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Ballet du Mikhaïlovsky (Saint-Pétersbourg), tournée à Londres 2010
22 juillet 2010 : Le Lac des cygnes (chorégraphie A. Messerer / A. Gorsky) au Coliseum
Le Lac des cygnes (chor. Assaf Messerer / Alexander Gorsky)
Après Laurencia,
trésor revivifié de la période soviétique,
le Ballet du Théâtre Mikhaïlovsky revient à
ses classiques avec Le Lac des cygnes. L'écart n'est pourtant que de surface, puisque Le Lac
que propose – en plusieurs épisodes - la compagnie
à l'occasion de sa tournée londonienne, est, à
l'instar de Laurencia,
une production de la récente saison, symbole du renouveau de la troupe
entamé depuis quelques années. Mikhaïl Messerer, sans doute pour se
distinguer du Mariinsky voisin et de son inusable version Serguéïev, a
ainsi choisi de remonter pour la troupe qu'il dirige la version
d'Alexandre Gorsky, revue pour le Bolchoï par Assaf Messerer en 1956.
Version familiale en quelque sorte et version familière à Londres aussi,
puisque c'est celle qui avait été présentée en cette même année 56 lors
de la première grande tournée occidentale - et londonienne - de la
compagnie moscovite.
Ce «nouveau» Lac, très
classique dans la forme, n'est certes pas à même de bouleverser les
habitudes des familiers des versions russo-soviétiques du ballet. Ils y
retrouveront avec plaisir aussi bien l'esthétique troubadour que le
Bouffon sauteur et l'indispensable happy end...
Il parvient cependant à renouveler sensiblement l'intérêt qu'on l'on a à
revoir encore et encore ce ballet, grâce à une chorégraphie qui se
distingue assez nettement des versions actuelles dansées au Bolchoï et
surtout au Mariinsky. La Valse initiale, le Pas de trois, les ensembles
des Cygnes, ou bien encore les danses de caractère, y possèdent ainsi
leur propre personnalité, et l'impression qui s'en dégage à première vue
est celle d'un ballet rendu plus virtuose, plus technique, plus
athlétique - plus moscovite en un mot. Les Cygnes notamment sont soumis
à rude épreuve tout au long des actes blancs avec des déplacements
complexes et fréquents. On semble ici moins dans la pose esthétique et
chorale - poussée à son paroxysme au Mariinsky -, davantage dans
l'action et le vouloir – en écho aux sentiments d'Odette. Ces
différences notables expliquent d'ailleurs peut-être certains
flottements dans la discipline d'ensemble du corps de ballet du
Mikhaïlovsky, aux lignes parfois quelque peu approximatives et sauvages,
sur une scène qui leur permet toutefois de se déployer avec beaucoup
d'ampleur et de liberté.
Le Lac des cygnes (chor. Assaf Messerer / Alexander Gorsky)
Outre le «renouvellement» de la chorégraphie, la grande réussite de
cette production – ce qui reste par-delà les interprètes du jour -
réside dans les décors et les costumes de Simon Virsaladze, revus par
Viacheslav Okunev, fastueux sans ostentation. Là où Laurencia, joliment pittoresque, sombre dans l'écueil du trop neuf ou du trop brillant, ce Lac
parvient à proposer tout au long des quatre actes un écrin magnifique à
la danse, dans la tradition gothique-troubadour certes, mais servie par
des moyens actuels, bien dosés – avec ce qu'il faut de patine - et
manifestement très conséquents. Si les costumes de l'acte I rappellent
un peu le style de la production de Grigorovitch au Bolchoï, l'habillage
de l'acte III se révèle un vrai délice pour les yeux, des costumes
sylphide des Fiancées jusqu'aux atours portés par la Reine et les
danseurs de caractère.
Ironie – et hasard - des programmations, c'est une étoile londonienne,
Tamara Rojo, habituée à danser ici même le rôle d'Odette-Odile à
longueur de saisons, qui se retrouve l'invitée du Mikhaïlovsky pour une
unique représentation. Tamara Rojo est sans conteste l'antithèse d'un
Cygne russe – le contraste avec les danseuses du corps de ballet est en
soi assez saisissant. Elle n'est pas dans une vaine recherche
d'imitation, et c'est sans doute ce qui fait ici paradoxalement sa
force, sa beauté et son pouvoir d'attraction, ce qui lui a notamment
permis de danser le rôle avec succès et au Mariinsky et au Mikhaïlovsky -
des terres bien rarement autorisées aux étrangers. Le Cygne de
Saint-Pétersbourg offre avant tout un travail sur la plastique et sur le
style, destiné à épurer le moindre geste de sa part de trivialité.
Le Lac des cygnes (chor. Assaf Messerer / Alexander Gorsky)
Tamara Rojo construit, elle, un Cygne d'une féminité plus humaine et
terrestre, ancré dans une tradition théâtrale plutôt que stylistique à
proprement parler. Le personnage d'Odile, où elle convainc toutefois
davantage qu'en Odette - la recherche du brio technique y paraît parfois
un peu trop perceptible - lui permet notamment de déployer sa
personnalité flamboyante et une virtuosité - à la cubaine - à vous
couper le souffle : ralentis et accélérés dans les diagonales en parfait
accord avec la musique, équilibres en arabesque à n'en plus finir
(applaudis par la foule en délire), fouettés multiples à se damner, le
tout exécuté avec une aisance et une solidité confondantes... Un sommet
de virtuosité brillante qui manifeste aux yeux de l'assistance la
puissance et la noirceur toute terrestre du personnage. Le point faible
de cette prestation réside sans doute dans le partenariat sans alchimie
aucune avec Artyom Pykhachov, qu'elle ignore un peu trop superbement, y
compris dans les adages, mais il faut bien avouer aussi que le niveau
de ce dernier se situe très en-deçà de celui de l'étoile du Royal
Ballet. Sa danse n'a vraiment rien de flamboyant, malgré de jolis sauts,
mais surtout, sa personnalité dénote une certaine maladresse, un défaut
d'élégance dans le geste et dans l'allure, des manques tout de même un
peu perturbants s'agissant d'un Prince aimant et que l'on doit aimer.
Le Lac des cygnes (chor. Assaf Messerer / Alexander Gorsky)
A ce propos, par-delà la prestation - discutable - de Marat Shemiunov dans Laurencia
et celle du Siegfried de ce jour, les garçons de cette troupe (qui –
coup du destin? - accumulent lors de la représentation les mains par
terre lors des réceptions...) semblent souvent montrer, du moins à
l'épreuve de ce Lac, un niveau
sensiblement inférieur, techniquement parlant, à celui de leurs
excellentes collègues féminines – bien que les danses de caractère de
l'acte III, superbement exécutées dans l'ensemble, tendent à gommer ces
différences. Le Bouffon, Denis Tolmachov, très sollicité par la
chorégraphie de Messerer, se situe quant à lui tout à fait dans la
tradition souriante, bondissante et pirouettante du personnage, et se
révèle enthousiasmant dans un emploi il est vrai très circonscrit. Anton
Ploom se détache dans le Pas de trois, d'un très bon niveau malgré une
chorégraphie assez périlleuse et complexe, aux côtés d'Oksana Bondareva
et Anastasia Lomachenkova, aussi délicieuses qu'élégantes et stylées
dans leur danse. Vladimir Tsal campe de son côté un Mauvais Génie à la
théâtralité parfaitement assumée, aidé par un costume très B.D. qui a
de quoi faire vraiment peur aux petits (et grands) enfants – sifflets
anglais de rigueur lors des saluts...
Les couples passent – et celui-là était passablement déséquilibré – les
chorégraphies restent. A coup sûr, la résurrection réussie de cette
production oubliée, «différente», défi nouveau pour les danseurs d'une
compagnie pétersbourgeoise in progress, mérite absolument de voyager, d'être vue... et revue.
B. Jarrasse © 2010, Dansomanie
Le Lac des cygnes
Chorégraphie : Assaf Messerer, d'après Alexander Gorsky et Marius Petipa
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovsky
Odette / Odile – Tamara Rojo
Siegfried – Artyom Pykhachov
La Princesse régnante (La Reine) – Zvezdana Martina
Le Mauvais génie (Rothbart) – Vladimir Tsal
Le Précepteur – Andreï Bregvadaz
Le Bouffon – Denis Tolmachov
Trois Grands cygnes – Viktoria Kutepova, Irina Kosheleva, Yulia Kamilova
Quatre Petits cygnes – Yulia Tikka, Marina Nikolaïeva, Ekaterina Khomenko, Sabina Yapparova
Pas de trois – Oksana Bondareva, Anastasia Lomachenkova, Anton Ploom
Danse napolitaine – Natalia Kuzmenko, Nikita Kuliguine
Danse hongroise – Olga Semyonova, Mikaïl Venshchikov
Danse espagnole – Mariam Ugrekhilidze, Kristina Makhviladze
Orchestre du Théâtre Mikhaïlovsky de Saint-Pétersbourg, dir. Pavel Bubelnikov
Jeudi 22 juillet 2010, 19h30, Coliseum, Londres
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