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critiques et comptes rendus
Le Ballet Biarritz au Centre National de la Danse (Pantin)

10 mars 2010 : "Classiques au présent", Thierry Malandain et le Ballet Biarritz au CND


christophe romero dans l apres midi d un faune
Christophe Roméro dans L'Après-midi d'un faune

Le Ballet Biarritz, de retour d’Italie, faisait escale, pour quatre jours, au Centre National de la Danse, à Pantin.

Thierry Malandain et sa troupe nous conviaient à un spectacle au caractère quelque peu hybride, puisque la soirée mêlait séquences chorégraphiques, conférence et séance de questions-réponses.

Le programme, apparemment hétéroclite, était constitué de quatre ballets ou extraits de ballets composés par Thierry Malandain, se rattachant à la thématique des Ballets Russes et à leur postérité artistique.

nathalie verspecht dans la mort du cygne
Nathalie Verspecht dans La Mort du cygne

Si les liens qui unissent Le Portrait de l’Infante, La Mort du cygne et L’Après-midi d’un faune peuvent, de prime abord, sembler ténus, la succession des pièces présentés ne devait pourtant rien au hasard. En toile de fond, la figure tourmentée, ambiguë, de Nijinsky, qui semble s’imposer de manière lancinante à Thierry Malandain.

L’importance que le chorégraphe accorde à son sujet se lit d’emblée au travers de la distribution, qui recourt aux danseurs parmi les plus expérimentés de la compagnie. Christophe Roméro, qui a quitté la troupe en 2005, a été rappelé pour l’occasion.

Thierry Malandain nous entraîne sur les chemins sombres, tortueux, de la passion amoureuse, de la chair, du désir – assumé ou refoulé – de la morbidité et du sublime.


silvia magalhaes dans le portrait de l infante
Silvia Magalhaes dans Le Portrait de l'Infante ("Le Gibet")

Le décor est immédiatement planté avec la scène dite du «Gibet», extraite du Portrait de l’Infante. Inspiré du tableau éponyme de Vélasquez, le Portrait de l’Infante met en scène le peintre espagnol - incarné ici par Giuseppe Chiavaro - à la quête d'un inaccessible idéal féminin - Silvia Magalhaes -, quête inlassable et sans perspective d'aboutissement, mais qui emplit la vie solitaire de l'artiste.


veronique aniorte dans la mort du cygne
Véronique Aniorte dans La Mort du cygne

La Mort du cygne donne ensuite l'illusion fugace d'une recherche fructueuse : trois femmes-oiseaux surgissent de l'Ether. Trois évocations de la féminité et du désir fantasmé dont elles sont l'allégorie se succèdent. Véronique Aniorte et Silvia Magalhaes se donnent en enfants - en infantes - vives et enjouées, mais Thierry Malandain prend un plaisir quasi-morbide, destructeur, à contrarier toute velléité de lyrisme lorsque pointe un semblant de désir amoureux. Arrive le dernier volatile couleur d'albâtre, Nathalie Verspecht, femme-femme au corps ample, longiligne ; las, elle aussi n'est qu'un spectre, un plumetis évanescent qui ne satisfera aucun appétit charnel. Les trois Cygnes ne se sont posés à terre que pour y expirer.


arnaud mahouy et frederick deberdt dans le portrait de l infante
Arnaud Mahouy et Frederick Deberdt  dans Le Portrait de l'Infante

La pièce suivante – à nouveau tirée du Portrait de l’Infante -, nous donne les raisons de cet échec inéluctable : «Un nain difforme se prenant pour un gentilhomme meurt le cœur brisé lorsque, inopinément, un miroir lui révèle sa véritable nature». Dans sa présentation orale, Thierry Malandain a mis en exergue ce trait caractéristique de la peinture de Diego Velasquez : la laideur des personnages reproduits, elle-même reflet d'une réalité, les ravages causés par la consanguinité à la cour d’Espagne. Cela traduit aussi, chez Thierry Malandain, une forme de «peur», de fuite, lorsque le chorégraphe doit exprimer, par le corps, par le geste, un idéal de beauté. Comme si, une telle mise en scène de la beauté – qui n’est au fond que la représentation de l’amour au sens absolu – était perçue sinon comme un interdit, du moins comme une forme de «souillure». Ce pas de deux étrange, qui véhicule un indicible malaise, a été fort bien servi par Frederik Deberdt, «nain» à l’expressivité puissante, et par Arnaud Mahouy, Gentilhomme tout de finesse et de musicalité, qui a su s’approprier avec intelligence la partition foisonnante de l’Alborada del gracioso, de Maurice Ravel, qui tient lieu de support à l’action chorégraphique.


christophe romero dans l apres midi d un faune
Christophe Roméro dans L'Après-midi d'un faune

C’est à Christophe Roméro qu’a échu l’épilogue de la soirée, avec L’Après-midi d’un Faune tel que Thierry Malandain l’a réinterprété. Uraniste que l’accomplissement charnel révulse, Dioning qui ne sait se résoudre à avilir une féminité idéalisée, le «jeune homme solitaire épanche son désir au souvenir flou de l’amour» – nous citons ici les mots mêmes de Thierry Malandain – en s’abandonnant avec dégoût à l’onanisme. La boîte géante de mouchoirs jetables qui tient lieu de rocher au Faune privé de nymphe, accessoire grotesque, incongru, rend la scène d’autant plus pathétique, dérangeante. M. Roméro rend ici parfaitement les intentions du chorégraphe : les postures à la plastique impeccable, altière, se délitent en des recroquevillements quasi-fœtaux. L’allusion à Nijinsky, qui se serait – par provocation? – masturbé sur scène lors de la Première du Faune, le 29 mai 1912, est claire et délibérée.


christophe romero dans l apres midi d un faune
Christophe Roméro dans L'Après-midi d'un faune

D’une courte soirée a priori conçue à la manière d’une réminiscence fugace des Ballets Russes, Thierry Malandain sera parvenu, insidieusement, à faire un ensemble cohérent qui retrace le parcours psychologique tourmenté du danseur le plus emblématique de la troupe de Serge Diaghilev ; le programme se feuillette aussi comme les pages d’un journal intime dont on aurait tracé les mots à l’encre sympathique.


R. F. © 2010, Dansomanie




Le Portrait de l'Infante ("Le Gibet")
Musique : Maurice Ravel
Chorégraphie : Thierry Malandain
Décors et costumes : Jorge Gallardo
Lumièmres : Jean-Claude Asquié

Avec : Sivlia Magalhaes, Giuseppe Chiavaro



La Mort du cygne

Musique : Camille Saint-Saëns
Chorégraphie : Thierry Malandain
Décors et costumes : Jorge Gallardo
Lumièmres : Jean-Claude Asquié

Avec : Véronique Aniorte, Silvia Magalhaes, Nathalie Verspecht



Le Portrait de l'Infante
("Alborada del gracioso")

Musique : Maurice Ravel
Chorégraphie : Thierry Malandain
Décors et costumes : Jorge Gallardo
Lumièmres : Jean-Claude Asquié

Avec : Frederik Deberdt, Anraud Mahouy



L'Après-midi d'un faune
Musique : Claude Debussy
Chorégraphie : Thierry Malandain
Décors et costumes : Jorge Gallardo
Lumièmres : Jean-Claude Asquié

Avec : Christophe Roméro


Ballet Biarritz
Musique enregistrée

Mercredi 10 mars 2010,
 Centre National de la Danse, Pantin



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