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Festival de Sablé-sur-Sarthe 2009
Depuis sa création en 1979, le Festival de
Sablé-sur-Sarthe, dédié au répertoire baroque, offre une place de choix
à la danse - "la belle danse", comme on l’appelle traditionnellement -,
au sein d’une programmation musicale toujours très dense et variée. Son
académie annuelle accueille parallèlement de jeunes danseurs, au même
titre que des chanteurs, des acteurs et des musiciens, pour des stages
de formation et de perfectionnement en danse et en musique anciennes.
Les lieux de la région où se tiennent les spectacles – idylliques et
enchanteurs, à l’image d’une France rêvée – ajoutent du reste au charme
d’un festival qui se veut particulièrement chaleureux et convivial.
28 août 2009 : Absent, je te retrouve, par la Compagnie L'Espace
Absent, je te retrouve (chor. Nathalie Adam)
Pour sa 31ème édition, le directeur du Festival,
Jean-Bernard Meunier, avait notamment choisi de donner sa chance à une
jeune troupe encore peu connue, l’Espace, dirigée par Nathalie Adam et
composée de danseurs formés pour la plupart au Conservatoire National
Supérieur de Musique et de Danse de Paris. C’est d’ailleurs là que
Nathalie Adam, la chorégraphe, a reçu l’enseignement de Wilfride
Piollet, une influence qu’elle juge aujourd’hui primordiale et qui a
contribué, avant qu’elle n’aille l’approfondir sous d’autres cieux, à
lui faire appréhender l’univers de la danse baroque. La créatrice et
interprète d’"Absent, je te retrouve"
ne se retrouvait toutefois pas en terre inconnue à Sablé, puisque, en
marge de ses activités chorégraphiques et pédagogiques, elle est membre
de l’Eventail, la compagnie de danse baroque de Marie-Geneviève Massé,
basée depuis plusieurs années dans la petite ville de la Sarthe et
coutumière de son festival annuel.
Le spectacle chorégraphié par Nathalie Adam se présente formellement
comme une série de variations autour de textes divers extraits de
pièces ou de sonnets de Shakespeare - qui l'inspire jusqu'au titre même
de l'oeuvre - et de musiques empruntées au répertoire de la Renaissance
élisabéthaine. Durant un peu plus d’une heure, quatre danseurs – deux
filles et deux garçons – se rencontrent, vivent, s’aiment ou se
déchirent dans de petites saynètes centrées chacune autour d’un thème,
d’une humeur ou d’une ambiance, suggérés simultanément par la musique
ou le texte. Un personnage éminemment shakespearien, le Fou (un rôle
créé à l’origine par Jean Guizerix et repris ici par Romain Panassié),
qui vient s’adjoindre à ce quatuor de danseurs, constitue en quelque
sorte le fil conducteur narratif et symbolique du ballet, le deus ex machina
qui trace son chemin au long des différentes miniatures picturales et
chorégraphiques qui le composent. Il est celui qui regarde le monde
agir pour s’en faire le nécessaire commentateur, celui qui dénonce par
le verbe, en un joyeux paradoxe, le théâtre des apparences, la folie
des hommes.
Absent, je te retrouve (chor. Nathalie Adam)
Loin de se vouloir une tentative pittoresque de
reconstitution historique d’un monde perdu, le ballet de Nathalie Adam
s’offre à nous comme un spectacle impressionniste et d’allure
résolument contemporaine, mais revendiquant ouvertement des influences
puisées dans la peinture, la littérature et la musique de la
Renaissance anglaise, dont la chorégraphie cherche à ressaisir le
raffinement extrême, notamment dans le délicat travail des mains. La
gestuelle est "baroque" dans son épine dorsale, mais en même temps
revivifiée par un langage plus contemporain, tactile et souvent proche
du sol. Et si les silhouettes corsetées, tout de noir vêtues, à l’image
du clair-(très) obscur dans laquelle la scène reste plongée, suggèrent
aisément la mélancolie propre au monde imaginaire baroque, ses éléments
scénographiques rappellent tout autant des œuvres d’aujourd’hui,
particulièrement celles de Jiří Kylian, un maître que cite volontiers
la chorégraphe.
Si le projet se révèle séduisant, tant sur le plan esthétique
qu’intellectuel, le spectacle, riche en soi de potentialités créatives,
manque toutefois dans sa mise en scène et sa dramaturgie d’un certain
sens de la nuance et du contraste - jusque dans le jeu très impersonnel
des interprètes -, malgré les intentions affichées par le texte, la
musique et la construction même de la pièce. C’est l’ombre, plutôt que
la lumière, qui domine ici très largement – et pourquoi pas ? – mais de
manière sans doute trop uniforme à l’échelle d’un ballet de près
d’1h15. Le chatoiement baroque, celui que l’on retrouve encore au fond
de la mélancolie qui inspire les airs de John Dowland, semble au final
quelque peu monochrome, privée de son dynamisme interne, davantage
peut-être à l’image de la tristesse romantique ou de la dépression
contemporaine que d’un univers esthétique qui aime à se nourrir du
conflit, de l’opposition… et de la surprise.
29 août 2009 : Voyage en Europe, par la Compagnie L'Eventail
Voyage en Europe (chor. Marie-Geneviève Massé)
La compagnie de Marie-Geneviève Massé, l’Eventail,
avait ouvert la précédente édition du Festival de
Sablé par la création du Ballet des Arts,
une œuvre de Jean-Baptiste Lully, sur un livret d’Isaac de Benserade,
qui retrouvait à cette occasion une nouvelle vie. Cette année,
l’Eventail était chargé de clore le Festival, avec Voyage en Europe,
un ballet en quatre tableaux offrant au public une promenade musicale
et chorégraphique à travers l’Europe du Grand Siècle. Conformément à la
coutume, c’est dans le parc du Château de Sablé que se tenait cet
ultime spectacle – gratuit.
Le ballet de Marie-Geneviève Massé, interprété par sept danseurs de
la troupe, était présenté ici dans une version particulière, adaptée
aux circonstances quelque peu spartiates d’une représentation en plein
air : point de décor donc et une musique enregistrée, en lieu et place
des Folies Françoises, l’ensemble de Patrick Cohen-Akenine associé
d’ordinaire à cette production, qui a vu le jour en 2000.
Les quatre tableaux qui composent l’œuvre nous conduisent
successivement en France, en Angleterre, en Allemagne et en Italie,
ressaisies en un instantané imaginaire et mouvant, celui d’un XVIIème
siècle finissant, encore touché par la grâce. Au travers d’un choix
musical en rapport intime et presque charnel avec le pays représenté,
ces miniatures chorégraphiques, reposant chacune sur une ébauche
d’intrigue théâtrale, tentent ainsi de restituer la saveur et l’esprit
d’une contrée, en même temps que le style de danse qui lui est propre.
Une sorte de recherche du temps perdu, usant de l’art de la belle danse
comme d’un guide tout-puissant, au parfum entêtant… La France est ainsi
vue au travers du ballet de cour, où chaque pas, chaque geste, chaque
regard, à la fois mesuré, solennel et contraint, se veut le révélateur
paradoxal de l’être de la personne. C’est du reste le seul tableau qui
se donne comme reconstitution, puisqu’il s’appuie sur des chorégraphies
de Pécour et Feuillet, extraites d’opéras de Campra, Destouches ou
Lully. En contrepoint, l’Angleterre, placée sous les auspices de
Purcell, donne lieu à une évocation d’un registre ouvertement
dramatique, dans laquelle les corps semblent se libérer des contraintes
de l’étiquette et de l’apparence pour s’ouvrir à l’expression débridée
– et virtuose - des passions. L’Allemagne, associée à une sonate
mélancolique de Rosenmüller, apparaît alors comme l’adage, le moment
suspendu et détaché de la chair du monde, de ce drame en quatre actes.
L’Italie, incarnée par Vivaldi, marque enfin le retour à la vie, à une
vie se confondant avec le théâtre et l’illusion féerique présidant au
carnaval de Venise, qui conclut, en forme de feu d’artifice symbolique,
ce Voyage en Europe rêvé et fantasmé.
Voyage en Europe (chor. Marie-Geneviève Massé)
Au fil des tableaux, on retrouve mis en scène, de manière
significative, un même couple de protagonistes - le Marquis et la
Marquise de Sablé - choisi en quelque sorte comme fil conducteur et
prétexte à l’exposé des différentes situations et ambiances nées du
voyage. Sans doute ces saynètes sont-elles moins à voir comme des
cartes postales, recourant au pittoresque du costume d’époque, que
comme des images indissociables les unes des autres, se reflétant et
s’appelant nécessairement, évocatrices enfin d’une même réalité, celle
de cette "comédie aux cent actes divers" qu’est l’existence humaine.
Mises bout à bout, appréhendées dans leur unité, à la manière d’un
kaléidoscope, elles sont ainsi à même de nous faire éprouver, bien
au-delà de la couleur locale, la coïncidence ultime des contraires et
le chatoiement incessant propres au baroque.
Les danseurs de Marie-Geneviève Massé sont au demeurant merveilleux,
d’une séduction toute juvénile et d’une harmonie remarquable dans les
duos ou les ensembles, où, en dépit de l’effectif restreint, leur
reflet semble pour ainsi dire se démultiplier dans la nuit à peine
éclairée, comme pour les faire paraître plus nombreux. La virtuosité
qu’ils montrent dans l’exécution de cette dentelle de petits pas –
glissés, battus ou chassés - qui caractérise le langage chorégraphique
est en soi remarquable, mais elle l’est surtout parce qu’elle demeure
inséparable de l’expression théâtrale, toujours subtile. Le mouvement
n’est en soi ni spectaculaire ni grandiose, mais il s’enrichit et
s’embellit constamment de l’ornementation qui donne sens et étoffe à
l’oeuvre. De la haute couture.
B. Jarrasse © 2009, Dansomanie
Absent, je te retrouve
Chorégraphie : Nathalie Adam
Dramaturgie et mise en scène : Olivier Fredj
Costumes : Thomas Le Gouès - Monique Adam
Lumières : Pascal Le Friec
Régie : Fabien Monrose
Textes : Willam Shakespeare
Création musicale et sonore : Jean-Yves Bernhard
Musiques de la Renaissance élisabéthaine (musique enregistrée) :
- Anonyme, Gallyarde, Jordi Savall, Hespèrion XXI
- Anonyme, Dance, Jordi Savall, Hespèrion XXI
- John Dowland, Flow My Tears, Andreas Scholl et Andreas Martin
- Thomas Martin, Courante, Les Sacqueboutiers
- Anthony Holborne, Muy Linda, Les Sacqueboutiers
- Paolo Pandolfo, La Florentine
- John Dowland, Lachrymae, Paul O’Dette
- Anonyme, I will give my love an apple, Andreas Scholl et Andreas Martin
- John Dowland, I saw my lady weep, Andreas Scholl et Andreas Martin
- Wallow green, The Witches
- Nobody’s Jig, Mr Lane’s Maggott, The Witches
- Anonyme, The Three Raven, Andreas Scholl et Andreas Martin
- Anonyme, Come live with me and bee my love, Paul Agnew, Christopher Wilson
Création le 8 avril 2008 au Théâtre de la Vallée, Brunoy (91)
Production : Compagnie L’Espace / Coproduction : CCN de Biarritz et CDC
Biennale de Danse du Val-de-Marne, dans le cadre de résidence
"accueil-studio".
Voyage en Europe
Chorégraphie : Marie-Geneviève Massé, assistée de Marie Blaise
Décors : Marie-Geneviève Massé - Jean-Marie Abplanalp
Costumes : Olivier Bériot
Lumières : Carlos Perez
Régie : Fabien Monrose
Musique sur bande enregistrée :
Voyage en Europe, ballet en quatre tableaux
1er tableau : la France "être et paraître"
Extraits d’Opéras-ballets de Campra, Destouches, Lully
Chorégraphies de Pécour et Feuillet, maîtres à danser du XVIIIème siècle
2e tableau : l’Angleterre ou le drame
Suite de Dioclesian, de Henry Purcell par le Freiburger Barockorchester, dir : Gottfried Von der Goltz
3e tableau : l’Allemagne ou la nostalgie
Sonate en mi mineur pour deux violons et basse continue de Johann Rosenmüller, par La Petite Bande, dir : Sigiswald Kuijken
4e tableau : l’Italie ou le carnaval
Concerto pour luth en ré mineur RV 540, Trio en sol mineur RV 85
d’Antonio Vivaldi, par l’ensemble Il Giardino Armonico
Danseurs : Marc Barret, Bruno Benne, Anne-Sophie Berring, Emilie Bregougnon,
Olivier Collin, Adeline Lerme, Enora Mantel
Création en 2000
Coproduite par le Festival de Sablé et l’Opéra de Lausanne
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