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Ballet du Mariinsky
01 novembre 2010 : Le Petit cheval bossu (Alexeï Ratmansky), au Châtelet (Paris)
Alina Somova et Léonide Sarafanov dans Le Petit cheval bossu, chor. Alexeï Ratmansky
Unique
soirée accordée au ballet du Mariinski pour sa
tournée-éclair dans la capitale française, la
représentation du Petit cheval bossu
était paradoxalement placée d’abord sous le signe
de la musique. En effet, elle s’inscrivait dans le cadre
d’un hommage rendu au compositeur Rodion Chédrine. Figure emblématique de la musique en URSS sous
l’ère Brejnev – il fut président de
l’Union des Compositeurs Soviétiques (rebaptisée
Union des Compositeurs Russes après l’ouverture du Rideau
de Fer) de 1973 à 1990 – Rodion Chédrine
s’inscrit dans une esthétique foncièrement
académique, qui privilégie l’efficacité
expressive et la facilité de compréhension, en se gardant
délibérément de toute incursion radicale hors du
système tonal.
Si, dans le cadre d’un ouvrage de lyrique ou symphonique, un tel
parti-pris peut sembler d’un anachronisme difficilement
défendable, il en va autrement lorsqu’il s’agit de
fournir le support musical à un ballet, narratif de
surcroît.
Youri Smekalov (croix blanche, à gauche) dans Le Petit cheval bossu, chor. Alexeï Ratmansky
Alexeï Ratmansky, qui s’affirme comme l’un des
chorégraphes les plus marquants de ce début de
XXIème siècle, ne s’y est pas trompé. Il use
de toutes les ressources de la partition composée par
Chédrine en 1955, tirant le meilleur profit d’effets
humoristiques rappelant çà et là l’univers
du film d’animation – ce que fut d’ailleurs aussi le Petit cheval bossu -, un genre dans lequel les Russes se sont
toujours illustré.
La naïveté feinte de l’argument est prétexte
à quelques scènes parodiques, joyeusement subversives,
comme les interventions chaotiques des Boyards, aux furieux airs de
popes en goguette. De même, les traits du Tsar vieillissant,
superbement interprété par un Andreï Ivanov
très en verve, ne sont pas sans rappeler ceux de Vladimir Ilitch
Oulianov. On retrouve ici un peu l’esprit iconoclaste du Clair ruisseau,
que Ratmansky remonta en 2003 pour le Ballet du Bolchoï,
après avoir été interdit, dans sa version
originelle, par Staline peu de temps après sa création en
1935. L’ouvrage avait été – non sans raison!
– jugé par trop irrévérencieux envers ces
messieurs du Politburo et la doctrine officielle qu’ils
défendaient.
Les danses de caractère – notamment la Danse des Gitanes – qui émaillent ce Petit cheval bossu,
également traitées sur le mode de la parodie, sont, elles,
autant de clins d’œil à Marius Petipa, père
spirituel du Ballet impérial, qui, en 1901, avait lui aussi
livré sa version de l’ouvrage, sur une musique de Cesare
Pugni initialement composée à l’attention
d’Arthur Saint-Léon.
Ceci étant posé, il convient également de
souligner qu’Alexeï Ratmansky n’a ici jamais
cherché à faire œuvre d’archéologue.
«Son» Petit cheval bossu
ne partage avec les versions de Saint-Léon, de Petipa ou
d’Alexandre Radounski – le premier à faire appel
à la partition de Chédrine, en 1960 – que
l’argument, inspiré d’un conte versifié par
Piotr Yerchov en 1834.
Si le mérite de la réussite du Petit cheval bossu
revient d’abord à Alexeï Ratmansky, à son sens
de la narration, sa fine compréhension de la musique et sa
solide expérience d’homme de théâtre, la
qualité des interprètes de la troupe du Mariinsky y aura
également largement contribué.
Andreï Ivanov et Alina Somova dans Le Petit cheval bossu, chor. Alexeï Ratmansky
On pense ici tout d’abord à Léonide Sarafanov,
ébouriffant Ivan, virevoltant, bondissant avec une
stupéfiante agilité, sans toutefois effacer totalement le
souvenir laissé par Mikhaïl Lobukhin –
aujourd’hui passé à l’ «ennemi»
moscovite, le Bolchoï – moins virtuose mais plus
comédien dans ce même rôle. Alina Somova, souvent
décriée pour son style peu orthodoxe, eu égard aux
canons stricts du Mariinsky, trouve ici un emploi à sa mesure.
Son hyper-laxité, gage de levers de jambes spectaculaires, est
ici un atout, et la danseuse se révèle une Tsarine vive
et mutine.
Les seconds rôles bénéficiaient pour leur part
d’une distribution de grand luxe : Youri Smekalov, formidable
acteur, en Chambellan, Grigory Popov, indomptable Petit cheval dont les
cabrioles fabuleuses – quels sauts en grand écart facial!
- sans oublier Ekaterina Kondaurova, successivement Pouliche et
Princesse de la Mer, douée d’une plastique parfaite et
d’une stature imposante, et à qui ne manque plus que la
reconnaissance publique que confère un titre
d’étoile. Que cette grâce insigne ne lui ait pas
encore été rendue, relève de l’injustice.
Le Petit cheval bossu (Les Nourrices), chor. Alexeï Ratmansky
Enfin, nos oreilles auront pu se délecter des splendeurs de
l’Orchestre du Mariinsky, à la tête duquel officiait
un Valery Gergiev qui, une fois de plus, n’aura pu
s’empêcher de céder à son pêché
mignon, en mettant les cuivres – splendides au demeurant –
un peu exagérément en avant. Nul ne s’en
étonnera cependant : ce sont les Berlioz, Wagner,
Tchaïkovsky, Moussorgski et autres Chostakovitch qui forment le
parangon sonore du maestro de Saint-Pétersbourg.
R. F. © 2010, Dansomanie
Le Petit cheval bossu
Musique : Rodion Chédrine
Chorégraphie : Alexeï Ratmansky
Décors et costumes : Maxim Isayev
Lumières : Damir Izmagilov
Ivan le Fou – Léonide Sarafanov
La Jeune tsarine – Alina Somova
Le Petit cheval bossu – Grigory Popov
Le Tsar – Andreï Ivanov
Le Chambellan – Youri Smekalov
La Pouliche / La Princesse de la Mer – Ekaterina Kondaurova
Les Chevaux – Kamil Yangurazov, Andrey Ermakov
Danilo – Ivan Sitnikov
Gavrilo – Konstantin Zverev
Le Vieil homme – Roman Skripkine
Les Nourrices – Margarita Frolova, Elizaveta Cheprasova, Ksenia Romashova
Anastasia Nikitina, Valerya Martinyuk, Svetlana Ivanova
Les Danseuses gitanes – Anastasia Petushkova, Polina Rassadina
Ballet du Mariinsky, Saint-Pétersbourg
Orchestre du Mariinsky, dir. Valery Gergiev
Lundi 01 novembre 2010, Théâtre du Châtelet, Paris
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