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Sutra, de Sidi Larbi Cherkaoui, au Sadler's Wells (Londres)
15 mars 2010 : Sutra (Sidi Larbi Cherkaoui) au Sadler's Wells
Sutra (chor. Sidi Larbi Cherkaoui)
Précédé par des critiques triomphales, riche
désormais de 90 représentations dans 18 pays, Sutra, fruit de la collaboration entre Sidi Larbi
Cherkaoui et les moines du temple Shaolin, était ce mois-ci de retour a
Sadler's Wells. Si le programme arbore fièrement des photos de l'équipe
en tournée autour du monde, de la tour Eiffel à Singapour, cet
indéniable succès semble avoir gardé toute son âme sur scène - Sidi
Larbi Cherkaoui continue en effet à y proposer une délicate rencontre
des cultures, dépourvue d'effets faciles, magnifiée par les décors
d'Antony Gormley et la musique originale de Szymon Brzóska.
Le rideau s'ouvre sur un jeune moine, Shi Yandong, qui fait face au seul
"étranger" de la piece, le danseur Ali Ben Lofti Thabet. Entre eux, des
reproductions miniatures des grandes boîtes en bois qui constituent les
décors de l'oeuvre, et dont sortent les moines sous l'impulsion du
danseur. Leurs mouvements, en équilibre sur les arêtes de ces lits
imaginaires, ont quelque chose de l'eau qui dort - organiques, fluides,
imprévisibles. Sidi Larbi Cherkaoui n'insiste pas sur leur virtuosité,
née de techniques guerrières bouddhistes également destinées à cultiver
l'esprit, et c'est ce parti pris qui donne toute sa beauté au spectacle,
laissant de côté les clichés. Les larges boites, empilées et mélangées,
deviennent ainsi tour à tour labyrinthe, fleur de lotus, arche ou forêt
de bois, a la fois austères et travaillées par le temps ; l'étrange
liberté des moines dans ce décor lui donne l'air d'une nature ou d'un
temple métaphoriques, et leur rapport à l'espace est nimbé de respect,
sans peur, jusque dans les airs.
Sutra (chor. Sidi Larbi Cherkaoui)
La communauté spirituelle des moines, dont le temple, situé dans le
Henan en Chine, existe depuis plus de 1500 ans, est au centre de l'œuvre
- le spectateur les voit construire et déconstruire les décors comme
des abeilles tendant vers le même but, le groupe prenant le pas sur
toute individualité, montrant sa puissance. Leurs costumes restent
identiques, de la tenue traditionnelle du début au costume sobre qu'ils
portent dans la seconde partie ; les formes créées par les boîtes sont
impeccablement géométriques, d'une précision d'horloge. La vision de ce
groupe construisant un bloc vertical de cellules identiques dans
lesquelles ils s'allongent d'un même mouvement est fascinante, et n'est
pas sans lien avec la notion d'un corps de ballet parfait - composé de
corps semblables, non pas fruit d'une hallucination mais tendant vers la
spiritualité d'un royaume des Ombres. Plus loin, les moines, recréant
visuellement l'arche d'un temple, semble en exclure l'étranger que reste
le seul Occidental - pour mieux l'intégrer plus tard, après l'avoir
laissé à son observation silencieuse.
Sutra (chor. Sidi Larbi Cherkaoui)
La figure de l'enfant-moine est peut-être la plus intrigante de toutes -
lui qui, à douze ans peut-être, exécute les mêmes figures de kung-fu
que les adultes qui l'accompagnent. A la fois membre de la communauté et
lien constant avec l'étranger, il se déplace comme un jeune animal au
sein de Sutra, souple,
férocement attaché au sol. Sa voix est pourtant la seule qui se fait
entendre, appelant de temps à autre Ali,
et la rencontre est magnifiée par un duo d'une grâce rare - dans une
boîte dressée à la verticale, Ali Ben Lofti Thabet et le jeune moine
s'attachent aux parois sans effort, portés par la musique atmosphérique
de Szymon Brzóska, jouée par cinq musiciens que l'on devine derrière le
rideau de fond.
Sutra (chor. Sidi Larbi Cherkaoui)
Shi Yandong rejoint plus loin sa communauté, posé comme un jeune Bouddha
en haut d'une boîte similaire, bientôt imité par tous les moines. Ali
Ben Lofti Thabet reçoit sa propre boîte dans ce monde, faite d'un métal
signalant sa différence, mais ses mouvements ne s'imprègnent pas moins
de la technique agile du groupe, offrant une perspective sur leur unité.
Sidi Larbi Cherkaoui réussit ici à mettre en scène la culture Shaolin
en lui associant des images scéniques qui soulignent la mystérieuse
spiritualité de chaque mouvement - le tout est une véritable rencontre
entre une culture et la danse, et on pourrait difficilement sortir plus
heureux de cette méditation artistique.
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Laura Cappelle © 2010, Dansomanie
Sutra
Chorégraphie : Sidi Larbi Cherkaoui
Création visuelle : Antony Gormley
Musique : Szymon Brzóska
Av ec les moines du temple de Shaolin (Chine)
Lundi 15 mars 2010, Sadler's Wells, Londres
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