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Théâtre de la Ville - Théâtre des Abbesses (Paris)
12 juin 2010 : "Cinq solos" de Susanne Linke
Im Bade wannen (chor. Susanne Linke)
Si
les saisons du Théâtre de la Ville peuvent parfois donner
l’impression qu’elles sont l’éternel retour de
chorégraphes toujours identiques, on ne peut pas dire que
Susanne Linke ait beaucoup occupé les affiches parisiennes ces
dernières années. La chorégraphe avait
créé à l’Opéra de Paris un ballet
comme souvent vite oublié (Ich bin,
qui avait été l’occasion de la nomination de
Wilfried Romoli en tant qu’étoile), et le
Théâtre de la Ville avait présenté en 2008 Schritte Verfolgen II
hors les murs. C’est une reprise de ce spectacle qui devait
être à l’affiche du Théâtre des
Abbesses en juin 2010, mais la chorégraphe a proposé de
présenter à la place un programme de cinq solos
adaptés à l’architecture intimiste d’un
théâtre parmi les plus beaux de Paris : si quatre des
solos datent d’une courte période entre 1978 et 1984, le
dernier est beaucoup plus récent (2008), et il est dansé
par Susanne Linke.
Dans ce programme d’une cohérence et d’une richesse
stupéfiantes, c’est pourtant l’autre solo
interprété par la chorégraphe qui emporte la palme
de l’émotion : Im Bade wannen, créé en 1980, est comme une anticipation d’Appartement
de Mats Ek (2000), cette fois autour d’une baignoire vide. On y
découvre un même rapport interrogateur au quotidien, entre
les gestes rationnels de la ménagère et le
débordement incontrôlable de la vie intérieure. Y
voir une danseuse âgée donne sans doute à cette
pièce un relief particulier, rajoutant une couche de
signification autour du souvenir et de la mémoire, et voir
danser Susanne Linke est ici un enchantement de tous les instants, tant
le moindre geste étincelle d’émotion – mais
la beauté de la chorégraphie est telle qu’il aurait
été passionnant de le voir une seconde fois, par exemple
par la très jeune Mareike Franz dont la danse fluide,
portée par une émotion bien différente, aurait
sans doute elle aussi fait merveille.
Un moment particulièrement émouvant de cette pièce
est le moment où la danseuse se réfugie dans la baignoire
couchée sur le flanc : on est alors entre l’animal se
pelotonnant dans son terrier et le retour dans le liquide amniotique du
ventre maternel, refuge ultime contre l’âge et le poids des
souvenirs. Le thème de l’animal est
particulièrement présent dans le premier solo,
enfermé dans une étroite bande de lumière, mais de
façon en quelque sorte inversée : ici, c’est
l’animal qui domine, ce dont le visage enfermé dans une
abondante chevelure de la danseuse témoigne ; à la fin
seulement de ce solo dont l’intérêt
chorégraphique est moins évident, un peu
d’humanité fait son apparition, et la danseuse qui avait
évolué collée au sol pendant l’essentiel de
la pièce se lève timidement. Plus passionnant est le
très schubertien Wandlung,
dont on peine à traduire le titre : l’idée de
changement y est en tout cas présente, alors même que tout
dans la pièce suggère un état intemporel, comme le
balancement d’une plante dans le continuum du vent ou de
l’onde ; tout y est mouvement, mais tout y est ancré au
sol, et la recherche de hauteur ne peut être que bridée
par d’implacables racines.
Flut (chor. Susanne Linke)
Les deux autres solos partagent un certain nombre de ces thèmes, l’espace contraint et l’eau pour Flut,
le conscient et l’inconscient du mouvement pour le dernier, mais
– est-ce une sorte d’épuisement émotionnel
après les deux chefs-d’œuvre
précédents – touchent peut-être un peu moins
: il n’empêche que le public, venu sans doute plus par
curiosité que convaincu d’avance par cette
chorégraphe éloignée des feux de
l’actualité, a fait un triomphe à
l’émotion d’une qualité et d’une
finesse rare qui se dégage de ce spectacle et de ses danseurs
qui font de l’interprétation tellement plus qu’une
simple reproduction.
Dominque Adrian © 2010, Dansomanie
Orient-Okzident (1984)
Musique : Yannis Xenakis
Chorégraphie, costume et mise en scène : Susanne Linke
Avec : Armelle van Eecloo
Im Bade wannen (1980)
Musique : Erik Satie, Claude Debussy
Chorégraphie, costume et mise en scène : Susanne Linke
Avec : Susanne Linke
Wandlung (1978)
Musique : Franz Schubert
Chorégraphie, costume, lumières et mise en scène : Susanne Linke
Avec : Mareike Franz
Flut (1981)
Musique : Gabriel Fauré
Chorégraphie, costume, lumières et mise en scène : Susanne Linke
Avec : Urs Dietrich
Kaikou-Yin / Transmigration (2008)
Musique : Gustav Mahler
Chorégraphie, costume et mise en scène : Susanne Linke
Avec : Susanne Linke
Musique enregistrée
Samedi 12 juin 2010, Téâtre des Abbesses (Théâtre de la Ville), Paris
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