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Théâtre National de Chaillot (Paris)
01 octobre 2010 : Suivront mille ans de calme, d'Angelin Preljocaj
Suivront mille ans de calme, chor. Angelin Preljocaj
Pour l'ouverture de sa 235ème saison, le Bolchoï
s'est offert une création inédite, un ballet d'Angelin Preljocaj, en
forme de célébration «chic et choc» de l'année France-Russie.
L'ouvrage, au titre longtemps indécis, a finalement été baptisé Suivront mille ans de calme, en écho à un verset de l'Apocalypse,
source d'inspiration affichée de la chorégraphie. Onze danseurs de la
troupe de Preljocaj et dix danseurs du Bolchoï, principalement choisis
au sein du corps de ballet (en-dehors de la soliste Anastasia Meskova),
ont ainsi partagé une aventure humaine et chorégraphique de quatre mois,
entre Moscou et Aix-en-Provence, hissant haut le drapeau d'une
«eurodance» contemporaine et conquérante - jusque dans l'un des
bastions les plus réputés de la tradition classique.
Après une série de représentations à Moscou et un petit tour par la
Biennale de la danse de Lyon, l'objet de toutes les curiosités arrive
enfin à Paris, au Théâtre national de Chaillot. Avec toutefois une
nuance de taille par rapport au lieu de sa création : si Angelin
Preljocaj, accompagné par Laurent Garnier, le DJ-phare des années 90
responsable de la bande-son du ballet, a sans doute pu apparaître comme
une sorte d'ovni artistique dans les murs – plus si passéistes que cela -
du Bolchoï, la France, elle, en a fait depuis longtemps un chorégraphe
quasi-institutionnel, talentueux et habile certes, mais plus vraiment
apte à étonner et à apporter du neuf auprès d'un public blasé par les
expérimentations de tous ordres.
L'Apocalypse, rien de plus,
rien de moins, tel est l'argument de départ de ce nouveau ballet – son
titre originel même. La référence religieuse n'est pas neuve chez
Preljocaj, et l'on sait le chorégraphe d'Annonciation
travaillé de manière récurrente par des élans mystiques. Elle semble
néanmoins davantage relever ici de l'argument «marketing»,
éventuellement destiné à impressionner, que traduire un véritable
approfondissement de la parole johannique. Le chorégraphe a d'ailleurs
bien raison de nous rappeler dans ses notes d'intention qu'il propose là
une relecture impressionniste et non raisonnée du texte biblique, car
au fond, il pourrait tout aussi bien s'agir d'une variation autour de la
Bhagavad-Ghita, de das Kapital ou The Origins of Species revisités... que l'on n'y verrait que du feu, à deux ou trois petits détails près.
Sans grande surprise, Suivront mille ans de calme
décline, de manière parfois presque parodique tout au long de ses
tableaux successifs, le vocabulaire bien huilé et aisément
reconnaissable du chorégraphe. Rien de nouveau sous le soleil certes, il
n'empêche, les scènes collectives sont construites de manière rudement
efficace, notamment dans la toute première partie du ballet. Les
danseurs y déploient une gestuelle âpre et répétitive, à laquelle font
écho les grondements habilement utilisés de la musique techno. Leurs
corps énergiques, et pourtant si dissemblables, se fondent idéalement
dans cette construction, pour dire la désolation de l'après-monde ou ce
qu'on perçoit comme une sorte de pré ou post-humanité. En contrepoint,
sur des nappes pianistiques plus classiques, les duos, entre deux
hommes, puis entre deux femmes en vagues costumes d'anges, viennent
rompre la tension, suggérant l'apaisement et l'harmonie retrouvés – sans
doute les mille ans de calme du titre.
Suivront mille ans de calme, chor. Angelin Preljocaj
Peu d'accessoires dans cette dernière création - des chaises, des films
de plastique dans lesquels les femmes se retrouvent enveloppées comme
pour suggérer un retour ultime à l'état foetal, des livres que l'on
jette dans un geste libérateur, à l'image de ces chaînes qui tombent
soudainement des cieux... Si l'on a parfois l'impression de les avoir
déjà vus ailleurs, ils ne semblent ici jamais vraiment de trop, sachant
accompagner la danse, suggérer un propos, sans en faire un prétexte à
l'exposition publique de quelque scénographe à la mode. Les costumes
d'Igor Chapurin sont banals, sobres au point d'en paraître
insignifiants, et l'on se dit pendant une bonne partie du ballet que
Preljocaj a su enfin laisser de côté son obsession de la photo lisse sur
papier glacé, du visuel chic et de l'esthétisme dans l'air du temps,
pour enfin se laisser aller à la danse «pure». Las, les tics, les
trucs et les effets faciles reviennent en force dans la dernière partie.
Un ballet prenant comme référence le texte biblique se devait bien
d'évoquer la luxure vieille comme le péché d'Adam, figurée dans un
imaginaire qui n'hésite pas à convoquer tous les stéréotypes du monde
virtuel contemporain : scène de sexe simulée maladroitement contre un
mur blindé (de banque?), créatures lascives juchées sur d'impossibles
talons, humanoïdes casqués... qui dissolvent le propos chorégraphique
dans un bric-à-brac visuel pénible autant que racoleur. Pas de quoi
fouetter un chat - ni offusquer un bon chrétien -, mais une esthétique
de clip-vidéo qui camoufle mal en ces instants le manque d'inspiration.
Rien n'égale pourtant en grandiloquence démonstrative le final, qui
quitte clairement le terrain de la (pseudo-) mystique pour celui de la
fable politique. Les danseurs se figent alors, enveloppés dans des
drapeaux en guise de burkas symboliques figurant le concert des peuples.
Le tableau s'anime, mimant, dans une apothéose de kitsch bien-pensant,
la repentance collective des nations pécheresses, lavant à grande eau
les drapeaux salis par les guerres dans des éviers géants. Cerise sur le
gâteau, la démonstration est redoublée par la venue sur scène de deux
adorables bébés agneaux bêlants (mais que fait la SPA?) - symbole de
rédemption et clin d'oeil très appuyé, mais bien superfétatoire, au
texte johannique. En refusant de laisser exhiber son drapeau sur la
scène du Bolchoï, la Russie n'a toutefois pas voulu «se salir» dans
cette vaste opération «lavomatic» (Preljocaj lave plus blanc?)... Une
conclusion qui finit en tout cas de faire sourire – ou de consterner.
On passerait pourtant volontiers sur ces facilités ou ces petits ratés
de circonstance, car l'oeuvre, au fond, se regarde avec un plaisir
certain et durable, loin du pompiérisme accablant du récent Siddharta.
Ce que l'on peut regretter en revanche, c'est que l'essentiel, le point
de départ et d'arrivée de ce projet, à savoir la rencontre «choc»
entre des danseurs contemporains occidentaux, excellents dans leur
registre, et des danseurs classiques du Bolchoï, au style et à l'énergie
aussi typés qu'intéressants à exploiter, n'a pas vraiment lieu, ou
plutôt, elle a tellement lieu qu'on ne s'en rend même plus compte. Qui
saurait dire ici qui est qui avec certitude, en-dehors d'une cuisse,
d'un regard ou d'un saut qui résonnent parfois d'une patrie plutôt que
d'une autre? Disons-le tout net, si l'avenir de la danse réside dans
cette espèce de globalisation à l'occidentale, qui dissout toutes les
différences dans le culte du chorégraphe-roi, alors il a, lui aussi
peut-être, des airs de fin des temps..
B. Jarrasse © 2010, Dansomanie
Suivront mille ans de calme
Chorégraphie : Angelin Preljocaj
Musique : Laurent Garnier, Benjamin Rippet, Ludwig van Beethoven
Scénographie: Subodh Gupta
Costumes : Igor Chapurin
Lumières : Cécile Giovansili
Avec : Arsen Karakozov, Anastasia Meskova, Nuria Nagimova, Anton Savichev,
Egor Sharkov, Alexander Smolyaninov, Xenia Sorokina, Anna Tatarova,
Alexey Torgunakov, Anastasia Vinokur (Ballet du Bolchoï, Moscou)
Sergi Amoros Aparicio, Sergio Diaz, Céline Galli, Natacha Grimaud, Jean-Charles Jousni,
Émilie Lalande, Céline Marié, Lorena O’Neill, Fran Sanchez,
Nagisa Shirai, Nicolas Zemmour (Ballet Preljocaj, Aix-en-Provence)
Musique enregistrée
Vendredi 1er octobre 2010, 20h30, Théâtre National de Chaillot, Paris
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