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Scottish Ballet
03 octobre 2009 : Rubies - Workwithinwork - In Light and Shadow
Rubies, chor. George Balanchine
Le Scottish Ballet a quarante ans et il
affichait son bonheur lors d'une inévitable tournée londonienne, en ce
début de mois d'octobre, à Sadler's Wells. A l'heure où le Royal Ballet
a perdu sa réputation d'antan et où d'autres troupes se taillent la
part du lion au Royaume-Uni, l'Ecosse peut en effet rappeler qu'elle
possède depuis longtemps sa propre troupe nationale, qui a consolidé
son statut depuis l'arrivée à la direction artistique du chorégraphe
Ashley Page, en 2002. A l'heure du bilan, la compagnie associe
Balanchine, Forsythe et Krzysztof Pastor, présentant ainsi à la fois le
répertoire néo-classique historique de la compagnie et l'une de ses
créations les plus populaires, In Light and Shadow.

Sophie Martin et Adam Blyde dans Rubies, chor. George Balanchine
Le joyau le plus sanguin de Balanchine connaît
un destin étrange chez certaines troupes de pedigree classique, que ce
puzzle new-yorkais tour à tour divertissant et légèrement dangereux
semble laisser de marbre. Le Scottish Ballet ne rencontre pas ce
problème – le style résolument moderne de la compagnie lui permet de
saisir l'esprit de ces Rubis,
mais ceux-ci manquent à l'inverse de la précision académique qui imbue
toute l'oeuvre de Balanchine. Les ports de bras des uns et des autres,
en particulier, se perdent dans un flou artistique qui n'a plus
grand-chose à voir avec les accents néo-classiques de la chorégraphie.
Les effets géométriques implacables de cette dernière en pâtissent ; le
Scottish Ballet attaque pourtant l'oeuvre avec une attitude si affirmée
qu'il est difficile de leur tenir longtemps rigueur des défauts
techniques. Les rôles principaux respirent la liberté et l'énergie, et
même si Vassilissa Levtonova, jeune coryphée russe, n'a pas les armes
pour relever les défis posés par le rôle de la grande soliste, tours ou
équilibres, son expression de prédatrice et la fierté de sa cambrure
n'en laissent rien transparaître.

Rubies, chor. George Balanchine
A ses côtés, c'est une danseuse française qui
explose dans les pas de deux, Sophie Martin, nommée Principal en 2008.
Techniquement assurée, elle joue d'un mélange d'audace et d'ingénuité
qui contraste avec la sophistication constante de la grande soliste –
plus impressionnant encore, elle joue de ses courbes comme peu de
danseuses classiques savent le faire. Les déhanchés et déséquilibres de
la chorégraphie prennent tout leur sens visuel et musical, et sa
ponctuation pleine d'esprit parachève un star turn
impeccable. Adam Blyde partage son énergie dans les pas de deux, malgré
quelques imprécisions, et son court galop avec le quatuor de danseurs
provoque quelques rires amusés. Le petit corps de ballet féminin, aux
expressions disparates, n'a quant à lui pas la même latitude pour
dissimuler ses propres imprécisions, et semble collectivement en
retrait sur la partition de Stravinsky.
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Tama Barry et Tomomi Sato dans Workwithinwork (chor. William Forsythe)
La soirée se poursuivait avec un produit
Forsythe, figure importante du répertoire de la compagnie écossaise,
alors même que ses œuvres sont peu montées au Royaume-Uni. Workwithinwork,
créé en 1998 pour le Frankfurt Ballett, est l'une des dernières pièces
du chorégraphe qui trouve sa source (lointaine ?) dans la technique
classique. On a parlé d'apaisement au sujet de ce travail au coeur du
travail, dansé sur des pièces pour deux violons de Luciano Berio. Nulle
composition électronique, effectivement, mais on n'en retrouve pas
moins l'essence du style de Forsythe – un mouvement ininterrompu, comme
improvisé, une tension et une torsion extrêmes dans chaque pose, un
flot de duos qui se relaient dès que la musique s'interrompt.
Brenda Lee Grech et Paul Liburd dans Workwithinwork (chor. William Forsythe)
Le décor
de fond, sombre, esquisse quelques portes. Quelques passages rappellent
le profond instinct théâtral du chorégraphe, qui avait créé pour le
Scottish Ballet le fascinant Artifact Suite
– le jeu de révérences des couples qui s'avancent vers le fond, comme
des marionnettes, la présence d'une figure presque étrangère, dansée de
manière électrifiante par une Diana Loosmore à la stature différente de
ses collègues. La solitude est ici plus mélancolique que dans la
plupart des œuvres de Forsythe, mais l'ensemble tend vers la répétition
à l'infini en n'intégrant qu'ici et là des transitions significatives,
dont l'écho s'éteint trop vite.
Sophie Martin et Adam Blyde dans Light and Shadow (chor. Krzysztof Pastor)
Si les danseurs entraient déjà dans le vocabulaire de Workwithinwork comme autrement plus naturel que celui de Balanchine, In Light and Shadow,
la dernière œuvre au programme, créée pour la compagnie, les voit
rayonnants sur scène. Le chorégraphe, Krzysztof Pastor, a expliqué
qu'il s'agissait de la création la plus populaire de son répertoire, et
on le comprend aisément. Humain, lumineux, le mouvement, qui intègre
des références à la danse baroque et à son usage des bras, reflète avec
simplicité la Suite n°3 de Jean-Sébastien Bach, précédée de l'aria des Variations Goldberg.
Claire Robertson et William Smith dansent cette dernière avec
délicatesse, Pastor donnant le temps à ses danseurs de mettre en relief
leur relation sans que le partenariat devienne un rapport de force – la
jupe d'une danseuse (Soon Ja Lee) devient ainsi l'instrument d'un jeu
et d'un dialogue avec son partenaire, Gabriel Barrenengoa.
Sophie Martin et Adam Blyde dans Light and Shadow (chor. Krzysztof Pastor)
L'angélique
Tomomi Sato, à l'allure d'elfe, semble protégée dans les mains du
danseur qui l'accompagne. Ces duos sont l'ombre de la pièce, ramenée
dans la lumière par un corps de ballet extrêmement bien dirigé, qui se
disperse et se réunit avec bonheur au fil des morceaux. La seule fausse
note tient aux costumes, supposés évoquer les contrastes de l'ère
baroque – or, argent et rouge vif sont bien présents, mais l'ensemble
apparaît plus discordant que réellement brillant. In Light and Shadow
met quoi qu'il en soit des artistes en lumière – les applaudissements
ne s'y sont pas trompés –, et parmi eux plus particulièrement Paul
Liburd, d'une profondeur pleine de maturité.
Azulynn © 2009, Dansomanie
Rubies
Musique : Igor Stravinsky
Chorégraphie : George Balanchine
Scénographie : Karinska
Workwithinwork
Musique : Luciano Berio
Chorégraphie : William Forsythe
Scénographie : Stephen Galloway
In Light and Shadow
Musique : Krzysztof Pastor
Chorégraphie : Jean-Sébastien Bach
Scénographie : Tatyana Van Walsum
Scottish Ballet
Musique enregistrée (Workwithinwork)
Lynda Cochrane, piano (Rubies)
Brian Pentice, piano (In Light and Shadow)
Scottish Ballet Orchestra, dir. Richard Honner
Samedi 3 octobre 2009, Londres, Sadler's Wells Theatre
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