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"Saisons russes" au Théâtre des Champs-Elysées (Paris)
06 mars 2010 : "Saisons russes" au Théâtre des Champs-Elysées
Maria Alexandrova et Mikhaïl Loboukhine dans Le Pavillon d'Armide
Pour la deuxième année consécutive, les Saisons
russes du XXIème siècle reviennent au Théâtre des Champs-Elysées, dont
la scène fameuse vit notamment la création – quelque peu retentissante -
du Sacre du printemps. A
l'affiche de la tournée 2010, deux grands classiques, régulièrement
repris, datés de la première période des Ballets russes, L'Oiseau de feu et L'Après-midi d'un Faune, et un
ouvrage à peu près inédit pour le public d'aujourd'hui, Le Pavillon d'Armide, symbolique en
ce qu'il est celui qui ouvrit en 1909 la toute première saison
parisienne de la troupe de Diaghilev au Théâtre du Châtelet. De la
production de musée sans doute, enrobée dans le commerce commémoratif,
et où il s'agit de faire "comme si", mais de quoi aiguiser cependant la
curiosité de l'amateur – fût-elle seulement visuelle...
Maria Alexandrova dans Le Pavillon d'Armide
Oublié, en dépit de son aura mythique, Le
Pavillon d'Armide a donné lieu en 2009, à l'initiative du projet
patrimonial d'Andris Liepa, à une reconstruction, menée par le
chorégraphe lituanien Jurius Smoriginas, pour le Ballet du Kremlin.
Conformément au principe "archéologique" régissant les Saisons russes,
qui doit toutefois s'accommoder ici d'une chorégraphie d'origine perdue,
les décors et les costumes de la production ont fait l'objet d'un soin
particulier, se voulant proches des scénographies originales, dont les
traces picturales, on le sait, abondent, formant pour notre temps un
gigantesque et inépuisable livre d'images.
Maria Alexandrova et Mikhaïl Loboukhine dans Le Pavillon d'Armide
Une fois de plus avec les
Ballets russes, appréhendés en cette période de commémoration intense
comme un pur objet muséographique, le plaisir du spectacle semble
essentiellement résider dans cette réussite visuelle et esthétique – un
peu toujours aux frontières du kitsch
et de l'indigestion de couleurs et de formes. Plaisir d'esthète
nostalgique et un brin décadent, ce Pavillon
d'Armide revisité est un pur divertissement, exotique et
onirique, dans le goût du XIXème siècle finissant, rien d'autre qu'un
tableau mouvant aux mille coloris, dédié à la seule danse, comme
l'aurait aimé ou rêvé un Théophile Gautier – dont l'intrigue du ballet
s'inspire du reste.
Mikhaïl Loboukhine dans Le Pavillon d'Armide
Sur le plan dramatique, le ballet est, avouons-le, assez proche du
néant, réduisant le livret original de Benois, composé de trois tableaux
successifs, à une action aux contours peu lisibles et s'étirant en
longueur dans un décor unique. Le cadre fantastique du récit est
malheureusement trop peu exploité par la scénographie, décorative, là où
l'intrigue, inspirée d'un conte de Gautier, Omphale, l'aurait voulue participant elle-même au drame,
au même titre que les personnages. Le ballet semble ainsi se résumer à
la mise en scène chorégraphique du grand divertissement central de
l'ouvrage de Fokine – appelé "la bacchanale" -, qui voit la rencontre,
sous l'égide d'un étrange marquis-magicien, du jeune Vicomte de
Beaugency, métamorphosé en chevalier Renaud, et de la magicienne Armide,
jaillie de la tapisserie fantastique qui la figure.
Maria Alexandrova et Mikhaïl Loboukhine dans Le Pavillon d'Armide
Il fallait sans
doute toute la flamboyance et l'autorité de Maria Alexandrova pour
réussir à faire vivre ce ballet léger-léger - et jamais vraiment
passionnant -, bien accompagnée du reste dans ses évolutions virtuoses
par Mikhaïl Lobukhin, dans le rôle quelque peu ingrat du Vicomte de
Beaugency, et Mikhaïl Martynyuk, dans celui, plus brillant, de
l'Esclave, jadis créé par Nijinsky. Corps de ballet et demi-solistes -
les deux délicieuses Amies, Alia Khassenova et Alexandra Timofeïeva,
méritent tout particulièrement d'être mentionnées - sont à l'unisson,
dans une chorégraphie d'apparat, aux exigences limitées, qui vise
surtout à suggérer l'harmonie, l'ordre et la sérénité d'un jardin à la
française enchanté.
Igor Pivorovitch dans Le Pavillon d'Armide
Fontaines roucoulantes, bosquets verdoyants,
odalisques, négrillons, eunuques, bouffons, créatures exotiques et
bizarres - et un Mage qui en suggère déjà d'autres... -, tout ici
respire le joli, le charmant, le précieux, le mièvre et l'agréablement
superficiel, jusqu'à cette musique illustrative de Tcherepnine, qui
rappelle, presque à la manière d'un pastiche, les langueurs impériales
de Glazounov. Bref, un concentré d'un autre siècle, restitué de manière
un peu vaine, et à goûter avec modération - sans trop faire usage de sa
raison.
Nikolaï Tsiskaridzé dans L'Après-midi d'un Faune
Avec L'Après-midi d'un Faune,
comme avec L'Oiseau de feu qui
clôture le programme, l'effet de découverte et de surprise est
évidemment atténué. Les moyens malgré tout limités des Saisons russes,
conjugués à la recherche soucieuse d'authenticité scénographique, se
font aussi sentir davantage, si l'on a à l'esprit la superbe production
monochrome de l'Opéra de Paris pour le premier ballet, et celle,
véritablement éblouissante, du Mariinsky, pour le second. Le trait du
peintre, comme celui du coloriste, sont d'évidence ici plus grossiers,
moins délicats, dans la reproduction des toiles de Bakst, et les
éclairages pèchent parfois par un certain manque de subtilité. Il reste
alors le ballet dans sa fonction "pédagogique", pour en quelque sorte
connaître et apprendre les "Ballets russes" par la forme et par le
geste, à défaut d'autre chose...
Nikolaï Tsiskaridzé dans L'Après-midi d'un Faune
Dans le ballet de Nijinsky, Nikolaï Tsiskaridze campe un Faune nerveux,
puissant, à la brutalité assumée, qui, loin de l'élégante et souvent
trop humaine sensualité parisienne, parvient à recréer le trouble
dionysiaque primitif, sans pour autant atteindre l'ambiguïté rêvée. Pas
de langueur ni de respiration rassurantes ou esthétiques chez ce Faune,
dont la longue silhouette dominatrice semble à dessein ignorer la Nymphe
dans l'"étreinte", pour mieux affirmer sa puissance animale et barbare.
Contraint, codifié jusqu'à l'extrême, écrasé par le mythe et la
légende, alimenté par tous les fantasmes, on se demande toutefois si le
rôle créé par Nijinsky dans ce véritable ballet de musée est encore sérieusement interprétable
aujourd'hui, tout au moins dans la perspective "archéologique" qui est
celle dans laquelle s'inscrivent les Saisons russes et, plus
généralement, les compagnies classiques qui l'ont à leur répertoire.
Le Ballet du Kremlin dans L'Oiseau de Feu
L'Oiseau de feu, à l'instar de Petrouchka, est peut-être, à
l'inverse, l'un des ballets restés les plus vivants du répertoire de la
troupe de Diaghilev. Même restitué dans sa lourde et spectaculaire
scénographie d'époque, le ballet, fort d'un livret solide et d'une
musique évocatrice, semble encore conserver tous ses possibles et tous
ses rêves.
Kristina Kretova et Artyom Iatchmenikov dans L'Oiseau de Feu
Après le Faune inquiétant, étrange et radical de Tsiskaridze,
l'Oiseau de feu de Kristina Kretova, formellement irréprochable, paraît
sans doute un peu trop empreint de joliesse et d'humanité, d'une
humanité rappelant ici ou là quelque cygne perdu au bord d'un lac
allemand. La danse est légère, véloce, bondissante, sensuelle – on pense
parfois à Diana Vichneva -, et agrémentée de bras très séduisants, mais
il lui manque peut-être cette puissance et cette autorité d'un autre
monde, que possède notamment Ekaterina Kondaurova, pour rendre le
tableau vraiment saisissant.
Kristina Kretova dans L'Oiseau de Feu
A cet égard, le contraste avec la
délicieuse Natalia Balakhnitcheva, Princesse de la Beauté Sublime d'un
lyrisme et d'une tendresse admirables, ne ressort pas suffisamment. Au
milieu de ce duo féminin, Artem Yachmenikov joue très bien au Prince de
conte russe, naïf, angélique autant que malicieux, offrant un
contrepoint idéal aux forces du mal représentées par Kochtcheï
l'Immortel, campé par Roman Martichkine, interprète percutant à la
théâtralité très précise.
Le Ballet du Kremlin dans L'Oiseau de Feu
Néanmoins, au-delà de la qualité des
interprètes et d'un travail scénographique qui reste, de façon générale
et en dépit des réserves, très propre et consciencieux, on ne peut que
souligner le manque que constitue, a fortiori dans le cadre de ces
Saisons russes au caractère délibérément muséographique, l'absence
frustrante d'un orchestre, palliée ici par le recours à une bande
enregistrée. Rapportée à l'esthétique prônée par Diaghilev et ses
épigones, celle d'une oeuvre réunissant tous les arts, cette quête
éperdue d'un répertoire oublié en devient presque alors un contre-sens.
B. Jarrasse © 2010, Dansomanie
Le Pavillon d'Armide
Musique
: Nicolas Tchérépnine
Chorégraphie : Jurius Smoriginas
Décors et costumes : Alexandre Benois, reconstitués par Anna et Anatoli Nejny
Armide – Maria Alexandrova
Le Vicomte de Beaugency / Rinaldo – Mikhaïl Loboukhine
L'Esclave d'Armide – Mikhaïl Martinyuk
Le Marquis / Guidrao –
Igor Pivorovitch
Deux amies – Alia Khassenova, Alexandra Timofeïeva
Le Bouffon – Dimitri Kojemiakine
Les Petits nègres – Mikhaïl Kirchine, Alexandre Khmylov
Le Mage – Youri Bielooussov
Les Eunuques – Vadim Kremensky, Roman Volodchenkov, Evguéni Korolev
Kyrill Ermolenko, Maxime Sabitov
Les Odalisques – Valeria Pobedinskaïa, Elena Gouchtchina, Ekaterina Tchourkina
L'Après-midi d'un Faune
Musique
: Claude Debussy
Chorégraphie :Vaslav Nijinski, reconstituée par Svetlana Romanova
Scénographie : Mariis Liepa
Décors et costumes : Léon Bakst, reconstitués par Anna Nejny
Le Faune – Nikolaï Tsiskaridzé
La Grande nymphe – Tatiana Tchernobrovkina
Les Nymphes – Veronika Varnovskaia, Tatiana Jouravleva, Zinaïda Panicheva
Milena Petroukhina, Valeria Pobedinskaïa, Ekaterina Tchourkina
L'Oiseau de feu
Musique
: Igor Stravinsky
Chorégraphie :Michel Fokine, renconstituée par Andris Liepa
Décors et costumes : Alexandre Golovine et Léon Bakst, reconstitués par Anna et Anatoli Nejny
L'Oiseau de feu – Kristina Kretova
Ivan le Tsarevitch – Artyom Iatchmenikov
La Princesse de la Beauté sublime – Natalia Balakhnitcheva
Kochtcheï l'Immortel – Roman Martichkine
Ballet du Kremlin
Musique enregistrée
Samedi 06 mars 2010, Théâtre des Champs-Elysées, Paris
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