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critiques et comptes rendus
Ballet du Capitole de Toulouse

12 février 2010 : "A nos amours" (Kader Belarbi) à la Halle aux grains


gaelle riou et raphael paratte dans a nos amours
Gaëlle Riou et Raphaël Paratte dans A nos amours (chor. Kader Belarbi)

Le troisième spectacle de ballets de la saison était, à la demande du nouveau directeur artistique Frédéric Chambert, en grande partie consacré à Kader Belarbi, étoile de l’Opéra de Paris, à présent également chorégraphe reconnu à travers le monde. Une création, une re-création, mais aussi une prise de rôle dans La Pavane du Maure nous permettaient d’admirer le danseur et le chorégraphe.

La création mondiale de A nos amours donne son titre au programme entier. Le dispositif scénique fait tout le sel de cette pièce. Trois vitrines mobiles, chacune avec un décor et un éclairage particuliers, figurent intelligemment l’univers conjugal d’un couple à trois âges de la vie. En prélude, le couple de musiciens, le violoncelliste Damien Ventula et la pianiste Marie Condamin. parcourent la scène avant de descendre dans la fosse. Le couple jeune se met à danser sur Spiegel im Spiegel, musique statique et lunaire d’Arvo Pärt. C’est l’âge des découvertes, de l’émerveillement. Tout est prétexte à jeux. L’aspect juvénile et la vivacité de Gaëlle Riou et Raphaël Paratte font merveille.

Le deuxième pas de deux, issu d’une œuvre conçue pour Marie-Agnès Gillot, présente le couple à l’âge adulte, en butte aux difficultés de la vie. L’Elégie de Fauré sert de soutien musical. Lucille Robert et Kazbek Akhmedyarov utilisent le vocabulaire classique avec une expression passionnée, parfois exacerbée. Le déroulement de leur duo, d’une logique sans faille, forme certainement le cœur de l’œuvre entière.

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Kazbek Akhmedyarov et Lucille Robert dans A nos amours (chor. Kader Belarbi)

Vêtu de manière gentiment surannée, le couple «vieux» évolue sur l’adagio pour violoncelle et piano de Kodaly, œuvre d’un style brahmsien tardif. Sur un mode plus apaisé que le précédent, ce pas de deux ne s’en distingue pas suffisamment dans le langage, ce qui laisse une impression de redite. Evelyne Spagnol et Jérôme Buttazzoni, aux cheveux poivre et sel, font valoir une superbe technique classique et s’accordent magnifiquement.

Comme dans In the Night de Robbins, les trois couples, ou plutôt les trois âges du couple se rejoignent sur la délicieuse Heure exquise de Reynaldo Hahn. Un épilogue qui devient comme un émouvant moment d’éternité. Tandis que les lumières s’éteignent doucement, la femme reste seule dans son décor familier, alors que c’est elle qui venait rejoindre l’homme au tout début. L’engagement des six interprètes de cette création est palpable et on est certain qu’ils savent mesurer la chance qui leur a été offerte de participer à cette aventure.


Avant cette création, c’est la reprise de Liens de table qui ouvrait le spectacle. Conçue en 2001 pour le Ballet du Rhin, cette œuvre a été largement remaniée pour les danseurs du Ballet du Capitole, tout en conservant sa structure d’ensemble. Elle a été inspirée à Kader Belarbi par l’écoute du 8ème quatuor de Chostakovitch, chef-d’œuvre d’une densité inouïe, ouvrant des abîmes insondables. Kader Belarbi présente néanmoins ce ballet de façon malicieuse en soulignant ce qui est commun dans le langage du domaine alimentaire et des relations affectives.

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Maria Gutierrez, Valerio Mangianti et Paola Pagano dans Liens de table (chor. Kader Belarbi)

Une table rectangulaire au milieu de la scène. Quatre personnages marchent autour. Ce sont les membres d’une même famille lors d’un repas dominical. Leur lien (thème d’exploration chez Kader Belarbi) est matérialisé par une corde rouge descendant des cintres. Les positions fœtales reviennent significativement à plusieurs reprises au début de la pièce. Mais très vite les relations se tendent et à l'Allegro molto le fils se révolte violemment en arrachant symboliquement la corde. Après de multiples épisodes oppressants, les quatre personnages se retrouvent dans la position initiale alors que la musique s'efface dans le silence. Mais la table est renversée et le fils, ayant acquis dans l'épreuve un nouveau statut, est debout sur un des pieds de la table.

Grâce à son autorité naturelle, Valerio Mangianti est l’interprète idéal du père. Paola Pagano, pourtant dans un rôle tout en souffrance muette, est d’une présence extraordinaire. Maria Gutierrez incarne une fille pleine d’une tendresse sans cesse déçue. C’est tout naturellement Davit Galstyan qui a été choisi pour le fils révolté. Sa technique sans faille s’adapte sans effort apparent à l’expression d’une sensibilité contemporaine, ce qui est exactement la direction du travail du chorégraphe. Pour la dernière représentation, la fille et le fils sont interprétés avec beaucoup d’énergie par les excellents Maki Matsuoka et Hugo Mbeng.

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Davit Galstyan et Maria Gutierrez dans Liens de table (chor. Kader Belarbi)

Dans ce ballet très fort, aussi bien par ce qu’il dit que par ce qu’il ne dit pas, la collaboration attentive entre les danseurs et le chorégraphe a donné un ensemble d’une grande cohérence. C’est le signe d’une œuvre qui durera.


Dans le cadre de la thématique du lien qui donne le ton du spectacle, Kader Belarbi a voulu mettre au programme La Pavane du Maure de José Limon. Il a proposé également à Monique Loudières d’y être sa partenaire. Ce ballet de 1949, devenu un classique du 20ème siècle, s'appuie sur la tragédie de Shakespeare en la réduisant à quatre personnages, vus sous l’angle des relations de l’un à l’autre. Les rapports entre Othello et Iago d’une part, entre Othello et Desdémone d’autre part, sont particulièrement complexes chez Shakespeare et s’ouvrent grâce à la danse, à José Limon, et à ses interprètes, à un nouveau champ d’exploration.

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Kader Belarbi et Monique Loudières dans La Pavane du Maure (chor.
José Limón)

Monique Loudières, comme Kader Belarbi pour Othello, aborde pour la première fois le rôle symbolisant l’innocence bafouée. Ses ports de tête et de bras sont toujours aussi fabuleux. Toute d’amour pour son partenaire, elle respecte avec grâce l’exigeante précision de la chorégraphie. Kader Belarbi incarne un Maure impressionnant de puissance et éclaire avec évidence l’évolution de ses sentiments et du drame. A leurs côtés Evelyne Spagnol, très expressive en Emilia, et Kazbek Akhmedyarov, en maître du jeu dans l’ombre, sont galvanisés par l’exemple.

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Evelyne Spagnol et Kazbek Akhmedyarov dans La Pavane du Maure (chor. José Limón)

La deuxième distribution fait mieux que soutenir la comparaison. Valerio Mangianti, à la violence mal domptée, l’Emilia légère et enjouée de Ina Lesnakowski, la Desdémone pure et timide de Lucille Robert, respectent l’élégance de l’écriture chorégraphique. C’est cependant Jérôme Buttazzoni qui domine ce quatuor. Son Iago, au regard toujours aux aguets, au geste millimétré, est machiavélique à souhait. Ce danseur, réputé pour être un excellent partenaire, retranscrit à la perfection la complexité du personnage et trouve là certainement un de ses meilleurs rôles.  


Après ces œuvres pour solistes, il fallait un ballet mobilisant tout le corps de ballet. Beethoven 7, de Uwe Scholz, au même titre que Thème et variations de Balanchine, ou bien Fearful Symmetries de Peter Martins, est un ballet phare de la compagnie toulousaine. Quelles que soient les nouvelles arrivées dans la troupe, celle-ci peut y démontrer son niveau d’excellence dans son style préféré, le style néoclassique.

Uwe Scholz, chorégraphe allemand trop tôt disparu, et méconnu en France, se réclamait du double héritage de Balanchine et de Cranko. Dans ce ballet il a conçu aussi bien la chorégraphie que les lumières, les costumes et le décor (inspiré par le tableau Beta Kappa de Morris Louis) pour réaliser une visualisation de la partition de Beethoven. La structure interne de la symphonie est admirablement comprise, l'auteur ne craignant pas de répéter des passages chorégraphiques au moment des reprises. La conception même de ce ballet ne pardonne aucun décalage avec la musique, ce qui s'avère un véritable défi physique pour des danseurs devant enchaîner six représentations très rapprochées.

Les entrées et les sorties, se succédant à vitesse accélérée sont rendues encore plus difficiles par la largeur du plateau de la Halle aux grains et le manque de dégagement sur les côtés.

Les solistes ne sont pas oubliés. Magali Guerry illustre par sa technique virtuose et la sûreté de ses pointes la forme sonate du premier mouvement. Dans le sublime Allegretto, Paola Pagano témoigne de son lyrisme intériorisé tandis que les danseuses du corps de ballet marquent le rythme dactylique par des arabesques.

Dans le Scherzo, l’esprit du jeu est incarné par les bondissants Davit Galstyan et Raphaël Paratte. Enfin l’étourdissant Finale est emmené avec brio par Maria Gutierrez, plus virevoltante que jamais et qui reçoit des applaudissements nourris.

Cette association de Kader Belarbi avec le Ballet du Capitole aura-t-elle une suite? Il se murmure que oui. Ce qui est certain c’est que ce spectacle «A nos amours» va partir en tournée, en France et à l’étranger. On ne peut que le recommander aux amateurs de danse.




Jean-Marc Jacquin © 2010, Dansomanie





Liens de table
Musique : Dmitri Chostakovitch

Chorégraphie : Kader Belarbi
Costumes : Michaela Buerger
Lumières : Sylvain Chevallot

La Mère – Paola Pagano, Isabelle Brusson
Le Père – Valerio Mangianti
La Fille – Maria Gutierrez, Maki Matsuoka
Le Fils – Davit Galstyan, Hugo Mbeng


A nos amours
Musique : Gabriel Fauré, Reynaldo Hahn, Zoltán Kodály, Arvo Pärt
Chorégraphie : 
Kader Belarbi
Costumes : Michaela Buerger
Lumières : 
Sylvain Chevallot

Les Jeunes 
Gaëlle Riou, Raphaël Paratte
Les Adultes 
Lucille Robert, Kazbek Akhmedyarov
Les Vieux 
Evelyne Spagnol, Jérôme Buttazzon


La Pavane du Maure
Musique : Henry Purcell arrangée par Simon Sadoff
Chorégraphie : José Limón

Costumes : Pauline Lawrence

Le Maure 
Kader Belarbi  / Valerio Mangianti
Desdémone 
Monique Loudières / Lucille Robert
Iago 
Kazbek Akhmedyarov / Jérôme Buttazzoni


Beethoven 7
Musique : Ludwig van Beethoven
Chorégraphie, costumes et lumières :
Uwe Scholz
Décors :  Uwe Scholz, d’après une toile de Morris Louis, Beta Kappa

Avec :

1er mouvement 
Magali Guerry, Jérôme Buttazzoni, Isabelle Brusson,
Henrik Victorin, Lucille Robert, Takafumi Watanabe
2ème mouvement 
Paola Pagano, Valerio Mangianti, Isabelle Brusson,
Henrik Victorin, Lucille Robert, Takafumi Watanabe
3ème mouvement 
Davit Galstyan, Raphaël Paratte, Lucille Robert, Valerio Mangianti
4ème Mouvement 
Maria Gutierrez, Kazbek Akhmedyarov


Ballet du Capitole de Toulouse
Musique enregistrée

Vendredi  12 février 2010,  Halle aux grains, Toulouse


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