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Les Menus Plaisirs du Roy à l'Opéra-Comique (Paris)
13 avril 2010 : La Provençale et La Fille mal gardée à l'Opéra-Comique
En marge de son Festival Mignon, l'Opéra Comique invite le public parisien à
découvrir pour une unique représentation La Provençale, ballet de Jean-Joseph Mouret, assorti de
sa parodie, La Fille mal gardée,
signée de l'auteur dramatique Charles-Simon Favart, dont on fête en
2010 le tricentenaire de la naissance. Ces deux curiosités, appartenant à
un XVIIIème siècle joyeux et subversif, sont placées pour l'occasion
sous la direction de Jean-Luc Impe, joueur d'archiluth et musicologue de
son état, entouré de son ensemble musico-théâtral, Les Menus Plaisirs
du Roy. Signalons à cet égard que la troupe brabançonne, découverte lors
du dernier Festival de Sablé avec l'hilarant Gigogne s'en va-t-en-guerre ou La Nouvelle Parodie de Pierrot-Cadmus, s'est fait une
spécialité de la parodie, un genre élaboré au XVIIIème siècle en
contrepoint du théâtre officiel et de ses conventions. C'est à ce
répertoire méconnu et oublié, développé notamment au travers des
théâtres de foire, qu'elle se consacre avec passion depuis sa création,
en 1989.
Quand la parodie
s'en mêle...
Si La
Provençale est qualifié de « ballet », il ne faut toutefois pas
se méprendre sur le terme. Avant d'acquérir son indépendance, l'oeuvre
avait été initialement conçue comme un ajout - une « entrée »
supplémentaire -, à un opéra déjà existant, Les Fêtes de Thalie, créé en 1714. Or, en 1722, lorsque
l'ouvrage de Mouret est créé à l'Académie Royale de Musique, le ballet
est encore loin d'exister comme une forme autonome. Il est un
divertissement inséré au sein d'un ouvrage lyrique, un élément obligé du
spectacle, au même titre que le chant, le drame ou la comédie.
Le spectacle à l'affiche de l'Opéra Comique, monté en 1997 pour le 20ème
anniversaire de Sablé, donne ainsi l'occasion d'assister à un plaisant
mélange des genres, où toutes les formes de la théâtralité se retrouvent
réunies dans un cadre minimaliste, qui rappelle peut-être la simplicité
toute symbolique des spectacles ambulants. Un rideau rouge emblématique
habille la scène et y crée l'illusion d'un théâtre. Un banc en est
l'accessoire principal et presque unique. Tandis que les musiciens,
installés côté jardin, accordent leurs instruments, Dame Bobinette,
homme (ou femme)-orchestre aux vrais airs de Dame Gigogne - la patronne
de la Foire – capte notre bienveillance et nous présente, en vers
françois faussement improvisés, le diptyque qui va suivre. Vincent
Goffin, puisque c'est de lui qu'il s'agit, est proprement irrésistible
dans ce rôle polyvalent de matrone imposante, harangueur de foule à la
verve intarissable, maître des illusions et des désillusions,
successivement metteur en scène, comédien et même chanteur de la pochade
en train de se jouer sous nos yeux.
L'intrigue de La Provençale,
qui occupe la première partie, s'appuie sur le canevas traditionnel et
inépuisable, tiré de la Commedia dell'Arte, du barbon amoureux de sa
pupille - convaincue ici de laideur -,... et qui, bien sûr, en aime un
plus beau, plus jeune, plus charmant, du nom de Léandre ou de Lindor...
L'histoire importe peu en soi, elle n'est prétexte qu'au jeu et à
l'accumulation des situations burlesques... On chante, on danse, on rit,
et tout finit par des mariages... Tout en rondeurs joyeuses, Stéphanie
Gouilly (Florine), déjà vue en jeune première dans Gigogne s'en va-t-en-guerre,
affronte, généreuse et mutine, le sombre et hautement ridicule Thierry
Vallier (Crisante), presque plus séduisant toutefois, par sa voix comme
par sa présence, que Stéphan Van Dyck, le Léandre de service, un peu
terne par rapport au reste de la distribution, assez haute en couleurs.
Quant à l'intermède chorégraphique, il est assuré avec charme par
Nathalie Adam et Guillaume Jablonka, tous deux danseurs classiques
passés au baroque - grâce à l'enseignement dispensé par Wilfride Piollet
et Jean Guizérix - notamment en tant qu'interprètes au sein de la
compagnie de Marie-Geneviève Massé, L'Eventail. Le ballet mis en scène
ici ne se veut en rien une reconstitution d'une hypothétique
chorégraphie disparue, il s'offre comme un pas de deux, réglé par
Guillaume Jablonka lui-même, dans le style, l'esprit et l'habillage de
l'époque. Plus généralement, point de déploiement de cette virtuosité,
vocale ou chorégraphique, à laquelle des temps plus modernes nous ont
habitués, pour le meilleur et pour le pire, mais un divertissement gai
et léger, marqué du sceau du naturel et de la fraîcheur.
Sans pause ni libations, Bobinette engage les comédiens à poursuivre
avec La Fille mal gardée, le
deuxième volet satirique d'un spectacle en forme de miroir grossissant.
Au vu du titre, il n'y aura sans doute que des balletomanes pour
s'étonner que les danseurs soient ici ouvertement invités à rejoindre
définitivement les coulisses, malgré quelques tentatives burlesques pour
s'immiscer dans cette nouvelle pièce... Mais cette Fille-là, en réalité, n'a pas
grand-chose à voir avec celle de Dauberval - et ses avatars ultérieurs
-, bien que cette dernière ne fasse que réinventer elle aussi, sous un
vêtement légèrement différent, le canevas caractéristique de la comédie
italienne.
A mi-chemin de la représentation commence donc la parodie du ballet de
Mouret, signée du sieur Favart et agrémentée de vaudevilles (airs
populaires) et d'ariettes du compositeur italien Egidio Duni. Jean-Luc
Impe le dit et le répète dans ses notes de programme : le succès d'une
oeuvre se mesure non seulement au nombre de ses reprises, mais aussi à
la quantité de parodies ou de contrefaçons qu'elle suscite, un constat
en forme de point de départ de son travail de musicologue et de metteur
en scène. C'est ainsi que La
Provençale, gros succès de l'Académie Royale de Musique durant
plusieurs décennies, donne naissance sans le vouloir à La Fille mal gardée, une parodie du
ballet de Mouret que Charles-Simon Favart monte pour la
Comédie-Italienne – futur Opéra Comique – en 1758. De La Provençale à La Fille, l'intrigue est identique et
les changements secondaires : Crisante est désormais le Magister – le
« pédant amoureux » -, Léandre devient Lindor, et Nérine est cette fois
incarnée par Bobinette, maître d'oeuvre du spectacle, travesti pour la
cause en duègne chantante. Telle qu'en elle-même, la troupe des Menus
Plaisirs rejoue la première pièce, la folie contagieuse et l'outrance
inventive en plus... Tout se dérègle alors pour prendre un tour
caricatural, paroxystique, voire surréaliste. Les danseurs jouent à
présent les utilités burlesques, et c'est un rap débridé, anachronique
et baroque, sur un texte en latin de cuisine engagé par Bobinette et
repris en choeur par tous les chanteurs, qui vient s'intégrer à présent à
la parodie.
Le spectacle, joyeux et bigarré, savant et populaire, sait toutefois
s'interrompre juste avant la redite fatale, qui parfois peut guetter.
Son double visage, confrontant, dans un effet de miroir délibéré, un
modèle et sa parodie, lui offre ainsi une dimension unique, inédite,
dont le ressort dramaturgique et le prolongement comique appartiennent
en propre à la troupe de Jean-Luc Impe. L'ensemble est vif, bon enfant,
« bien ficelé » dans sa construction et ses effets, et peut sans doute
s'apprécier au premier degré à l'occasion d'une découverte de la troupe.
La surprise n'étant plus tout à fait là, force est de constater que le
divertissement proposé, heureusement revivifié par la parodie qui
l'éclaire, est loin d'approcher la dimension subversive délivrée par Gigogne s'en va-t-en guerre, qui
évoquait à travers moultes pitreries, à la portée souvent plus cocasse,
les censures sans fin exercées par le pouvoir sur les comédiens forains.
L'effet « sortie pédagogique » (de qualité) n'est pas loin, avec ses
réjouissances, ses attendus et ses limites... Les ors et les velours
douillets de la Salle Favart y contribuent sans doute aussi, là où un
lieu plus informel et moins urbain aurait paru plus adéquat au jeu et à
la mise en scène. Au-delà de la présente pochade, partie d'un tout en
cours d'exploration, ces Menus Plaisirs du Roy, aux apparitions
parcimonieuses, se savourent pourtant comme une rareté. A nous de les
guetter et de les saisir au vol lors d'une prochaine programmation...
.
B. Jarrasse © 2010, Dansomanie
La Provençale
Chorégraphie : Guillaume
Jablonka
Musique : Jean-Joseph Mouret
Mise en scène : Jean-Luc Impe
Décors : Maurice Van den Broeck
Costumes : Dominique Louis
Régie : Michel Gelinne
Léandre : Stéphan Van Dyck
Nérine : Aurélie Franck
Florine : Stéphanie Gouilly
Bobinette : Vincent Goffin
Crisante : Thierry Valler
La Fille mal gardée
Musique : Egidio Romualdo Duni
Argument : Charles-Simon Favart
Mise en scène : Jean-Luc Impe
Décors : Maurice Van den Broeck
Costumes : Dominique Louis
Régie : Michel Gelinne
Lindor : Stéphan Van Dyck
Florine : Stéphanie Gouilly
Bobinette : Vincent Goffin
Le Magister : Thierry Valler
Danseurs : Nathalie Adam
et Guillaume Jablonka
Les
Menus-Plaisirs du Roy
Direction musicale : Jean-Luc Impe
Mardi 13 avril 2010, Opéra-Comique, Paris
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