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Festival de Sablé-sur-Sarthe 2010
24 août 2010 : Métamorphose(s) par la Compagnie l'Eventail (Marie-Geneviève Massé)
Métamorphose(s) (chor. Marie-Geneviève Massé)
On
se souvient du Voyage en Europe, de Marie-Geneviève
Massé, qui avait clos dans le parc du château le dernier
Festival de Sablé... Fil conducteur imaginaire entre deux
éditions, le «voyage en Europe» se retrouve
à sa manière au coeur de Métamorphose(s),
création présentée par la troupe de l'Eventail
pour l'ouverture du 32ème Festival, dédiée comme
de coutume à la «belle danse».
Métamorphose(s) s'offre à bien des égards comme
une oeuvre de synthèse pour sa créatrice,
Marie-Geneviève Massé. Fruit de rencontres personnelles
et d'une réflexion engagée il y a plusieurs
années, elle cristallise, de l'aveu même de la
chorégraphe, tous ses rêves d'enfant et d'adulte. On y
rencontre ainsi, non seulement les danses savantes - ces danses de cour
que l'on a coutume de désigner sous l'épithète
commode de «baroque» -, mais aussi les danses populaires,
appréhendées au travers d'un prisme musical et
chorégraphique européen. A la diversité des danses
«anciennes», réinventées par une
mémoire d'aujourd'hui et volontiers associées ici aux
arts du cirque, se superpose naturellement celle des musiques, qui
regroupent aussi bien des airs de Telemann et de Vivaldi que des
musiques puisées dans le répertoire traditionnel de
France, d'Irlande, des pays d'Europe du Nord et de l'Est. Signalons que
ces choix musicaux éclectiques, Marie-Geneviève
Massé les a effectués en collaboration avec les Musiciens
de Saint-Julien, un jeune ensemble dirigé par François
Lazarevitch, formé de cinq instrumentistes et d'une chanteuse,
mis en scène aux côtés des danseurs durant tout le
spectacle et partie intégrante de celui-ci.
Métamorphose(s) (chor. Marie-Geneviève Massé)
A l'image de son titre, aux résonances profondément
baroques, les dix tableaux qui composent le ballet disent la
transformation de la danse populaire en danse savante - leur
imbrication complexe aussi. Métamorphose(s) s'ouvre ainsi sur un
cercle symbolique, celui de la ronde paysanne, bientôt suivie par
d'étranges danses de corde, aussi éloignées que
possible de l'air de cour, mais au fond, la combinaison des
différentes scènes chorégraphiques - leur
succession aussi - ressemble davantage à un rêve
éclaté qui se déploierait dans le temps et dans
l'espace, à une suite mouvante d'images fantasmées,
régie par le principe d'une association libre et subjective,
qu'à une recomposition rétrospective et raisonnée
d'une hypothétique histoire de la danse, qui nous conduirait
– par paliers successifs - d'un village à une cour royale,
de la simplicité archaïque d'une danse paysanne au
paroxysme de sophistication de la danse louis-quatorzienne.
On a beau glisser imperceptiblement d'un style de danse à un
autre, y compris au sein d'un même tableau, au point de les voir
quasiment se dissoudre l'un dans l'autre, c'est malgré tout la
danse populaire qui semble apparaître davantage, par sa richesse
de couleurs et de sons et les possibles qu'elle ouvre à la
créativité chorégraphique contemporaine, comme la
marque visuelle et stylistique du ballet que la mémoire retient.
Au fil des métamorphoses chorégraphiques que dessine
l'ouvrage, cette tonalité «folklorique»,
disséminée en diverses contrées, semble en effet
s'imposer au détriment de la pureté du langage
académique décliné dans les danses de cour, comme
si celles-ci avaient besoin d'un certain apparat formel pour exister
pleinement, là où le présent ballet
préfère opter pour un certain dépouillement
scénographique et des costumes certes historicisants, mais
essentiellement symboliques. Si l'on retient plus
particulièrement, au sein de cet ensemble, la très sonore
et très spectaculaire danse irlandaise, avec ses
étonnantes claquettes déployées comme un jeu sur
un plancher improvisé, le recours fréquent, dans un
espace ouvert et non contraint, à des accessoires
empruntés au monde du cirque, comme les cordes, les ballons ou
les trapèzes, voire les marionnettes, contribue sans doute aussi
à suggérer en filigrane cette emprise plus
générale du populaire sur le noble, du jeu sur le
cérémonial.
Métamorphose(s) (chor. Marie-Geneviève Massé)
Paradoxalement, la plus belle réussite du spectacle
réside dans le fascinant tableau central, «Reflets»,
écrit dans un langage délibérément
académique, décliné dans un clair-obscur
très travaillé, en rupture avec la lumière vive et
colorée qui nimbe la plupart des tableaux. Les
éléments scénographiques – une succession de
miroirs alignés, identiques et mobiles – parviennent ici
à faire sens, sachant aller au-delà de l'effet purement
décoratif qui guette parfois ailleurs, notamment dans le recours
passablement régressif aux ballons, ou encore, dans le leitmotiv
insistant de la poupée animée, qui ouvre et ferme le
ballet, non sans longueurs ni mièvrerie. Cette scène des
miroirs est du reste sublimée par la présence d'une
formidable soliste, Emilie Bregougnon, rejointe ensuite par le
«corps de ballet», dans un effet spéculaire de
déformation et de démultiplication des êtres et des
corps. Si l'ensemble de la troupe de l'Eventail, parvenue aujourd'hui
à un excellent niveau, possède une harmonie et une
précision technique tout à fait digne d'éloges, il
y a là une personnalité scénique qui mérite
d'être plus particulièrement mentionnée, autant
pour son naturel très théâtral, sa
générosité bondissante, que pour sa
virtuosité technique proprement jubilatoire dans le
déploiement de la grammaire baroque. Un phénomène
rare, il faut bien le dire, dans l'univers quelque peu figé des
danses anciennes, où la pureté de l'exécution
n'est pas toujours rehaussée par une interprétation apte
à toucher. De ce point de vue, l'expression faciale, et plus
largement le jeu des regards entre les danseurs et avec le public,
manquent de cette émotion ou de cette chaleur nécessaires
pour faire vivre un spectacle dans le coeur et la mémoire du
spectateur, au-delà de la perfection intrinsèque des
tableaux qui le composent.
Métamorphose(s) (chor. Marie-Geneviève Massé)
En marge de la question de l'interprétation, le ballet
mérite également d'être retravaillé dans ses
liaisons entre les différents tableaux. On peut regretter que la
mise en scène, très étudiée par ailleurs,
souvent ingénieuse, et très peu avare en accessoires de
toutes sortes, n'ait pas su construire de véritables ponts entre
ceux-ci, transformant pour le coup les «noirs» dans
lesquels se retrouve plongée la scène dans ces
moments-là en véritables «blancs» pour le
spectateur. Le ballet semble alors se contenter de juxtaposer des
images, figées alors par cette "extinction des feux",
plutôt que d'en approfondir la dimension kaléidoscopique
et mouvante, ainsi que le suggèrent le titre et l'esprit de
l'ouvrage. Cette légère impression d'inachevé ne
vient cependant pas ternir la sensation de plaisir que ce spectacle
très poétique procure dans son ensemble.
B. Jarrasse © 2010, Dansomanie
Métamorphose(s)
Chorégraphie : Marie-Geneviève Massé , assistée de Marie Blaise
Conception : Marie-Geneviève Massé et Vincent Tavernier
Musique : Georg Philipp Telemann, Antonio Vivaldi, musiques tradtionnelles
de France, d'Irlande, d'Europe du Nord et de l'Est.
Costumes et éléments visuels : Claire Niquet
Lumières : Carlos Perez
Danse : Marc Barret, Bruno Benne, Sarah Berreby,
Anne-Sophie Berring, Marie Blaise, Bérengère Bodenan,
Emilie Bregougnon, Olivier Collin, Anna Romani
Marionnettes : Pascale Blaison,
Acrobatie aérienne : Volodia Lesluin,
Les Musiciens de Saint-Julien, dir. François Lazarevitch
Mardi 24 août 2010, 21h00, Centre culturel Joël Le Theule, Sablé-sur-Sarthe
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