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"Flamenco Festival" au Sadler's Wells (Londres)
17 février 2010 : Lluvia (Eva Yerbabuena) au Sadler's Wells
Eva Yerbabuena dans Lluvia
Lluvia
commence sur une image classique : une danseuse seule, traversant une
foule en noir, y exprimant sa solitude. Quelques touches contemporaines
viennent consolider l'image, mais c'est Eva Yerbabuena, en blanc, qui
rend sa force au lieu commun. Lluvia
(Pluie) est de son propre aveu son oeuvre la plus mélancolique, et la
danseuse de flamenco, qui parcourt le monde avec sa propre compagnie
depuis 1998, s'y donne le rôle de l'étrangère. Etrangère ou presque aux
quatre danseurs qui l'accompagnent et forment leur propre communauté -
étrangère aux musiciens dont elle habite si puissamment les mélodies.
Son passage à Sadler's Wells, cette semaine, dans le cadre d'un Flamenco
Festival qui met à l'honneur des femmes qui ont renouvelé le genre,
n'en était que plus touchant.
Eva Yerbabuena, qui a fait ses classes à Grenade, Séville et La Havane,
sait visiblement s'entourer, et ce nouveau spectacle est un écrin qui
met en valeur sa différence. La toile de fond représente un mur de
briques qui laisse deviner un intérieur encombré et, de l'autre côté
d'un porche, les musiciens de l'œuvre, qui portent Lluvia, d'une scène à l'autre. Parmi
eux, quatre chanteurs répondent aux quatre danseurs d'Eva Yerbabuena -
une longue scène gaie et ironique est dédiée à cette communauté de
flamenco qui se retrouve autour d'une table ou en cercle, s'encourageant
les uns les autres. Eva Yerbabuena traverse ce passage, légèrement
incongru dans l'atmosphère sombre de l'oeuvre, comme une femme qui a
vieilli, à la folie étrangère au reste du groupe, à la fois puissante,
parée de tous ses atours et reléguée en bordure du monde. Elle danse,
brillamment, à en perdre plusieurs fois son peigne - et disparaît,
laissant la scène au groupe qui poursuit la fête.
Seule, Eva Yerbabuena ne l'est pas uniquement par choix - chacune de ses
apparitions confirme cette différence. Sa technique, sculptée par le
temps, est exceptionnelle - chaque geste semble posséder une histoire,
descendre d'une lignée immémoriale. Son jeu de jambes est éblouissant,
travaillé comme une réplique donnée aux musiciens. La forme générale de
sa danse, surtout, a quelque chose de l'incarnation d'une tragédie,
inévitable, marquée par l'idée du passé, et son rapport profond à la
terre donne d'autant plus de force au travail des bras et à leur
placement, figeant l'air comme des coups de tonnerre. Le flamenco ne
manque pas de clichés dans l'imaginaire commun, mais le pur plaisir
d'une alliance aussi profonde entre danse et musique persiste,
insufflant à la structure parfois vacillante de Lluvia toute son émotion.
Eva Yerbabuena dans Lluvia
Les scènes qui précèdent et suivent le "divertissement" central
explorent donc la singulière mélancolie de la star du flamenco, et sont
(peut-être logiquement) les plus réussies. Eduardo Guerrero, imposant
d'intensité, la rejoint pour un duo autour d'une table, son physique
longiligne et impérieux contrastant avec une danseuse qui semble ployer
sous le poids de la vie - enlacés, la table toujours entre eux, leur
danse possède une dimension dramatique fascinante. Ce n'est pas la haine
qui vient les séparer, mais un destin dont le flamenco a conscience -
travaillé par le poids du monde, au-delà de l'individualité. Eva
Yerbabuena finit seule sur scène, les bras bloqués dans les trappes
fuyantes de la table, et revient plus loin vêtue de noir, oiseau en
deuil ou de mauvais augure. Son dialogue avec les musiciens qui la
regardent prend alors une dimension exceptionnelle - niché dans le
rythme, expliqué en miroir par le grand châle rouge dans lequel l'un des
chanteurs l'enveloppe. Le taureau et le toréador se rejoignent dans
cette image, et Eva Yerbabuena semble aller chercher dans la danse à la
fois l'oubli et la consécration de ce qu'elle reste - magnifiquement
seule.
Laura Cappelle © 2010, Dansomanie
Lluiva
Danse Flamenco
Chorégraphie : Eva Yerbabuena
Av ec :
Eva Yerbabuena, Eduardo Guerrero
Mercredi 17 février 2010, Sadler's Wells, Londres
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