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Le Ballet-Théâtre de Saint-Pétersbourg au Théâtre des Champs-Elysées (Paris)
31 octobre 2009 : Don Quichotte
Irina Kolesnikova (Kitri)
Qui aurait cru d'avance qu'Irina Kolesnikova,
encore et toujours associée à l'image dramatique et lyrique du Cygne,
devenue comme l'emblème visuel de sa compagnie, eût pu faire une Kitri
aussi naturelle, drôle et flamboyante que celle qu'elle a livrée au
Théâtre des Champs-Elysées en ce 31 octobre? Pourtant, plus qu'un autre
peut-être, le rôle de la joyeuse fille de Barcelone semble fait pour
elle et son tempérament puissant et fougueux. Mélange de gouaille et de
distinction, sa Kitri brille par son charme piquant, sa générosité, sa
sensualité de bon aloi … et par un abattage digne en tous points d'un Don Quichotte
russe, mené à un train d'enfer. Mais au-delà de sa ballerine
principale, qui tend parfois à éclipser le reste de la troupe - au
point que les distributions ne sont même plus fournies par la
production -, il faut dire que le ballet sied particulièrement bien aux
artistes du Ballet-Théâtre de Saint-Pétersbourg. Bien qu'exigeant, il
est moins strictement et continûment marqué par l'académisme que les
grands ballets dramatiques que sont Le Lac des cygnes, Giselle ou La Bayadère,
sans compter que la jeunesse, la vitalité et le style raffiné des
danseurs – les qualités propres à la troupe de Konstantin Tashkin -
trouvent idéalement à s'exprimer dans les scènes de caractère qui font
tout le sel de l'ouvrage.
La version que présente le Ballet-Théâtre de Saint-Pétersbourg est
semblable dans sa forme et sa structure à celle qui figure au
répertoire du Théâtre Mariinsky, à commencer par le prologue mimé
mettant en scène Don Quichotte et Sancho Pança seuls et sans
accessoires devant le rideau de scène. La chorégraphie est adaptée
toutefois à un ensemble réduit de danseurs itinérants, ne disposant pas
de surcroît des moyens scénographiques d'un grand théâtre (Don
Quichotte et Sancho Pança notamment voyagent à pied et non sur leur
monture traditionnelle – cheval ou âne – le TCE n'a pas offert la
ménagerie...). Si quelques coupures mineures sont à signaler, comme la
scène du théâtre de marionnettes dans le camp des Gitans ou la Danse
Orientale à l'acte III, l'essentiel de la chorégraphie est préservé,
jusqu'au Grand Pas final, son pas de six et ses diverses variations,
dans l'esprit vif, enlevé et joyeux qui se prête à un ballet de
caractère. Les décors sur toile peinte sont assez réussis, trouvent un
juste équilibre entre réalisme pittoresque et sobriété colorée (loin du
style "nouveau riche" que peut parfois inspirer le SPBT en tant que
compagnie privée d'un magnat russe), tandis que les costumes espagnols
ou gitans trahissent un investissement plus limité, peut-être au profit
des tenues renversantes portées successivement par Irina Kolesnikova –
"plaisir des yeux", comme on dit là-bas...
Irina Kolesnikova (Kitri)
Néanmoins, la belle ne se contente pas d'être belle - ce qu'elle est
sans conteste - et d'arborer des tutus ravissants... La Kitri d'Irina,
en effet, brille autant par son énergie et sa virtuosité que par ses
qualités théâtrales et comiques. Ballet de bravoure, ballet de
caractère, ballet comique, Don Quichotte
semble en adéquation parfaite avec son tempérament sensuel et
terrestre, conjugué ici à sa maîtrise remarquable du style "escuela
bolera" (on pourrait dire ainsi qu'au-delà de l'objet, dans ses ports
de bras comme dans ses ports de tête, elle a, de manière jouissive, le
"sens des castagnettes"), qui s'y engouffrent avec une gourmandise et
un sens du sourire au premier degré très appréciables. Le seul moment
où l'on pourrait émettre quelques réserves est l'acte des Dryades, où
sa Dulcinée apparaît peut-être par trop éclatante et humaine, manquant
d'un certain lyrisme et d'un certain abandon propices au rêve. Pour le
reste, la chorégraphie met notamment en valeur son aplomb, jamais pris
en défaut, ses équilibres naturels et ses développés très fluides,
ainsi qu'un ballon remarquable qui lui permet des sauts puissants,
nerveux, mais dépourvus d'une agressivité par trop contemporaine,
qualité que l'on retrouve encore dans un subtil travail de pointes, de
ces pointes qui oublient de se ficher dans le sol comme des couteaux
dans le coeur d'un taureau andalou. La pantomime est bien menée,
superbement lisible, et surtout, ne connaît aucun temps mort : elle
sait se montrer successivement séductrice, mauvaise fille, coquine et
coquette avec les différents comparses, et par-dessus tout, elle
possède cette force de vie inentamée qui fait tout le prix du
personnage. Jusqu'à en lâcher malencontreusement son éventail dans le
dernier acte... La scène de rencontre avec Gamache (interprété par
Dmitry Shevtsov), qui réussit lui-même à être grossièrement ridicule
sans excès gênant, redessine ainsi les contours d'une parfaite petite
comédie de moeurs où l'absence de danse ne crée nul effet de manque
auprès du spectateur. Le public rit de bon coeur et l'on en
redemande... La complicité avec Basilio, incarné par le sympathique et
souriant Yuri Kovalev, est palpable, et si celui-ci n'est pas un
virtuose impeccable à la Lobukhin ou à la Sarafanov, il sait faire
oublier ses approximations techniques, ainsi qu'une certaine lourdeur
de géant, par une générosité, une simplicité et un engagement qui
s'expriment de manière drolatique dans la scène de la fausse mort,
particulièrement bien enlevée.
Irina Kolesnikova (Kitri)
Le ballet est certes dominé par la personnalité de "la" Kolesnikova et
sa maîtrise de toutes les facettes du rôle - au point qu'elle n'aurait
franchement rien à envier à bien des solistes actuelles du Mariinsky
(ou d'ailleurs!) -, mais ici, la troupe, manifestement heureuse de
danser, ne démérite en rien à ses côtés. Si la Giselle pouvait laisser sceptique quant à la pantomime, parfois maladroite, pratiquée dans le premier acte, ce Don Quichotte
s'avère en revanche très juste et convaincant dans le ton et l'esprit
pour ce qui est de la mise en scène générale de l'action : les rôles de
Don Quichotte (Pavel Kholoimenko), Sancho Pança (Dmitri Lysenko),
Gamache (Dmitri Shevtsov) ou Lorenzo (Dymchik Saykeev – également Roi
Gitan) sont campés avec force et intelligence, tandis que dans les
rôles dansants, on aura particulièrement apprécié la Danseuse des
Rues/Mercedes, interprétée par Evgenia Shtaneva, jolie brunette
piquante et vive, les deux Marchandes de Fleurs, en parfaite symbiose,
et l'Espada élégant et ténébreux de Dmitri Akulinin. Dans le second
acte, la Reine des Dryades (interprétée par Astkhik Ohannesyan)
parvient à s'imposer avec majesté aux côtés de la Dulcinée d'Irina
Kolesnikova, tout comme Amour, léger et mutin, en dépit de sa perruque
mal ajustée. Si le corps de ballet ne possède pas là l'homogénéité
physique ni les moyens de celui du Mariinsky, l'essence du style des
tableaux impériaux y apparaît pourtant - et à sa mesure - fort bien
rendue.
Une soirée inspirée et réjouissante donc, à l'image d'un ballet qui
reste un pur divertissement romantique, une fantaisie comique, à
prendre exclusivement comme tels. Il y a fort à parier que la troupe de
Konstantin Tachkin gagnerait à montrer ce Don Quichotte
plus souvent lors de ses longues tournées saisonnières, non seulement
parce que son style enjoué, sa jeunesse et ses possibilités s'y prêtent
avec bonheur, mais aussi parce qu'il reste beaucoup moins connu du
public occidental, dans ses caractéristiques russes étourdissantes, que
d'autres ballets de Petipa, fréquemment filmés ou mis à l'affiche.
B. Jarrasse © 2009, Dansomanie
Don Quichotte
Musique : Ludwig Minkus
Chorégraphie : Marius Petipa - Alexandre Gorsky
Décors et costumes : Vyacheslav Okunev
Kitri : Irina Kolesnikova
Basilio : Yuriy Kovalev
Espada : Dmitry Akulinin
Mercédès : Evgueniya Shtaneva
Gamache : Dmitry Shevtsov
Don Quichotte : Pavel Kholoimenko
Sancho Pança : Dmitry Lysenko
Lorenzo : Dymchik Saykeev
Ballet-Théâtre de Saint Pétersbourg
Orchestre du Ballet-Théâtre de Saint-Pétersbourg
Direction musicale : Vadim Nikitin
Samedi 31 octobre 2009, Théâtre des Champs-Elysées, Paris
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