menu - sommaire



critiques et comptes rendus
Ballet de Perm

23 janvier 2010 : Le Ballet de Perm à Blagnac (Odyssud)


les sylphides par le ballet de perm
Les Sylphides (chor. M. Fokine),  par le Ballet de Perm


Ville qui a vu naître Serge de Diaghilev, Perm possède dit-on la troisième compagnie de ballet de Russie. Il a pourtant fallu attendre 2010 et l’année croisée Russie-France pour la voir enfin en tournée en France. Outre cette proximité historique avec Diaghilev, dont l’œuvre fait toujours l’objet de sentiments partagés en Russie, cette compagnie présente aussi l’originalité d’avoir tissé des liens depuis quelques années avec le Balanchine trust, et de programmer régulièrement des ballets de celui qui fut la dernière découverte de Diaghilev.

Le deuxième programme de la tournée, avec trois ballets de Michel Fokine, emblématiques de la première période des Ballets russes, complété par Serenade de Balanchine, une de ses premières œuvres présentées aux Etats-Unis, témoigne de ce double attachement. C’est celui qui est présenté à la salle Odyssud de Blagnac, absolument comble.

Les Sylphides est une somptueuse réminiscence du ballet blanc tel qu’il a été cultivé tout au long du 19ème siècle depuis le ballet des Nonnes dans Robert le Diable. Willis, cygnes, dryades et autres ombres ont conduit les danseurs et les chorégraphes à rechercher toujours plus d’élévation et d’immatérialité.

Sans aucun argument autre que le prétexte du poète recevant son inspiration de la nature, le ballet est une suite d’ensemble vaporeux et de variations évanescentes. La technique constamment fluide et la musicalité jamais en défaut des danseuses sont une évidence. On ne soulignera jamais assez à quel point la qualité des ports de bras a été portée à son plus haut degré dans l’école russe. Rappelons que Perm possède sa propre école de danse, grandement influencée par l’école Vaganova.

Le décor de toile peinte est naïvement romantique, la transcription orchestrale de la musique de Chopin est difficilement écoutable de nos jours, le fade poète lui-même semble peu inspiré par ces visions sublimes, mais la qualité de l’Ecole russe fait oublier ces petits désagréments.

le spectre de la rose par le ballet de perm
Le Spectre de la rose (chor. M. Fokine),  par le Ballet de Perm

Dès sa création en 1911, le Spectre de la rose a été immédiatement élevé au rang de mythe, en grande partie par la grâce de son créateur principal Nijinski. Le rôle masculin y demande des qualités antithétiques : pur esprit asexué, mais pas efféminé, d’un grand raffinement tout en évoquant la sauvagerie de la nature à laquelle on a arraché la rose, sans oublier la virtuosité sans effort apparent exigée par la chorégraphie

Robert Gabdullin est probablement une des vedettes masculines de la compagnie. Sa technique est à la fois puissante et légère. Ses bras son beaux et il n’est pas défiguré par le fameux bonnet de pétales de roses. A ses côtés, Inna Bilash présente tout le charme romantique nécessaire. La conception du ballet est en fait différente de ce qu'on est accoutumé de voir. Ce n'est pas un esprit rêvé par la jeune fille mais un être étrange, plutôt viril et incarné, venu visiblement avec l'intention précise de troubler le sommeil de la belle endormie. Cette idée est défendue avec engagement par les deux danseurs. La distance induite par le rêve est abolie mais on est finalement plus proche du poème de Théophile Gautier "soulève ta paupière close...", qui n'est autre qu'une longue apostrophe de la rose sacrifiée pour un plaisir frivole et éphémère.

les danses polovtsiennes par le ballet de perm
Les Danses polovtsiennes (chor. M. Fokine),  par le Ballet de Perm

On peut regretter que les Danses Polovtsiennes aient déserté les scènes françaises. Peut-être ce ballet de genre ne correspond-il plus au public d’aujourd’hui. Il n’en reste pas moins que ce mélange époustouflant de fougue et de sensualité procure un plaisir sans arrière-pensée.

Serenade est certainement un des plus grands chefs-d’œuvre de Balanchine. S’inspirant du ballet blanc (le rapprochement avec Les Sylphides n’est pas innocent dans la programmation), il remplace les tutus par des tuniques souples, puis laisse parler le mouvement sans aucun argument en suivant scrupuleusement la musique. La manière dont il suggère différents sentiments par de subtils enchaînements n’a pas fini de nous fasciner. Dès la réexposition de l’Allegro moderato, le climat s’assombrit légèrement et une sourde inquiétude jaillit au milieu des évolutions insouciantes des danseuses. Cette inquiétude va s’estomper ou s’accentuer tour à tour jusqu’à la fin du Thème russe. L’enchaînement avec l’Elégie, visualisé par la chute de la soliste, anecdote réellement vécue par Balanchine, est maladroitement amené (la danseuse doit dénouer discrètement ses cheveux en tombant). Le climat tragique de l’Elégie pourrait être rendu de manière plus intense. Mais la vision de la femme bafouée puis son renoncement porté en sacrifice sont admirables.

les danses polovtsiennes par le ballet de perm
Serenade (chor. G. Balanchine),  par le Ballet de Perm

Durant tout le ballet les danseuses justifient leur réputation en faisant valoir des alignements toujours parfaits. On voit peu les danseurs et heureusement car leurs costumes rappellent terriblement une célèbre marque de layette. Mais la justesse du style n'est pas contestable.

La tournée se poursuit jusqu’au 6 février. Au-delà de la qualité de la troupe et de l’intérêt des œuvres présentées, on constatera avec bonheur qu’une compagnie russe est accessible à un autre répertoire que les grands ballets en trois actes.




Jean-Marc Jacquin  © 2010, Dansomanie




Les Sylphides
Musique :
Fréderic Chopin, orchestration Alexandre Glazounov
Chorégraphie : Michel Fokine

Avec : Maria Menshikova, Natalya Moiseeva, Ekaterina Panchenko, German Starikov


Le Spectre de la rose
Musique : Carl Maria  von Weber, orchestration Hector Berlioz

Chorégraphie : Michel Fokine

Avec : Inna Bilash, Robert Gabdullin


Danses polovtsiennes
Musique : Alexandre Borodine

Chorégraphie : Michel Fokine

Avec :  Elena Kulichkova, Natalya Makina, Sergey Mershin


Serenade
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovsky

Chorégraphie : George Balanchine


Musique enregistrée


Samedi 23 janvier 2010,  Odyssud, Blagnac


http://www.forum-dansomanie.net
haut de page