tout le prix. Faut-il en déduire que la danse actuelle est
dans un creux d’inspiration? Ce serait généraliser
trop rapidement. Disons plutôt que le tamis de l’histoire
fait déjà son tri, même sur une période
aussi courte que vingt ans.
Tétris (chor. Anthony Égéa)
Qui d’entre nous ne s’est jamais essayé à ses
heures perdues au Tétris, ce fascinant jeu vidéo
où il faut imbriquer des formes géométriques le
plus parfaitement possible, sans laisser de vide? A vrai dire, on ne
voit guère le lien avec ce que nous présente sous ce
titre Anthony Egéa, sur une commande de l’Opéra
National de Bordeaux. Les figures ne s’emboîtent ici pas
mieux qu’ailleurs. A moins qu’il ne s’agisse plus
abstraitement d’un assemblage de styles. En effet, Anthony
Égéa s’étant nourri à
différentes sources, du hip-hop à la danse classique, en
passant par une multitude de techniques, son langage restitue ces
diverses influences, pour, selon ses propres mots, «faire
groover» la technique classique. Le résultat n’est
que partiellement convaincant.
Yumi Aizawa et Marc Emmanuel Zanoli dans Tétris (chor. Anthony Égéa)
La toute première partie, utilisant des piétinés
sur pointes, manque par trop de densité pour capter totalement
notre intérêt. Les mouvements secs et anguleux se
déploient avec davantage d’acuité à
l’entrée des garçons, dans un univers tribal
très machiste. Mais c’est dans le superbe duo central
entre Juliane Bubl et Alvaro Rodriguez Piňera que la démarche du
chorégraphe prend tout son sens. La fusion des styles
dégage alors une pleine harmonie. Un deuxième duo entre
Yumi Aizawa et Marc Emmanuel Zanoli achève la pièce
bien abruptement, sans rime ni raison. Est-ce un manque
d’inspiration? Ou bien un refus de se contraindre à la
moindre règle dramaturgique? Tel qu’il est, on distingue
encore des cases vides dans ce Tétris.
Davit Gevorgyan et Guillaume Debut dans The Sofa (chor. Itzik Galili)
The Sofa, de Itzik Galili, est une trop brève pochade burlesque, dans l’esprit d’un numéro de musical.
Un couple s’explique vigoureusement sur un canapé jaune
canari, dans un crescendo de sauts, lancés et portés, de
plus en plus spectaculaires. Le canapé se renverse
d’épuisement et le duo, même
répété à l’identique, prend soudain
une nouvelle tournure, nous emmenant de surprise en hilarité.
Les danseurs s’en donnent à cœur joie, poursuivant
avec bonheur le spectacle pendant les saluts. La silhouette très
fluette et androgyne de Guillaume Debut fait merveille dans le
rôle du trublion.
Stéphanie Gravouille et Felice Barra dans The Sofa (chor. Itzik Galili)
Reprise de Quatre tendances/2, avec la même distribution, Annonciation
d'Angelin Preljocaj affiche une ambition proche de la gageure. Comment
traduire un Mystère chrétien en écriture
chorégraphique? Malgré notre scepticisme initial, la
réussite semble totale, et la vision que propose Angelin
Preljocaj (ou faut-il l’appeler «Fra Angelico Preljocaj»?) est à la hauteur des interprétations picturales des meilleurs maîtres.
La Vierge Marie, isolée des cris de la ville en son jardin clos
et en pleine contemplation, reçoit la visite de l’Ange
Gabriel. Deux univers, spirituel et matériel, deux
temporalités s’opposent, avec d’un côté
la danse lente, recueillie, aux mouvements tout en retenue de la
gracieuse Mika Yoneyama en Marie, et de l’autre les fulgurances
puissantes de Marc Emmanuel Zanoli, accentuées par ses longs
bras expressifs. Leurs gestuelles finissent par se rejoindre, au moment
de l’acceptation du message divin.
Marc Emmanuel Zanoli et Mika Yoneyama dans Annonciation (chor. Angelin Preljocaj)
Parfaite
de forme, l’œuvre s’avère comme l'une des plus
personnelles de son auteur, d’autant plus qu’il en a fait
l’image même de sa création artistique.
Après ce moment sacré, Petite mort,
de Jiří Kylián nous ramène au profane, mais
avec la même hauteur de vue. Moment
d’éternité, d’extase,
suggérée par le titre, dont il faut certainement rendre
le tribut à la musique sublime de Mozart. Mais par quelle magie
créatrice des accessoires aussi grotesques que des demi-robes
à paniers montées sur roulettes peuvent-ils
apparaître comme le summum de la poésie?
Alvaro Rodriguez Piňera et Juliane Bubl dans Petite mort (chor. Jiří Kylián)
Six
hommes, six femmes, six fleurets (symbole freudien s’il en est),
nous racontent la volupté d’aimer. Ce ballet
nécessite, pour donner sa pleine mesure, des danseurs de
première valeur, aussi bien artistique que technique. En
l’occurrence, ceux du Ballet de Bordeaux se montrent à la
hauteur de ce chef-d’œuvre. On passera sur quelques
imprécisions d’ensemble dans le premier andante, mais,
pour n’en citer que quelques uns, Yumi Aizawa, Vladimir
Ippolitov, Oksana Kucheruk, Igor Yebra, possèdent toute la
virtuosité indispensable aux complexes pas de deux de la
deuxième partie.
Igor Yebra et Oksana Kucheruk dans Petite mort (chor. Jiří Kylián)
Le succès de ce rendez-vous annuel du Ballet de Bordeaux ne se
démentant pas, on attend déjà avec impatience la
prochaine saison pour la quatrième édition de Quatre tendances, explorant d’autres aspects de la danse d’aujourd’hui.
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Jean-Marc Jacquin © 2010, Dansomanie
Tétris (chor. Anthony Égéa)
Tétris (création mondiale)
Chorégraphie : Anthony Égéa, assisté de Célia Thomas
Musique : Franck II Louise
Scénographie & lumières : Florent Blanchon
Avec : Alvaro Rodriguez Piňera, Vladimir Ippolitov, Guillaume Debut, Ludovic Dussarps
Davit Gevorgyan, Vladimir Korec, Ashley Whittle, Alexandre Gontcharouk
Marc Emmanuel Zanoli, Felice Barra, Kase Craig
Yumi Aizawa, Juliane Bubl, Vanessa Feuillatte, Darélia Bolivar, Stéphanie Gravouille
Marina Guizien, Laure Lavisse, Diane le Floc'h, Camille Lebesgue, Louise Djabri
Solo filles – Yumi Aizawa
Solo garçons – Alvaro Rodriguez Piňera
1er duo – Juliane Bubl, Alvaro Rodriguez Piňera
2ème duo – Yumi Aizawa, Marc Emmanuel Zanoli
The Sofa
Chorégraphie : Itzik Galili
Musique : Tom Waits
Décors : Ascon Nijs, Janco van Barneveld
Costumes : Nastasja Lansen
Avec : Stéphanie Roublot (?), Davit Gevorgyan, Guillaume Debut
Annonciation
Chorégraphie : Angelin Preljocaj, remonté par Julie Bour
Musique : Stéphane Roy (Crystal Music), Antonio Vivaldi (Magnificat)
Scénographie : Angelin Preljocaj
Costumes : Nathalie Sanson
Lumières : Jacques Chatelet
L'Ange – Marc-Emmanuel Zanoli
Marie – Mika Yoneyama
Petite mort
Chorégraphie, mise en scène, lumières
et costumes : Jiří Kylián
Musique : Wolfgang Amadeus Mozart
Costumes : Joke Visser
Lumières : Joop Caboort
Avec : Juliane Bubl, Diane Le Floc'h, Vanessa Feuillatte
Yumi Aizawa , Stéphanie Gravouille, Oksana Kucheruk
Alvaro Rodriguez Piñera, István Martin, Roman Mikhalev
Vladimir Ippolitov, Ludovic Dussarps, Igor Yebra
Ballet de l'Opéra National de Bordeaux
Musique enregistrée
Dimanche 7 novembre 2010, 15h00, Grand Théâtre de
Bordeaux
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