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Théâtre de la Ville (Paris)
12 décembre 2009 : Nearly 90², de Merce Cunningham, au Théâtre de la Ville
Nearly 90² (chor. Merce Cunningham)
Il est toujours périlleux de commenter l'ultime
spectacle d'une figure artistique aussi centrale que Merce Cunningham :
en pense-t-on du mal, on se sent coupable de défigurer le monument ; en
pense-t-on du bien, on ne sait comment faire pour que les éloges qu'on
formule ne paraissent pas des figures obligées témoignant plus d'une
déférence de circonstance que d'une émotion réelle. L'auteur de ces
lignes se trouve pour Nearly 90² dans ce second cas de figure. N'eût-il
pas été honoré du nom prestigieux de Merce Cunningham, ce spectacle
n'en frapperait pas moins par l'éclat de sa beauté parfaite.
Sans doute n'est-on pas surpris de constater que, plusieurs
dizaines d'années après ses débuts, le style de Cunningham n'apparaît
plus immédiatement comme révolutionnaire, tant il a eu d'imitateurs.
La
dissociation entre la musique et la danse nous sont certes aujourd'hui
très familiers : pour autant, ce spectacle démontre avec éclat la
justesse de l'intuition de Cunningham, selon laquelle une telle
combinaison aléatoire n'est pas contraire à l'émotion, au dramatisme,
voire à la structuration du spectacle. Pendant les 80 minutes du
spectacle, on pourrait se contenter d'admirer la perfection de ces
évolutions abstraites, la beauté des danseurs, leur engagement sans
faille - et sans doute, à première vue, c'est ces qualités qui aident
le spectateur à pénétrer dans ce monde abstrait. Pourtant, l'émotion
s'installe, ou plutôt les émotions, un subtil tissu d'émotions
impalpables, fait main pour chaque spectateur qui, on en jurerait, a
ressenti tout autre chose que son voisin.
Nearly 90² (chor. Merce Cunningham)
Le projet initial du chorégraphe, Nearly 90, faisait évoluer les
danseurs devant une considérable sculpture sur laquelle étaient
projetées des vidéos. Faute d'avoir vu cette version intransportable,
on ne peut que constater dans la version présentée en tournée la place
centrale qu'a donnée Cunningham au corps du danseur. Son corps social,
pourrait-on ajouter : à côté de quelques solos inoubliables, c'est tel
ou tel trio qui frappe l'imagination du spectateur, quand Andrea Weber
est aux mains de deux de ses partenaires masculins qui manipulent ses
membres : on a déjà vu souvent cette configuration, rarement avec une
telle richesse d'émotion, rarement avec une relation aussi intense
entre les danseurs. La lenteur générale du ballet y est pour quelque
chose, le fait qu'une bonne partie de la danse se fasse sans que le
danseur quitte l'emplacement qui est le sien sur le plateau. Pas de
grande géométrie abstraite qui prendrait possession de toute la scène :
les danseurs restent souvent là où ils sont, le temps d'un solo, le
temps de laisser la place aux autres. Cette mobilité sur place
contribue grandement à donner son atmosphère à une pièce intense,
recueillie, et finalement - loin des clichés catastrophistes d'autres
chorégraphes - assez joyeuse.
Nearly 90² (chor. Merce Cunningham)
L'abstraction du propos, la discrétion des costumes, la délicatesse
des lumières semblent renvoyer à une époque révolue, qui - ce n'est pas
qu'une coïncidence - était aussi celle d'un révolutionnaire d'une toute
autre nature, George Balanchine. Pour autant, un tel spectacle
aujourd'hui acquiert une force qu'il n'aurait peut-être pas eu il y a
un demi-siècle : en un temps où des chorégraphes croient soutenir leur
misère artistique de propos philosophiques, politiques ou sociaux, le
refus du sens qui caractérise le travail de Cunningham apparaît pour ce
qu'il est, dans toute sa radicalité, dans toute sa modernité.
Dominique Adrian © 2009, Dansomanie
Nearly 90²
Musique : John Paul Jones - Takehisa Kosugi
Chorégraphie : Merce Cunningham
Costumes : Anna Finke
Lumières : Christine Shallenberg
Avec :
Brandon Collwes - Julie Cunningham - Dylan Crossman - Emma Desjardins - Jennifer Goggans
John Hinrichs - Daniel Madoff - Rashaun Mitchell - Marcie Munnerlyn - Silas Riener - Jamie Scott
Melissa Toogood - Andrea Weber
Merce Cunningham Dance Company
Takehisa Kosugi - John King, musiciens
Samedi 12 décembre 2009, Théâtre de la Ville, Paris
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