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critiques et comptes rendus
Ballet du Capitole de Toulouse

12 juin 2009 : "3 x 3" à la Halle aux grains


maria gutierrez et breno bittencourt dans rubis
Maria Gutierrez et Breno Bittencourt dans Rubis (chor. George Balanchine)

Pour son dernier spectacle de la saison, le Ballet du Capitole nous proposait, derrière ce titre énigmatique de "3x3", une juxtaposition de trois œuvres sans rapport évident entre elles, si ce n’est qu’elles montrent l’évolution de l’art chorégraphique dans le dernier tiers du XXe siècle vers trois directions différentes : néoclassique revisité par la comédie musicale pour Balanchine, vers un art scénique teinté d'auto-dérision pour Hans van Manen, ou bien vers la fusion de plusieurs styles et techniques avec Twyla Tharp.

On connaît bien en France le ballet Rubis (ou Rubies en anglais), souvent donné à l’Opéra de Paris sous le nom de Capriccio, avant la grande reconstitution du triptyque Joyaux en l’an 2000, dont il forme le volet central. Il s'agit d' un hommage à l’Amérique et au style jazzy des comédies musicales de Broadway. Et justement la compagnie toulousaine n’a pas eu peur d’exagérer les déhanchements, œillades, sourires complices et positions anti-académiques, tout ce qui fait le sel de cette œuvre si particulière dans la production de Balanchine.

Paola Pagano fait merveille en meneuse de revue idéalisée, attirant à elle tous les regards. Quant à Maria Gutierrez et Breno Bittencourt, ils déploient tout ce qu’ils ont en eux de chic et de brio. Par comparaison, est-il permis de trouver la technique superlative de l’Opéra de Paris un peu figée et abstraite dans cette œuvre?  A Toulouse, au contraire, le naturel prime.

paola pagano dans rubis
Paola Pagano dans Rubis (chor. George Balanchine)

Le passage-clé où la soliste est désarticulée pas les quatre «boys» est éloquent en ce sens. Loin d’une pure abstraction formelle, il est exécuté ici avec un mélange de précision et de décontraction tout «américain». C’est probablement ainsi que le concevait Mr B.

Un autre moment d’une rare poésie : à la toute fin du deuxième mouvement les bras des deux partenaires s’enroulent et la main de Maria s’ouvre comme une fleur. Ajoutons toutefois qu’une bande enregistrée, d’aussi bonne qualité soit-elle, ne rend pas pleinement justice à la subtilité d’écriture de la musique de Stravinsky. Il est vrai que la composition du programme rendait difficile la présence de l’orchestre.


bits and pieces
Bits and Pieces (chor. Hans van Manen)

Hans van Manen a lui-même défini son ballet Bits and Pieces comme étant «une comédie absolument sérieuse». Composé de sept sections enchaînées, son déroulement en est constamment surprenant et émaillé de gags.

Sur des musiques de David Byrne et Brian Eno, les deux premières sections montrent douze danseurs en tenue de ville grisâtre, les filles en escarpins vermillon, et douze chaises. Semblant hésiter, préparer ou improviser un spectacle, les danseurs suspendent leurs déplacements dans des tableaux à la fois spectaculaires et émouvants. Il s’agit d’un hommage au pionnier de la photographie Eadweard Muybridge, inventeur d’un procédé de décomposition du mouvement.

saul marziali et paola pagano dans bits and pieces
Saul Marziali et Paola Pagano dans Bits and Pieces (chor. Hans van Manen)

Sur la Troisième barcarolle de Mendelssohn, Paola Pagano et Saul Marziali apparaissent pour exécuter un beau pas de deux. On entend alors en voix off les commentaires sarcastiques de la danseuse sur son partenaire ou  sur son propre travail. Celle qu’on a connu en inflexible Myrtha ou en lointaine Dulcinée nous dévoile une autre facette de son talent : l’humour.

Le corps de ballet revient, cette fois en tenue de scène, pour un exercice de pirouettes qui tourne à la dispute, chacun proposant son point de vue. Les échanges sur des accents norvégiens, italiens,…ou toulousains sont savoureux.

juliana moraes et frederik sellier dans bits and pieces
Juliana Moraes et Frederik Sellier dans Bits and Pieces (chor. Hans van Manen)

Après une danse frénétique avec les chaises, le maître de ballet fait son entrée. Incarné par Michel Rahn, formidable de présence scénique, il est muni d’une télécommande avec laquelle il dirige ses danseurs de la manière la plus tyrannique. Mais les danseurs accepteront-ils d’être traités comme des robots? Et les robots supporteraient-ils d’être traités comme des danseurs? Tout se conclut alors dans un grand éclat de rire du public.


gaelle riou et jerome buttazzoni dans nine sinatra songs
Gaëlle Riou et Jérôme Buttazzoni dans Nine Sinatra Songs  (chor. Twyla Tharp)

A travers Nine Sinatra Songs, Twyla Tharp a rendu un hommage fervent à l’immortel crooner. Sa chorégraphie, pour sept couples en tenues de bal (robes signées Oscar de la Renta), s’inspire de la danse de salon, mais bien loin de la raideur parfois imposée dans ce type de danse. Au contraire la souplesse des danseuses est fortement mise à contribution. Les mouvements et les portés, spectaculaires et acrobatiques, s’enchaînent avec une extrême rapidité. Le thème ou l’esprit de chaque chanson est superbement retranscrit en langage chorégraphique.

frederique vivan et henrik victorin dans nine sinatra songs
Frédérique Vivan et Henrik Victorin dans Nine Sinatra Songs  (chor. Twyla Tharp)

Il est évident que la distribution a été étudiée avec soin, tant chaque couple excelle à restituer exactement le climat de chaque «song». Citons notamment Gaëlle Riou, resplendissante et joueuse, Pascale Saurel, adorable face au toujours parfait Minh Pham (Somethin’ Stupid), Frédérique Vivan, qui déjoue avec autorité les difficultés du couple ivre (One for my baby), enfin Maria Gutierrez et Breno Bittencourt, plus virtuoses que jamais en couple «gouailleur»  (That’s Life) . Mais la palme revient sans doute à Paola Pagano, décidément très en vedette pour ce "3x3". Le couple amoureux qu’elle forme avec son partenaire attitré Saul Marziali (All the way) est un véritable rêve dansé.

maria lucia segalin et dimitry leshchinskiyi dans nine sinatra songs
Maria Lucia Segalin et Dmitry Leshchinskiyi dans Nine Sinatra Songs  (chor. Twyla Tharp)

A la fin du spectacle, on se dit qu’il y avait bien un point commun entre les trois œuvres: c’est le climat d’optimisme qu’elles inspirent, chacune à leur façon. Merci au Ballet du Capitole de nous l’avoir fait ressentir de si brillante manière.

La dernière représentation devait toutefois se terminer dans l’émotion. A peine terminé leur dernier duo sur My Way, Maria Gutierrez et Breno Bittencourt ne purent retenir leurs larmes. Au moment des saluts, le public, tout d’abord déconcerté, compris que Breno signifiait par là son départ prochain, ainsi que celui de Maria-Lucia Segalin qui partage sa vie.

breno bittencourt et maria gutierrez dans nine sinatra songs
Breno Bittencourt et Maria Gutierrez dans Nine Sinatra Songs  (chor. Twyla Tharp)

L’émotion gagna toute l’assistance et de longs applaudissements saluèrent celui qui est devenu la figure emblématique de la danse à Toulouse. Un chaste baiser pour Maria-Lucia allégea enfin l’atmosphère. Il faudra revenir plus en longueur sur le parcours de ce grand artiste à Toulouse, ne serait-ce que pour mieux mesurer l’empreinte qu’il va laisser.



Jean-Marc Jacquin © 2009, Dansomanie





Rubis
Musique : Igor Stravinsky
Chorégraphie : George Balanchine

Costumes : Nanette Glushak

Avec :  Paola  Pagano  - Maria Gutierrez
 Breno Bittencourt / Kazbek Akhmedyarov

Bits and Pieces
Musique : David Byrne - Brian Eno - Felix Mendelssohn-Bartholdy
Chorégraphie : Hans van Manen

Costumes : Keso Drekker
Lumières :  Jan Hofstra -  Mea Venema

Avec : Paola Pagano - Saul Marziali

Nine Sinatra Songs
Musique : Frank Sinatra
Chorégraphie : Twyla Tharp

Costumes : Oscar de la Renta
Décors : Santo Loquasto
Lumières :  Jennifer Tipton - William Whitener

Softly As I leave you : Lucille Robert  - Kazbek Akhmedyarov
Strangers in the night : Maria-Lucia Segalin - Dmitry Leshchinskiy
One for my baby : Frédérique Vivan - Henrik Viktorin
Somethin' Stupid : Pascale Saurel et Minh Pham
All the way : Paola Pagano - Saul Marziali:
Forget Domani : Gaëlle Riou - Jérome Butazzoni
That's Life : Maria Gutierrez - Breno Bittencourt

Ballet du Capitole de Toulouse
Musique enregistrée


Vendredi 12 juin 2009,  Halle aux grains, Toulouse


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