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critiques et comptes rendus
Gnosis, d'Akram Khan, au Sadler's Wells (Londres)

26 avril 2010 : Gnosis (Akram Khan) au Sadler's Wells


gnosis d akram khan
Gnosis (chor. Akram Khan)

Akram Khan est devenu un symbole au Royaume-Uni - celui d'une danse multiculturelle, capable de naviguer entre ses racines traditionnelles et les scènes contemporaines sans négliger les collaborations possibles avec des artistes venus d'autres genres, d'Anish Kapoor à Juliette Binoche. On en oublierait presque qu'Akram Khan a été formé avant tout au kathak, cette danse traditionnelle indienne aux mystérieuses narrations - et avec Gnosis, enfin présenté dans son intégralité après une première mondiale réduite en 2009 pour cause de blessure, le danseur d'origine bangladeshie retrace sa propre transformation, du classicisme indien à l'extraordinaire mélange de la seconde partie.

L'organisation de la soirée laisse d'abord perplexe - Gnosis, est-ce la somme des deux moitiés de la soirée, avec leurs prémices très différents, ou plutôt la pièce courte du même nom qui intervient après l'entracte et modifie complètement l'optique de la soirée ? Akram Khan apparaît d'abord sur scène dans une tenue traditionnelle, des ghunghurus (petits grelots) à ses chevilles, et entreprend de revisiter le classicisme de deux de ses premières oeuvres, Polaroid Feet et Tarana, pour lesquelles il avait travaillé avec deux chorégraphes indiens. Entouré de ses cinq musiciens, il offre ce qui ressemble à une démonstration de kathak - des solos assurés, limpides, d'une élégance raffinée. Les Indiens parlent de leurs danseurs comme de "musiciens du corps", et c'est un trait qu'ils partagent avec le flamenco : une sensibilité musicale au-delà de ce que l'oreille perçoit, traduite ici par un dialogue intuitif avec les instruments. La difficulté est constamment déguisée, l'assurance du jeu de jambes servant à mettre en valeur l'incroyable fluidité du centre et la précision de ses bras, aux formes visiblement chargées de sens. Même les tours les plus virtuoses, tourbillonnant à la surface de la scène sans quitter le sol, possèdent une intégrité formelle qu'Akram Khan semble garder enraciné en lui.


gnosis d akram khan
Akram Khan

Ces pépites classiques sont enveloppées dans une mise en scène étonnante pour un spectacle de danse - entre les numéros, on retrouve Akram Khan au micro, saluant la salle, présentant ses musiciens, introduisant ce qui va suivre. La décontraction de l'ensemble et la manière dont il est accueilli par un public acquis à sa cause rappellent le lien créé entre un chanteur et sa salle, la spontanéité plus ou moins affectée des concerts de stars, délire de la foule en moins. Le procédé est à la fois déroutant et charmeur, et Akram Khan se montre musicien improvisateur lorsqu'il se lance avec ses comparses dans des boeufs sous forme de défis amicaux - sa virtuosité vocale et aux grelots égalant de manière fascinante celle de son joueur de tablâ (instrument indien), Sanju Sahai. Ce dernier rivalise ensuite avec Yoshie Sunahata, magistrale aux tambours japonais, et l'alchimie qui en résulte semble résumer l'un des talents les plus évidents d'Akram Khan : sa capacité à réunir des équipes diverses, étonnantes, et à remodeler une intégrité artistique à partir de leurs talents.

Ce qui manque à cette première partie, pourtant, c'est la sensation d'assister à une création complète, au-delà de la démonstration. Gnosis, qui signifie connaissance intérieure, possession de vérités spirituelles, vient combler ce manque après l'entracte ; cette courte création à la dimension d'une quête est magnifiée par la présence de Yoshie Sunahata, qui revient sur scène en tant que danseuse. Elle qui a été formée au Japon aux arts traditionnels, de la cérémonie du thé au théâtre ancien, prend ici les traits d'une héroïne hindoue - Gandhari, la femme d'un roi aveugle qui se bande les yeux pour partager son destin. Proche de la terre, ancrée dans un plié profond, elle danse avec un bâton comme on accomplit un rituel. Akram Khan la rejoint, l'imite comme une ombre, avec ses propres inflexions indiennes - un duo les réunit ensuite, le danseur devenant le fils de la reine aveuglée, qui s'attaque à lui avec le bâton dans une scène calibrée au millimètre. La beauté des éclairages de Fabiana Piccoli souligne la puissance des deux danseurs, dont l'économie de mouvements est fascinante - vingt minutes leur auront suffi pour créer un voyage spirituel, qui finit sur le chant de Yoshie Sunahata derrière Akram Khan, toujours en équilibre entre les genres, mais qui ne perd jamais de vue le sens de son histoire. On ne peut que reprocher à Gnosis d'être trop court, un réel regret dans le contexte de cette soirée hétéroclite, mais Sadler's Wells poursuit ici un joli travail de fond. Loin d'être le piment exotique d'une saison, la danse indienne ou le flamenco semblent en effet acquérir leur place à part entière dans la programmation, entre festivals dédiés et collaborations chorégraphiques - Gnosis est une nouvelle chance d'apprendre à connaître les racines et l'art d'Akram Khan, et il serait dommage de s'en passer
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Laura Cappelle © 2010, Dansomanie




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Gnosis
Chorégraphie : Akram Khan
Lumières :  Fabiana Piccioli
Costumes :
Kei Ito, Shingo Tokihiro

Musique : Yoshie Sunahata,  Faheem Mazhar, Sanju Sahai, Lucy Railton, Soumik Datta

Avec  
Gauri Sharma Tripathi


Lundi  26 avril 2010,  Sadler's Wells, Londres


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