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Le Ballet-Théâtre de Saint-Pétersbourg au Théâtre des Champs-Elysées (Paris)
28 octobre 2009 : Giselle
Irina Kolesnikova (Giselle) - Dimitry Akulinin (Albrecht)
Pour la troisième année consécutive, le
Ballet-Théâtre de Saint-Pétersbourg se produit au Théâtre des
Champs-Elysées, son désormais "fief" parisien. Après nous avoir
présenté en mai dernier Le Lac des cygnes, sans aucun doute son ballet-phare, et La Bayadère, la compagnie de Konstantin Tachkin nous revient cette saison avec deux autres grands classiques du répertoire russe, Giselle et Don Quichotte. Comme pour Le Lac et La Bayadère,
ces deux ballets nous sont proposés dans leur version traditionnelle,
russo-soviétique et pétersbourgeoise, très proche dans la forme et dans
l'esprit des productions chorégraphiques que l'on peut voir à l'affiche
du Mariinsky. A cet égard, on ne pourra que louer cette petite troupe
itinérante de maintenir, envers et contre toutes les sirènes - parfois
hurlantes - de la modernité, un répertoire et un style, en dépit de
moyens parfois limités, en s'en tenant à une tradition, sans chercher à
la simplifier, à l'arranger ou à l'adapter à un hypothétique goût
occidental. Bien sûr, dans le paysage parisien, le SPBT fait figure de
totale incongruité, jusque dans ses programmes géants sur papier glacé
aux traductions maladroites ou cocasses et ses photographies aux
couleurs saturées, mais qu'importe le flacon, Irina Kolesnikova,
l'étoile enivrante et sans égale de la troupe, vaut beaucoup plus que
tous les préjugés culturels ou urbains...
A vrai dire, Giselle ne
se présente pas, a priori, comme une mince affaire pour une compagnie
dont le succès tient en partie à la personnalité rayonnante de sa
ballerine principale. Car si la belle de Saint-Pétersbourg s'impose
sans conteste comme une Odette-Odile mémorable et de grande allure,
elle n'évoque pas d'emblée, avec son physique statuesque, l'innocente
petite paysanne du premier acte. Elle a beau être une actrice
expérimentée, fort convaincante et investie dans son mime, sa
silhouette noble et épanouie, ses manières raffinées, voire
sophistiquées, contredisent quelque peu le personnage, au moins tel
qu'il est censé apparaître dans la première partie du ballet.
Confrontée notamment à Bathilde, on prendrait plutôt à ce moment-là la
paysanne pour la princesse, et inversement... De même, Berthe paraît
bien juvénile à côté de la féminité triomphante d'Irina/Giselle... De
manière générale, la troupe offre un premier acte paradoxal - à l'image
de ses spectacles précédents - où se mêlent un extrême
professionnalisme et quelques "couacs" à la limite de l'amateurisme
(une pantomime parfois saugrenue, ou mal synchronisée, des décors
récalcitrants, un couple de paysans quasi-surréaliste... - il faut
savoir se retenir...). Hilarion, incarné par Dymchik Saykeev, coutumier
de tous les rôles noirs et/ou de caractère du répertoire, a un mime
très appuyé, aisément lisible, mais sans guère de nuances, qui rend,
malgré toute l'efficacité dramatique qui le porte, son personnage
quelque peu caricatural. L'intérêt de sa prestation est toutefois
qu'elle entre en contrepoint dramatique parfait avec celle d'Albrecht,
interprété par Dmitri Akulinin, qui s'impose naturellement comme un
prince de belle prestance, sobre et autoritaire. Dans le Pas de deux
des Paysans, on retrouve l'excellente - et bondissante - Alexandra
Badina, à la danse impeccable et stylée, mais malheureusement aux côtés
d'un jeune garçon bien maladroit qui paraît comme avoir été propulsé
sur scène pour la première fois. Le corps de ballet, habitué qu'il est
à danser "petit" sur des scènes étroites, se montre en revanche très
soigné et harmonieux dans les différentes danses paysannes. Les jeunes
filles sont jolies et souriantes, les jeunes gens sympathiques, les
costumes ravissants, et Irina flamboie - jusqu'à la mort....
Le deuxième acte s'offre en regard comme une franche réussite, non
seulement sur le plan formel, mais aussi en ce qu'il sait se faire le
vecteur d'une véritable émotion, maintenant le spectateur en haleine
jusqu'à l'ultime tomber de rideau. Le corps de ballet, à l'effectif
réduit (la scène du TCE ne pourrait vraisemblablement pas supporter un
ensemble plus important), y montre à nouveau une belle unité de style,
et - petit détail scénique -, on retrouve avec plaisir dans ses
évolutions la tradition de la branche de myrthe ornant le tutu immaculé
des Wilis, qui est propre à la Giselle
du Mariinsky. On s'en doute, la comparaison s'arrête là – il serait
aussi "judicieux" de mettre sur le même plan le Ballet de Bordeaux et
l'Opéra de Paris... Il n'empêche – paradoxe supplémentaire -, la Myrtha
du Ballet-Théâtre de Saint-Pétersbourg, interprétée par Astkhik
Ohannesyan, ne déparerait certes pas dans une compagnie réputée. Elle
impose naturellement son autorité, sans agressivité militaire, et sa
puissance se lit dans sa danse, précise, bondissante, soutenue par une
musicalité sans faille. Quant à Irina Kolesnikova, si son premier acte
peut laisser en partie dubitatif quant à son adéquation au rôle, le
second acte sait emporter définitivement et sans réserve aucune
l'adhésion du spectateur resté jusque-là sur sa faim. On aurait tort du
reste de ne voir dans sa prestation qu'une pure perfection plastique en
mouvement – des arabesques de rêve, des ports de bras et des
épaulements exemplaires -, car l'émotion est aussi constamment
palpable, jusque dans un ultime pas de deux vibrant de générosité -
cette émotion à laquelle seules les Giselle russes, dans leur féminité
exacerbée, parviennent à réellement donner forme. On comprend alors que
le drame du prince Albrecht n'est rien d'autre que celui du héros
romantique déchiré intérieurement, confronté dans le même temps à une
créature de l'autre monde, pur fantôme égaré dans une forêt nocturne de
fantaisie, et à une morte amoureuse, encore frémissante de vie,
respirant le double parfum de la terre et du ciel.
B. Jarrasse © 2009, Dansomanie
Giselle
Musique : Adolphe Adam
Chorégraphie : Marius Petipa d'arpès Jean Coralli et Jules Perrot
Décors et costumes : Vyacheslav Okunev
Giselle : Irina Kolesnikova
Albrecht : Dimitry Akulinin
Myrtha : Astghik Ogannesyan
Hilarion (Hans) : Dymchik Saykeev
Le Duc de Courlande : Pavel Kholoimenko
Berthe : Olga Yakubovitch
Pas de deux des Paysans : Aleksandra Badina - Dmitry Rudachenko
Ballet-Théâtre de Saint Pétersbourg
Orchestre du Ballet-Théâtre de Saint-Pétersbourg
Direction musicale : Vadim Nikitin
Mercredi 28 octobre 2009, Théâtre des Champs-Elysées, Paris
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