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Compagnie Fêtes galantes
21 janvier 2010 : Songes, de Béatrice Massin, au Théâtre National de Chaillot (Paris)
Songes (chor. B. Massin), par la compagnie Fêtes galantes
Sur un lit de nuages répandu au-dessus d'un ciel
immense peint sur le sol, une silhouette dénudée, solitaire, s'avance
lentement dans la pénombre, bientôt suivie par d'autres semblables. Des
miroirs se découvrent peu à peu, reflétant et déformant les êtres,
laissant pénétrer le spectateur dans un univers d'illusions et de
métamorphoses, où les perspectives semblent comme démultipliées. Au
rythme de cette procession inaugurale, les bras et les mains des
danseurs s'ouvrent soudain vers le dehors, paumes offertes, dans une
glissade baroque emblématique, dans un mouvement royal, fondateur de
tout classicisme. Ainsi débute Songes,
à cette heure bleue, entre chien et loup, où, l'esprit
incertain, les yeux tendent à se fermer imperceptiblement...
En ce début d'année, la grande salle du Théâtre National de Chaillot
présente, sans tambour ni trompette - ni feux d'artifices royaux -, Songes,
le dernier ballet de Béatrice Massin, créé le 3 octobre 2009 au Pôle
culturel d'Alfortville pour la compagnie Fêtes galantes. L'ouvrage,
dans sa sobriété et son dépouillement, se satisfait à vrai
dire pleinement de cette absence de rumeur. La salle Jean Vilar,
destinée avant tout au théâtre, paraît au demeurant un écrin bien trop
vaste pour accueillir une pièce rêveuse, à dominante clair-obscur,
chorégraphiée pour neuf danseurs. Celle-ci, surtout, crée et amplifie
par elle-même son propre espace, contenu dans un ciel de théâtre et un
dispositif de miroirs, qui semble quelque peu noyé dans cette
immensité. Mais passons... Ainsi que le signalent son titre pluriel et
sa scénographie en anamorphose, le ballet s'offre comme une exploration
dansée autour du rêve et de l'illusion, thèmes chers à l'esthétique et
à l'imaginaire baroques. Le pot-pourri musical concocté par Jean-Claude
Malgoire et l'Atelier Lyrique de Tourcoing, à partir d'airs évocateurs
de Lully, Vivaldi, Charpentier et Purcell, agit là comme une
suggestion, une invitation à la danse, un prétexte à un voyage hors du
temps et dans un lieu de nulle part.
Songes (chor. B. Massin), par la compagnie Fêtes galantes
Les
divers tableaux qui composent le ballet
s'enchaînent ainsi sans rupture ni pause, presque
improvisés dans leur
jonction, comme reliés par une association inconsciente
d'idées, et font se succèder, dans un effet
spéculaire apparemment sans terme, ensembles,
trios, duos ou solos. La chorégraphie, inspirée dans son
ossature d'une
grammaire baroque, contrainte et verticale, se trouve toutefois
constamment réinventée ici par une gestuelle
délibérément
contemporaine, plus horizontale et ancrée dans le sol. Le haut
du
corps, ouvert et tendu vers les cieux, s'oppose au bas du corps, pris
dans une spirale de pliés qui l'attirent vers la terre. La
marche lente
et processionnelle alterne avec la course circulaire, la
préhension du
sol avec le saut libérateur, le mouvement compact et
ramassé sur
lui-même avec l'élan aérien des multiples
changements de directions.
Dans cette rêverie bleue comme une orange, si c'est la femme qui
donne
le la, ce sont les hommes qui mènent la danse, jusque dans les
scènes
de combat gracieuses et stylisées qui les unissent : trois
filles pour
six garçons, la dissymétrie fait partie de ce songe
étourdissant,
imprégné, ici ou là, d'un certain second
degré amusé, en forme de
"pensée de derrière". Les costumes savent eux aussi jouer
du
déséquilibre et du contraste : corps presque
dénudés revêtus de
maillots ou de tuniques mauves invitant au sommeil, silhouettes
élancées et majestueuses habillées de robes
à longues traînes, jaune
flamboyant sur fond de nuit bleutée... Un baroque
épuré, métallique, et
réduit à l'essentiel, en contrepoint direct des fastes
solaires du
spectaculaire de cour qu'on rattache volontiers à cette
esthétique...
"Baroque", vous avez dit "baroque"?... Le ballet de Béatrice Massin
l'est en effet par son imaginaire onirique, ses références
picturales, sa charpente musicale et son squelette chorégraphique – en
un mot, par ses racines. L'étiquette obligée semble pourtant ici bien
superficielle, sinon réductrice. Songes
est sans conteste un ballet d'aujourd'hui, à l'apparence visuelle
indéniablement contemporaine, étranger au kitsch archéologique des
reconstitutions de carte postale, à la lourdeur des costumes d'époque
et au carton-pâte des décors mythologiques... L'ensemble serait au fond
plus à même d'évoquer, par ses ruptures de ton et son style tout à la
fois orné et dépouillé, le Kyliàn sophistiqué de Bella Figura
que les ballets mythifiés de Pécour. A ce titre, le développement du
propos, qui court sur plus d'une heure, mériterait d'être davantage
resserré, jusque dans son fil musical, peut-être un peu trop vagabond.
B. Jarrasse © 2010, Dansomanie
Songes
Musique : Jean-Baptiste Lully (extraits d'Armide), Antonio Vivaldi (La Notte), Marc-Antoine Charpentier (extraits de Médée), Henry Purcell (extraits de King Arthur et The Fairy Queen)
Chorégraphie : Béatrice Massin
Lumières et scénographie : Rémy Nicolas
Décors : Philippe Meynard, Michel Tardif
Costumes : Dominique Fabrègue, assistée de Clémentine Monsaingeon et d'Annabelle Locks
Avec : Bruno Benne, David Berring, Laura Brembilla,
Olivier Collin,
Laurent Crespon, Julien Folliot-Villatte, Claire
Laureau, Adeline Lerme, Edouard Pelleray
Musique enregistrée : Céline
Soudain (soprano), Vanessa Fodil (mezzo), Cédric Lotterie (ténor),
Philippe Cantor (baryton), La Grande Ecurie et la Chambre du Roy, direction Jean-Claude Malgoire
Jeudi 21 janvier 2010, Théâtre National de Chaillot, Paris
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