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Staatsballett Berlin
24 octobre 2010 : La Péri (Jean Coralli), re-chorégraphiée par Vladimir Malakhov
La Péri, chor. Vladimir Malakhov
Des ballets, nombreux, imaginés et écrits par Gautier en tant que librettiste, il ne subsiste aujourd'hui que Giselle. Et Giselle,
«apothéose du ballet romantique» comme disait Lifar,
a relégué tous les autres dans l'oubli et dans la
poussière enchantée des livres d'histoire.
En 2009, Vladimir Malakhov décide pourtant de ressortir La Péri,
vieux succès oublié de Gautier, du cabinet des
curiosités romantiques et de le remonter pour la compagnie
berlinoise qu'il dirige, avec – cerise sur le gâteau -
Diana Vichneva en (re)créatrice du rôle principal à
ses côtés. Un micro-événement à
l'échelle du monde du ballet, qui nous rappelle toutefois que
lorsque l'inspiration chorégraphique en vient à se tarir
un peu partout, se perdant dans des redites sans issue, les
reconstructions - entendues au sens large - de ballets anciens semblent
apparaître de plus en plus souvent comme un recours
séduisant, attractif, susceptible de satisfaire à la fois
l'appétit de danseurs classiques en manque de virtuosité
et un large public d'amateurs et de curieux – du genre
éclairé ou du type néophyte.
Dmitri Semionov (Roucem) entouré des quatre Princesses
La Péri
originelle, représentée en 1843, constitue, signalons-le
au passage, l'un des derniers feux de l'ère des sylphides, des
ondines ou des wilis, toutes ces blanches fées de
théâtre célébrées par Gautier et ses
semblables. L'ouvrage est du reste signé de la même
équipe de collaborateurs, responsable deux années
auparavant du succès de Giselle.
Jean Coralli et Théophile Gautier, respectivement
chorégraphe et librettiste, s'y retrouvent cette fois
associés au compositeur Friedrich Burgmüller, auteur de la
partition du Pas de deux des Paysans, pour mettre en scène les danseurs Carlotta Grisi et Lucien Petipa, déjà protagonistes de Giselle,
dans les rôles principaux. Le ballet répond en outre
parfaitement aux attentes esthétiques du temps,
déclinées autour d'un titre mystérieux, jouant de
la composante surnaturelle inhérente au genre
chorégraphique, et d'une intrigue qui n'est ni plus ni moins
qu'un avatar de celle de La Sylphide, transposée dans un Orient fantasmatique. La Péri
narre en effet l'éternelle histoire d'un héros, libertin
fatigué du nom d'Achmet et ci-devant double de l'artiste
romantique, partagé entre un amour idéal, incarné
par la Péri - fée orientale prenant ici figure humaine -,
et une créature terrestre, représentée par le
personnage vaguement venimeux de Nourmahal. Pour éprouver
l'amour d'Achmet, par-delà la fascination qu'exerce sur lui ses
pouvoirs magiques, la Péri lui apparaît sous les traits
d'une esclave, Leila, dans laquelle le héros saura
évidemment reconnaître toutes les merveilleuses
qualités de sa bien-aimée de l'autre monde. Inutile de se
perdre dans d'autres détails – l'histoire se termine de
toute façon très mal pour Achmet, avant les retrouvailles
post-mortem avec la Péri de ses rêves -, le contenu du
drame tient dans ce schéma triangulaire, prétexte autour
duquel tout le reste, on s'en doute, n'est qu'un festival ininterrompu
de pas et de variations virtuoses mis dans un cadre exotique, entre
harem turco-persan et paradis de Mahomet.
Les Quatre princesses
Nul
doute que la simplicité très romantique de la trame
narrative et l'aura orientaliste qui l'accompagne ont en
elles-mêmes de quoi séduire tous les reconstructeurs
d'aujourd'hui - en mal de sources d'inspiration. Pour autant, ces
éléments, même mis en scène, comme ici, avec
des moyens conséquents - de jolis décors, de jolis
costumes, tous parfaitement photogéniques,... et surtout une
compagnie d'un excellent niveau - ne suffisent pas à eux seuls
à produire, en termes de spectacle, du beau, du bon, de
l'efficace et du solide – fût-il simplement nostalgique. On
est un peu chagrin de devoir le reconnaître, mais La Péri
version Malakhov échoue à dépasser le stade du
charme visuel, bien vite épuisé, attaché à
une production plaisamment emballée. Entièrement
abandonné à lui-même, sans l'appui de notations
chorégraphiques, Malakhov ne fait que livrer ici une
chorégraphie classique passe-partout, qui n'a ni la finesse ni
la séduction savante de l'exercice de style à la Lacotte
ou à la Vikharev. Son plus gros défaut est
d'apparaître totalement déconnectée de la musique,
fonctionnelle, de Burgmüller, ni meilleure ni pire du reste qu'une
autre musique de ballet de la même époque. Le ballet dans
son entier manifeste par ailleurs une volonté bien modeste de
faire revivre de manière cohérente le langage de
l'époque, en adéquation avec la musique. Le style
romantique semble au final se réduire à quelques images
figées, comme les ports de bras et de buste de la Péri,
faisant écho au célèbre Pas de quatre,
chorégraphié par Jules Perrot. En regard, nombre
d'enchaînements apparaissent souvent plus proches du style
«russe international» d'aujourd'hui que du tricotage
raffiné et brillant de pas à la Bournonville. Si l'on est
confronté ici à l'impossibilité de restituer une
chorégraphie «authentique», il reste toujours
l'obligation de créer - ou de recréer - ce qui
constituait le climax du ballet. Las! Les pas se succèdent
mollement (avec un mieux notable dans l'acte II) – pas de deux,
pas de trois, pas de quatre, pas d'ensemble, on s'y perd... –
sans effets sensationnels ni liant pantomimique convaincant, permettant
au drame de se construire peu à peu et de tenir le spectateur un
minimum en haleine en l'attachant aux personnages. Enfin, dans ce
montage bien trop lisse, on ne peut que regretter vivement que les
«highlights» historiques du ballet – le spectaculaire
Pas du songe (durant lequel Carlotta se précipitait du haut de son nuage dans les bras de son bien-aimé) et le Pas de l'abeille,
censé dévoiler toute la sensualité de Leila - la
Péri – aient été gommés.
Le Pas de trois
Face à ce défaut de construction dramatique et au fond de
«spectacle», il paraît bien difficile de reprocher
aux danseurs leur manque d'implication dans l'action ou leur
difficulté à dessiner au fil du ballet des
caractères authentiquement mémorables. Et bien sûr,
n'est pas Diana Vichneva qui veut non plus - pour justifier à
soi seule de l'intérêt d'une production. Restent la
chorégraphie et son propos virtuose, pas toujours très
excitants, comme on l'aura compris, ne serait-ce que musicalement
parlant. Une fois n'est pas coutume, et contrairement à
l'impression laissée par la dernière Bayadère,
ce sont plutôt les garçons, chez les solistes comme dans
le corps de ballet, qui se révèlent les plus convaincants
dans ce domaine. Dans le rôle d'Achmet, Mikhaïl Kaniskin
offre une belle danse, techniquement précise et d'une
détente appréciable, alors même que son jeu, en Don
Juan opiomane et désabusé, reste assez transparent et
stéréotypé, dans ses élans comme dans ses
phases de mélancolie. A ses côtés, Dmitri Semionov,
qui interprète le rôle plus réduit de Roucem,
compagnon de plaisir du héros, est peut-être, en termes de
jeu et de présence, le grand vainqueur de cette
représentation (et l'applaudimètre s'en ressent aussi),
sachant allier une danse spectaculaire et un jeu juste et puissant. Du
côté de ces dames, Polina Semionova, qu'on ne
présente plus, se retrouve là à faire ses
débuts dans le rôle éponyme de la Péri,
créé la saison dernière par Diana Vichneva. Qu'on
se rassure, elle dégage toujours un charme persistant et une
aura indéniable, mais sa danse est en revanche loin de
posséder le cachet romantique, tout en contrastes, et la
générosité spirituelle que l'on attendrait d'un
personnage féerique. Alors qu'elle sait être tout à
fait extraordinaire dans les rôles néo-classiques, mais au
fond très humains, comme celui de Tatiana dans l'Onéguine
de Cranko, elle se montre en revanche très figée, y
compris musicalement, dans ce rôle d'héroïne
passionnée, peinant à assumer la convention romantique et
à suggérer de manière lisible les deux visages de
la Péri, créature surnaturelle, qui se
métamorphose en Leila, esclave en fuite. On l'aurait au
demeurant davantage imaginée dans le rôle de Nourmahal, la
rivale terrestre de la Péri, dont les variations, axées
sur l'ampleur et la sensualité des mouvements, correspondent
idéalement à sa technique et à son style, plus en
puissance qu'en lyrisme.
Elena Pris (Nourmahal)
Mais quoi, sans doute la Semionova ne peut-elle incarner la
méchante du conte!?... Du coup, dans le rôle de
l'héroïne terrestre, Elena Pris, qui remplaçait
l'excellente Beatrice Knop initialement prévue (créatrice
du rôle aux côtés de Vichneva et Malakhov),
déçoit par un jeu terne et une danse honnête, mais
sans génie ni charme particuliers. Du charme, du piquant, de la
virtuosité, et surtout une parfaite compréhension du
style romantique, il y en a en revanche à revendre chez Elisa
Carillo Cabrera, la soliste espagnole qui illumine le Pas de quatre de
l'acte I, mettant en scène quatre Princesses «de
caractère», incarnant chacune une contrée
(l'Ecosse, l'Espagne, la France et l'Allemagne). Si le quatuor des
filles, qui intervient à plusieurs reprises dans le ballet, se
révèle un brin inégal dans les variations de
l'acte I, le trio des garçons de l'acte II, malgré des
danseurs physiquement dissemblables, fait preuve de beaucoup plus de
précision, d'autorité et de dynamisme dans ses
évolutions, à l'image d'ailleurs des divers ensembles
masculins, impeccables, quelle que soit au demeurant la qualité
de la chorégraphie qu'on leur impose.
La Péri, chor. Vladimir Malakhov
Des
satisfactions ponctuelles qui ne rattrapent toutefois pas
l'échec patenté de cette luxueuse reconstruction - jolie,
décorative, mais encore? Sans doute son seul
intérêt est-il de nous permettre a contrario de mesurer
désormais tout le talent multiforme, et pourtant souvent
discuté, d'un Ratmansky, d'un Lacotte, d'un Vikharev, dont les
productions réussissent, elles, à faire sens, chacune
à leur manière. On attendra donc avec une certaine
circonspection l'entrée au répertoire en avril prochain
d'un autre joyau du répertoire romantique, l'Esmeralda de Perrot remontée récemment par Yuri Burlaka et déjà éprouvée par le Bolchoï.
B. Jarrasse © 2010, Dansomanie
La Péri
Musique : Friedrich Burgmüller, arr. Roland Bittmann et Torsten Schlarbaum
Chorégraphie : Vladimir Malakhov
Décors et costumes : Jordi Roig
Lumières : David Bofarull
La Péri / Leila – Polina Semionova
Achmet – Mikhaïl Kaniskin
Nourmahal – Elena Pris
Roucem – Dmitri Semionov
La Princesse écossaise / Une Péri – Sarah Mestrovic
La Princesse espagnole / Une Péri – Elisa Carillo Cabrera
La Princesse française / Une Péri – Corinne Verdeil
La Princesse allemande / Une Péri – Krasina Pavlova
Pas de trois – Alexander Korn, Rainer Krenstetter, Dinu Tamazlacaru
Staatsballett Berlin
Staatskapelle Berlin, dir. Paul Connelly
Dimanche 24 octobre 2010, Schiller Theater, Berlin
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