|




|

 |
|
|
Royal Ballet (Londres)
16 octobre 2009 : Mayerling (chor. Kenneth MacMillan)
Mara Galeazzi (Mary Vetsera) - Edward Watson (Prince Rodolphe)
Le Royal Ballet rend hommage à Kenneth MacMillan en ce début de saison en présentant Mayerling. Ce ballet illustre parfaitement la complexité du chorégraphe, et il est aussi
celui qui, sans doute, est le plus abouti dans l’expression des
sentiments, en négatif comme en positif, par le mouvement, le recours à
l’art dramatique. C'est un ouvrage très novateur dans le langage de la danse
de son époque.
Ce ballet est
une œuvre du mal-être. Il utilise tous les effets pour
restituer, sous un angle noir, la terrible histoire. Il insiste sur les
aspects les plus durs, et présente une suite de scènes
qui ne
sont jamais redondantes ou superflues pour peu que le danseur qui
incarne Rodolphe ait les qualités dramatiques nécessaires
à rendre ces
sentiments avec variété et finesse.Cette noirceur est
obtenue par une narration brute et factuelle dans des ambiances et des
situations qui accentuent l’angoisse et l’horreur de
l’histoire. La
musique de Franz Liszt est très heurtée et souligne
bien le caractère guindé et hypocrite de cette cour
austro-hongroise
fin de siècle. Les personnages principaux sont
détestables, sauf
ceux du plaisir, Mitzi Caspar et Bratfish. Les décors de Nicolas
Georgiadis et les lumières de John B.Read contribuent à
l’ambiance
sombre aussi bien dans les lieux où Rodolphe exhale sa
souffrance (la
Cour, sa chambre, celle d’Elisabeth) que là où il
prend du plaisir
(la taverne). Cette ambiance ne souligne pas uniquement la longue
descente
aux enfers de Rodolphe mais interpelle aussi le spectateur,
constamment désarçonné et surpris, car rien ne se
passe jamais comme il
l’attend.
Edward Watson (Prince Rodolphe)
La trame chorégraphique se dresse sur une série de pas de deux entre
Rodolphe et les femmes de son entourage : la sienne, la princesse
Stéphanie, ses maîtresses (Marie Larisch, Mitzi Caspar, Mary Vetsera)
et surtout sa mère (l’impératrice Elisabeth). Edward
Watson, dans l’apparence fragile de son corps félin et
hyper-flexible, s’affirme au fil du temps comme
l’interprète idéal de ce type
de ballet qui requiert souplesse, sens du drame et finesse
d’esprit. Son jeu d’acteur est au summum, fin et
mesuré, il excelle
dans la détresse et la souffrance mais son hyper-laxité
en fait un
personnage névrotique, aux attitudes d'un
intérêt constamment renouvelé. Edward Watson n'est jamais
accablé par les portés aux limites de la rupture (et
parfois même au-delà, comme le final
avec Mara Galeazzi, source de quelques frayeurs). Au milieu de
scènes
brutales, aux sentiments exacerbés, dans des mouvements parfois
contrariés qui expriment son désespoir, on retrouve un
instant ses
lignes pures, ses longues jambes, des arabesques qui remettent tout en
question. Plus que jamais, le personnage principal du ballet tient
toute la trame de l’histoire. Rodolphe doit, par
l’expression de
ses sentiments, rendre les différentes ambiances et la nature de
ses
rapports avec ses cinq partenaires. C’est dans son attitude tout
autant
que dans la chorégraphie que l’on perçoit la
détestation de sa femme, son
rapport oedipien avec sa mère, ses relations ambiguës avec
son ancienne
maîtresse, celles plus détendues avec l'une des actuelles,
Mitzi Caspar, et
enfin à travers l’intérêt et
l’excitation que Mary Vetsera lui procure. Mais Edward Watson,
à l'innombrable variété de regards, sait mesurer
ses
effets pour rendre le personnage cohérent dans sa noirceur.
Si l’on reste
impressionné par la sophistication des portés
effectués avec Iohna Loots, petite princesse
Stéphanie qui vole comme un moineau effrayé, c’est
le pas de
deux avec sa mère, une remarquable Cindy Jourdain, qui
révèle la
fragilité de Rodolphe d’une manière poignante
- relation capitale
au modèle qui ne le soutient pas et avec qui les contacts sont
difficiles voire impossibles. Les rapports entre les deux personnages
sont au centre de l’œuvre : deux tempéraments qui ne
s’inscrivent pas
dans le style de la Cour mais qui ne se comprennent pas dans leur
similarité et ne supportent pas que l’autre n’en
respecte pas les
règles. Les danseurs se lancent dans un pas de deux aux
accents
parallèles dans leurs refus de l’esthétisme,
restituant
l’incompréhension, la haine mais aussi l’amour car
seule Elisabeth
pourrait sauver Rodolphe, qu’elle condamne finalement en ne
voulant pas
laisser paraître ses émotions. Les pas sont
heurtés, Rodolphe se
contient, parfois déborde, et réalise une performance
très impressionnante. Cindy
Jourdain craque le vernis dans un instant magnifique
d’émotion,
peut-être le seul du ballet mais se reprend pour laisser Rodolphe
filer
seul et ne plus jamais le défier, comme
si elle regrettait d’avoir fléchi un instant.
Edward Watson (Prince Rodolphe)
Sarah Lamb est un peu décevante en Marie Larisch et on a un peu de mal
à déceler ses motivations en tant qu'ancienne maîtresse de Rodolphe, qui lui
présente Mary.
Elle semble plus à l’aise au début, dans son pas de
deux avec cette dernière, miroir de ce qu’elle a
été, que dans sa confrontation avec le prince. Ainsi,
c'est plutôt avec l'excellente Laura Morera que Rodolphe se
soulage (à
peine) d’une tension car la taverne où se situe
l’action est aussi le
centre d’un complot politique qui sous-tend le ballet. Quatre
officiers hongrois entrainent en effet le prince dans un
conflit supplémentaire avec la Cour, et dans une ambiance de
joie éphémère mais non dénuée
d'intensité, font pression sur Rodolphe
qui s’abandonne un instant.
Mara Galeazzi est
une Mary Vetsera tonitruante. Elle est agressive et
tranchante à souhait, loin de la gourde qu’on aurait pu
imaginer. En
effet, MacMillan n’a pas fait du personnage une victime mais
plutôt un
moteur de l’action finale. Elle est l’instrument le plus
dangereux du
désespoir de Rodolphe. Rodolphe est un faible, broyé par
la Cour. Il
veut mourir, mais pas seul. Il essuie les refus de Marie Larisch et de
Mitzi Caspar, mais Mary surenchérit. Elle le conforte dans cette
idée, ainsi que le montre le premier pas de deux dans la
chambre, où elle s’amuse des
instruments de torture mentale qui avaient déjà
terrorisé Stéphanie. La
chorégraphie donne ici à Mary la
prééminence : c’est elle qui mène
Rodolphe à l’affrontement - non plus violent mais
amoureux. Les
nuances de jeu d’Edward Watson y sont fantastiques. Sous
l’effet de la
morphine, il est comme hypnotisé par Mary, une chaleur
naît dans son
regard. Les gestes sont alors arrondis et suaves, à
l'opposé de la nuit passée avec sa femme. C’est
aussi un défi d'acteur
que relève Edward Watson : il ne verse pas dans la
mièvrerie et ne franchit jamais la
frontière du pathos. Il se surpasse constamment et rend à
Rodolphe un semblant d’humanité qui lui ouvre une
perspective (mais la force de MacMillan est de détruire cette
idée dans
le moment suivant avec la scène où Rodolphe manque de
tuer son père à
la chasse). Cette relation prend un autre tour dans le pas de
deux du
suicide et Edward Watson révèle ses peurs face à
une Mara Galeazzi qui
domine encore. Le personnage est riche car à cet instant, il
veut
mourir mais fait les comptes du poids de son geste. Il n’est
toujours
pas satisfait, il est malheureux dans la mort proche comme dans la vie.
Il est comme fasciné par la volonté de Mary et on sait
que c’est grâce
à elle qu’il va aller jusqu’au bout. C’est un
autre malheur, un autre
désespoir car même dans son vœu le plus ultime, il ne peut trouver la paix.
Maraxan © 2009, Dansomanie
Mayerling
Musique : Franz Liszt, arr. John Lanchbery
Chorégraphie : Kenneth MacMillan
Décors & costumes : Nicholas Georgiadis
Lumières : John B. Read
Prince Rodolphe : Edward Watson
Baronne Mary Vetsera : Mara Galeazzi
Princesse Stéphanie : Iohna Loots
Impératrice Elisabeth : Cindy Jourdain
Comtesse Marie Larisch : Sarah Lamb
Mitzi Caspar : Laura Morera
The Royal Ballet
Orchestra of the Royal Opera House, Covent Garden
Dir. Barry Wordsworth
Vendredi 16 octobre 2009, Royal Opera House, Londres
|
|
|