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critiques et comptes rendus
Ballets de Monte-Carlo

15 juillet 2009 : Quiet bang - Men's dance for women - Le Spectre de la rose


lisa jones et azier uriagereka dans quiet bang
Lisa Jones et Azier Uriagereka dans Quiet bang (chor. Nicolo Fonte)

Paradoxalement, les Ballets de Monte-Carlo ne ressemblent que peu à une compagnie de danse hexagonale. En tournée à l'étranger la majeure partie de l'année, la compagnie propose principalement des créations néo-classiques, denrée rare au sein du tout-venant contemporain français. Au répertoire figurent des noms qui n'ont que peu travaillé en France, des chorégraphes de formation classique venus d'autres scènes européennes – Uwe Scholz, Johan Inger, Matjash Mrozewski, et bien d'autres encore. Cette année, à l'occasion des Nuits de la danse de Monte-Carlo, ce sont Nicolo Fonte et Marco Goecke qui ont reçu les honneurs de la troupe pour le premier programme ; Jean-Christophe Maillot, le prolifique directeur artistique de la compagnie, propose à leurs côtés le plat de résistance d'une soirée inégale, mais dont la ligne de mire reste la création.

Quiet Bang, la création de Nicolo Fonte servie en guise d'entrée, flirte avec les conventions les plus basiques de l'oeuvre néo-classique post-Balanchine. L'espace est blanc, parsemé de quelques petites colonnes d'éclairages, la musique, électronique, les danseurs, anonymes, en vert et gris. Les visages sont silencieux – le mouvement est censé dire seul, avec ses extensions, déséquilibres et multiples portés. On a beaucoup vu ce mode d'expression, que le programme assimile à une forme de communication, mais qui semble au contraire cristalliser une solitude toute moderne ; les danseurs vont en effet d'un partenaire à l'autre, sans expression autre que celle de leur propre expansion dans l'espace. En ce sens, la dissymétrie constante de la chorégraphie fonctionne bien. Les groupes ne se créent jamais que pour voir un ou plusieurs danseurs s'en trouver rapidement exclus, tomber ou s'éloigner. La musique de Ryuichi Sakamoto résonne souvent de cette tristesse sourde ; malheureusement, elle ne sert que de décor à Nicolo Fonte, qui ne trouve pas de correspondances autres que d'atmosphère entre visuel et son. Reste à l'esprit, principalement, la fluidité impeccable des danseurs, parmi lesquels Lisa Jones et Maude Sabourin se montrent particulièrement singulières. La vulnérabilité de l'une et la fierté scénique de l'autre dans cette œuvre offrent un contraste que la chorégraphie ne met au final que trop peu en exergue.

men s dance for women Men's dance for women (chor. Jean-Christophe Maillot)

Jean-Christophe Maillot, au contraire, s'attaque sans ambages aux partitions de Steve Reich. Men's Dance for Women y est engendré – dans le contraste entre les parties féminine et masculine, entre les lignes musicales qui se croisent et se décroisent. Le déphasage se transforme en un jeu rigoureux, en un principe de développement chorégraphique absolument étourdissant, qui fait logiquement écho au travail d'Anna Teresa de Keersmaeker avec le compositeur. L'oeuvre commence avec une « Men's Dance » annoncée sur l'écran présent en fond de scène. Réglée comme un métronome, géométrique, elle se contruit et se déconstruit au fil des lignes rythmiques de Reich. Des jambes de danseuse au mouvement caressant sont projetées de temps à autre à l'arrière-plan, seul élément capable d'interrompre la continuité hypnotisante du mouvement – avant que celui-ci ne reprenne, dès la disparition des pointes. Commentaire visuel sur l'origine de la danse masculine dans un monde de ballerines, peut-être, qui approfondit le parallèle entre deux parties singulières.

Les danseuses prennent en effet la place des hommes sur scène après une entrée subreptice, en imitant leur ultime chute à terre, les poussant à se relever avec surprise avant de sortir. Reprenant la danse, les femmes projettent un autre sentiment, une puissance plus frémissante. La partition de Steve Reich, Eight Lines, y est pour beaucoup, invoquant des oiseaux après la géométrie masculine, des animaux aux bras et mains fébriles, vivants – ce lieu commun de la danse classique, habilement re-travaillé, fait naître une nouvelle sororité de danseuses. Lorsqu'un homme apparaît, le groupe se mue en oiseau piquant dans sa direction, et le fait disparaître en un souffle. Au moment où tous reviennent enfin, ils passent déboussolés au travers d'elles comme au travers d'une nuée étrange, qui continue son œuvre jusqu'à se trouver hors de vue. Le groupe des hommes tombe alors à nouveau à terre - « for women », précise l'écran. Singulière réussite que cette danse des hommes pour (les) femmes, où le lien étrange, à la fois ancien et moderne, entre danseuses et cavaliers, est transposé avec une réelle profondeur.

jeroen verbruggen dans le spectre de la rose
Jeroen Verbruggen dans Le Spectre de la rose (chor. Marco Goecke)

Marco Goecke, enfin, offre une étrange fin de cercle à cette soirée en plein air. Consacré en Allemagne, où il a notamment créé des œuvres pour les ballets de Stuttgart, de Leipzig ou de Hambourg, ce jeune chorégraphe transmet aux danseurs un style particulièrement idiosyncratique. Sa relecture du Spectre de la Rose a quelque chose d'inimitable ; centrée sur la rapidité fulgurante de minuscules mouvements, elle confère à la Rose (démultipliée, ici, avec six danseurs dans le sillage de l'excellent Jeroen Verbruggen) un aspect démoniaque, qui met en lumière la part de noirceur inhérente au fantastique. Les rares sauts ne flottent pas – leur force est tellurique. On songe à un Roi de Pique venue terroriser la jeune fille de Théophile Gautier, balayant la scène de pétales de rose. Les danseurs semblent autant de personnages de cartoon qui auraient mal tourné, bougeant ou enchaînant d'étranges ports de bras avec vélocité et sans préparation visible autour d'un centre parfaitement calme. L'image, reflétée sur un sol noir brillant installé pour ce Spectre, est étonnante.

Le tout trouve pourtant rapidement ses limites. La chorégraphie n'entend tout simplement pas la partition de Carl Maria von Weber, quantité dispensable du spectacle, là où Marco Goecke ajoute pourtant à la partition choisie par Fokine un deuxième morceau du compositeur, Le maître des esprits. Le fossé se creuse progressivement entre la musique et la danse, elle-même perdue entre les deux parties. On s'interroge sur un personnage de jeune fille, incarné par Nathalie Nordquist, qui reproduit simplement le mouvement des roses, sans jamais communiquer avec elles, et qui disparaît au final dans le même anonymat. Son rêve devenu cauchemar méritait mieux.



Azulynn © 2009, Dansomanie





Quiet bang
Musique : Alva Noto - Ryuichi Sakamoto
Chorégraphie : Nicolo Fonte

Costumes : Mark Zappone
Lumières : Dominique Drillot

Men's dance for women
Musique : Steve Reich - Daniel Teruggi
Chorégraphie : Jean-Christophe Maillot

Costumes : Jean-Christophe Maillot - Jean-Michel Lainé
Lumières : Dominique Drillot

Le Spectre de la rose
Musique : Carl-Maria von Weber - Hector Berlioz
Chorégraphie : Marco Goecke


Ballets de Monte-Carlo
Musique enregistrée


Lundi 13 juillet 2009,  Terrasses du Casino, Monte-Carlo


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