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Staatsballett Berlin
04 juillet 2010 : La Bayadère (chorégraphie V. Malakhov) à la Deustche Oper de Berlin
Dmitri Semionov (Solor) et Beatrice Knop (Nikiya) dans La Bayadère (chor. Vladimir Malakhov)
Quoi de neuf sous le soleil de juillet dans le monde de la danse?... La Bayadère
bien sûr, de retour sur la scène du Deutsche Oper pour
conclure avec éclat la saison de la compagnie berlinoise...
Après celles de Natalia Makarova et de Rudolf Noureev, La Bayadère
de Vladimir Malakhov est un peu la dernière née au rayon
des versions occidentales du classique de Petipa, puisant dans
l'héritage conjugué des deux précédentes,
tout en apportant, conformément à la loi du genre, ses
propres innovations. Montée initialement pour l'Opéra de
Vienne, en 1999, elle revêt à coup sûr une
importance particulière dans l'histoire présente du
Ballet de Berlin, bien au-delà de la notoriété de
ses interprètes féminines les plus fameuses, de Diana
Vichneva à Polina Semionova. Reprise
régulièrement, elle est en effet le premier
«classique» que Malakhov a offert au Staatsballett, au
moment de son arrivée en 2002 au poste d'intendant de la troupe,
anticipant par là une politique de recréation d'un
répertoire, étendue depuis à La Belle au bois dormant, et, plus récemment, à La Péri.
Chorégraphiquement - et musicalement - différente des
versions Noureev (ce dernier avait pour l'essentiel adapté la
chorégraphie du Kirov de 1941, sans la transformer
fondamentalement) et Makarova (on ne s'en plaindra certes pas, surtout
concernant les arrangements musicaux concoctés par le sieur
Lanchbery pour le Royal Ballet), la production de Malakhov, en quatre
actes, réalise toutefois, comme cette dernière, le
rêve d'une Bayadère
achevée... non sur l'abstraction de l'acte des Ombres, mais sur
l'union nirvanesque de Nikiya et du guerrier indien, suite à la
destruction du temple, ordonnée au moment même où
sont célébrées les noces terrestres de Solor et
Gamzatti (dont le nom (re)devient ici Hamzatti, comme dans la
production originale). Quelques autres détails de composition
peuvent rappeler au demeurant la version de Makarova : l'absence du Pas d'esclave au premier acte, la réduction notable du grand divertissement du second acte, d'où disparaissent la Danse des Perroquets et la Danse indienne,
en même temps que l'éléphant de carton-pâte
(métamorphosé en décor dans le tableau initial)...
Surtout, la variation de l'Idole dorée, reléguée,
à l'instar de cette même version, au dernier acte, n'y est
pas traitée comme un divertissement festif, mais comme
l'incarnation efficace de la plainte adressée par Solor au
Bouddha : de la statue du dieu jaillit soudain une créature
bondissante et virtuose, qui se charge ensuite, en filigrane, de venger
la danseuse sacrée et de réunir les amants. Le
quatrième acte de Malakhov reprend encore l'idée,
empruntée à La Sylphide, du pas de deux transformé
en pas de trois, au cours duquel Nikiya apparaît à Solor
à l'instant de ses noces. En écho à l'esprit
très pédagogique, sinon démonstratif, qui
imprègne cette Bayadère,
le voile blanc que Solor présente à Gamzatti se teinte
alors en rouge-sang, révélant la culpabilité de
celle-ci aux yeux du fiancé, brisant par là-même la
possibilité d'une alliance terrestre entre les deux
protagonistes.
Les nouveautés les plus sensibles apportées par la
chorégraphie de Malakhov sont, au fond, surtout d'ordre musical,
puisqu'elle comprend un certain nombre d'interpolations tirées
de partitions méconnues (et pas désagréables, si
l'on veut bien passer sur l'interprétation de l'orchestre) de
Minkus. Fiammetta, Le Poisson doré, Roxane, reine du Monténégro...,
des noms rêvés et tout un pan oublié du ballet
russe du XIXème siècle y revit l'espace de quelques
instants... pour le plus grand plaisir des amateurs
d'archéologie choréo-musicale... Ainsi, à la suite
de la procession du deuxième acte, une valse, plutôt
réussie, réunit le corps de ballet masculin et les
danseuses à l'éventail ; de son côté, la
variation du Serpent subit après l'adage un ajout inédit
qui réécrit en grande partie le passage allegro... Dans
la continuité de Noureev, Malakhov a également
rechorégraphié certains passages, dans le but sans doute
d'équilibrer davantage encore parties féminines et
masculines : la danse des guerriers dans le deuxième acte
(deuxième tableau du premier dans la version Noureev), la
variation de Solor «à l'opium»
précédant l'Acte des Ombres,
la danse des chandelles, exécutée comme chez Noureev par
le corps de ballet masculin, mais réglée ici dans un
esprit décalé, presque «cabaret» - qu'on peut
juger, sinon risible, du moins d'un goût discutable...
Dmitri Semionov (Solor) dans La Bayadère (chor. Vladimir Malakhov)
Bref, au-delà de ces détails, aptes à renouveler
la vision du ballet, la version comporte sa propre cohérence
narrative et chorégraphique, avec un souci, semble-t-il, de
mettre particulièrement en valeur, par la mise en scène
et les accessoires, la rivalité, réelle et symbolique,
entre les deux héroïnes se disputant Solor. Le voile blanc
en particulier, don initial de Solor à Nikiya, joue le
rôle d'un leitmotiv narratif - gage d'amour ou de trahison -
parcourant les quatre actes jusqu'à l'apothéose finale,
qui figure les deux héros reliés l'un à l'autre
– et au Ciel - par le voile de la danseuse sacrée, devenu
désormais symbole mystique de leur union. Le
«dévoilement» de Gamzatti au deuxième acte,
alors qu'elle va être présentée à Solor, se
superpose par ailleurs à celui de Nikiya, lors de son apparition
face au Brahmane au début du premier acte, et tour à
tour, en conclusion des différents tableaux, chacune est mise en
scène en train de crier vengeance dans une pantomime à
peu près identique - et pour le moins lisible. De manière
plus générale, les effets dramatiques prennent ici une
coloration très cinématographique - tendance Bollywood?
-, avec un mime attribué aux rôles de caractère
(Dugmanta, le Rajah de Golconde, interprété par Tomas
Karlborg, le Grand Brahmane, par Michael Banzhaf...), assez
éloigné de la manière russe, et qui ne craint pas
une certaine outrance démonstrative lors des moments-clé
de l'action.
Du côté de la scénographie et notamment des
costumes, signés Jordi Roig, c'est une débauche de tissus
précieux aux couleurs chatoyantes dont on se dit qu'ils n'ont
pas grand-chose à envier à la version «chic et
choc» parisienne... qui paraît être à cet
égard comme un modèle à défier, dans la
pompe comme dans le kitsch. Défi surmonté sans aucun
doute avec les costumes, la vision de certaines scènes rappelle
aussi avec bonheur la mosaïque polychrome des tableaux les plus
réalistes de la peinture orientaliste... Les décors
mêlent stucs, boiseries, marqueteries de carton-pâte et
toiles peintes en arrière-plan pour certaines scènes,
avec une réussite en revanche plus inégale sur ce
plan-là. Dans l'Acte des Ombres
notamment, la reproduction, d'un réalisme par trop simpliste,
des cimes de l'Himalaya, pèche par excès de
démonstration et de clinquant, loin de l'onirisme du style
pictural orientaliste, frôlant la parodie involontaire en un
moment qui devrait être de pure poésie... Dommage que le
cadre du palais du Rajah demeure aussi sur la scène du Deutsche
Oper durant le tableau des Ombres, probablement faute d'entracte
précédant la dernière partie et permettant le
changement. La destruction du temple, si elle est certes
délicate à mettre en scène de façon
à la fois vraisemblable et spectaculaire, sombre ici dans la
facilité et la banalité des effets stroboscopiques...
à vous faire regretter les bonnes vieilles machineries
d'autrefois...
Quoi qu'il en soit, une telle production, ici ou ailleurs, reste un
moyen idéal pour faire briller l'ensemble des danseurs d'une
troupe classique, du corps de ballet aux étoiles, en passant par
les demi-solistes, et incidemment, pour mesurer, sinon son niveau, du
moins son état de forme... Rien de plus révélateur
en effet que de regarder évoluer une compagnie un soir sans
enjeu, parmi d'autres, et en l'absence de ses stars planétaires
– qui ne penserait bien sûr ici à Polina Semionova,
séduisante image pour le reste du monde de la jeunesse, de la
vitalité et de la virtuosité bien réelles du
Ballet de Berlin d'aujourd'hui...
Justement, pas de superstars du ballet – de celles qui peuvent
brouiller le paysage environnant - pour cette représentation,
mais d'excellents solistes locaux, d'un calibre qu'on pourrait
objectivement placer très haut à l'échelle
internationale de la danse, à commencer par l'étonnante
Beatrice Knop dans le rôle de Nikiya, qui évolue là
aux côtés de Dmitri Semionov, dans celui de Solor.
Beatrice Knop, l'une des rares danseuses allemandes de la troupe, a
interprété Gamzatti avant d'être Nikiya (notamment
lors de l'entrée au répertoire du ballet, tandis que
Diana Vichneva tenait le rôle de la Bayadère), et en la
voyant, on comprend très bien pourquoi. Très grande,
d'une élégance empreinte de noblesse, elle dégage
à l'évidence une forte personnalité, en plus de
démontrer, dans les moments opportuns, une virtuosité
qu'on sent rarement prise en défaut (superbes
développés en arabesque sur pointes – tellement
facile! - dans la variation du Serpent...). Cette allure souveraine se
conjugue néanmoins à un travail des bras et du haut du
corps raffiné et expressif – l'une des clés du
rôle, bien trop négligée par le Ballet de
l'Opéra de Paris. Sa Nikiya n'est certes pas du genre humble et
fragile, elle impose dès l'entrée sa présence
aristocratique, mais celle-ci est toutefois tempérée par
la sérénité joyeuse et la douceur qui se
dégagent de son expression dans les duos d'amour avec Solor. Son
interprétation possède enfin, inaltérables et sans
artifice, cette mélancolie, ce sens du tragique, qui
transcendent tout le reste, et que seule une Delphine Moussin est
encore capable de nous délivrer à Paris. La
réussite de sa prestation tient tout autant à ses
qualités personnelles, à ce feu sous-jacent qui anime
constamment sa danse, qu'au partenariat peaufiné, et qu'on sent
aussi très complice, avec Dmitri Semionov, dont la danse
bondissante et précise suscite à juste titre
l'enthousiasme d'un public berlinois étonnamment
démonstratif, en paroles comme en actions. Dmitri Semionov
– qui n'est pas que le «frère de», qu'on se le
dise... - possède l'élégance très
typée des danseurs du Mariinsky (compagnie où il a
été soliste), un mélange unique d'autorité,
de fougue et de réserve aristocratiques, qui sied
idéalement au rôle de Solor, prince et guerrier indien,
tenant de l'apollinien autant que du dionysiaque. Sa taille
impressionnante (dans un monde envahi par les grands danseurs) ne
l'empêche pas du reste de déployer avec bonheur tout
l'arsenal du parfait virtuose classique, qui domine avec aisance ses
deux variations (plus une, si on compte l'adage Malakhov du
troisième acte) : saltation brillante, vélocité
dans les manèges, tours en l'air impeccables, doubles
assemblés passés en toute
sérénité... et avec ce panache qu'on cherche
parfois - sans le trouver - ailleurs!... Face à ce genre de
démonstration, pas moins inspiré que d'autres du reste,
et salué comme il se doit par les spectateurs, il y aurait sans
aucun doute de quoi se poser quelques sérieuses questions sur la
manière d'envisager aujourd'hui la danse masculine «de
bravoure» à Paris... En contrepoint des deux héros,
Elena Pris en Gamzatti offre un jeu un peu plus en retrait, moins
varié dans les expressions, bien que formellement et
techniquement, on ne puisse pas lui reprocher grand-chose. Sa Gamzatti
a l'arrogance et l'autorité d'une princesse, mais manque un peu
de passion et de venin face à une Nikiya qui a d'évidence
son mot à dire dans l'histoire... Son amour pour Solor ne semble
se révéler clairement que lors du quatrième acte ,
qui est l'occasion d'un beau duel imaginaire entre les deux femmes,
révélant enfin, par-delà le conflit qui nourrit le
drame, le vrai tempérament de chacune. Avouons toutefois que ce
dernier acte, qui n'est pas conçu par Malakhov dans un esprit de
résurrection archéologique, est passablement difficile
à intégrer pour les non-initiés, même s'il a
le mérite d'offrir une cohérence et une
intelligibilité à l'intrigue.
Beatrice Knop (Nikiya) et Dmitri Semionov (Solor) dans La Bayadère (chor. Vladimir Malakhov)
Par son recrutement très international, le corps de ballet
berlinois ne possède évidemment pas au même
degré l'unité stylistique et physique qui fait le charme
des compagnies russes ou encore du Ballet de l'Opéra de Paris,
cette «poésie de la ressemblance» qui seule peut
parvenir à vous transcender une poussive Descente des Ombres,
à donner du sens à cette suite
répétée de pas qui la constitue, au fond les plus
simples qui soient... Il séduit toutefois par une belle
discipline d'ensemble, une tenue en scène enthousiaste et
juvénile, et un niveau technique individuel très
homogène, chez les filles comme chez les garçons –
très à l'aise dans les sauts en particulier. A
côté d'une Djampo et d'un Pas d'action parfois un peu
brouillons sur les bords, le trio des Ombres notamment, duquel se
détachent Sebnem Gülseker (2ème variation) et
Ludmila Konovalova (3ème variation), se montre exemplaire de
style, de musicalité et d'entrain conjugués. Parmi les
demi-solistes, on signalera encore la prestation d'Artur Lill dans le
rôle de l'Idole dorée : un physique idéal de
danseur de demi-caractère, et une prestation
légère, bondissante et précise dans cet exercice
admirable et incompris qu'est celui de la pure virtuosité...
Qu'importe que la chorégraphie de Malakhov ne possède pas
tout à fait la sophistication de celle de Noureev, elle nous
épargne au moins la tension et le travail en force des
interprètes, pour laisser place, sereinement, au plaisir
conjoint de la musique et de la danse...
L'orchestre de la Deutsche Oper enfin, dirigé par Michael
Schmidtsdorff, mérite à certains égards une
mention finale, à titre de membre honoraire de la nouvelle
confrérie internationale pour le massacre de la musique de
ballet... Malgré un début très honnête qui
pouvait même paraître rassurant à des oreilles
parisiennes, il s'est révélé pourtant par la suite
en passe de sérieusement concurrencer – jusqu'au violon
solo... - l'Orchestre Colonne sur son propre terrain.
B. Jarrasse © 2010, Dansomanie
La Bayadère
Chorégraphie : Vladimir Malakhov, d'après Marius Petipa
Musique : Ludwig Minkus
Décors et costumes : Jordi Roig
Lumières : David Bofarull
Nikiya – Beatrice Knop
Gamzatti – Elena Pris
Solor – Dmitri Semionov
L'Idole dorée – Artur Lill
Dougmanta, Rajah de Golconde – Tomas Karlborg
Mahdavaja, un Fakir – Ulian Topor
Le Grand Brahmane – Michel Banzhaf
Orchestre de la Deutsche Oper Berlin, dir. Michael Schmidtsdorff
Dimanche 4 juillet 2010, 19h30, Deutsche Oper Berlin
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