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Le Ballet-Théâtre de Saint-Pétersbourg au Théâtre des Champs-Elysées (Paris)
24 mai 2009 : La Bayadère
Irina Kolesnikova (Nikiya)
Après Le Lac des cygnes,
le Ballet-Théâtre de Saint-Pétersbourg poursuivait
sa brève tournée parisienne avec un autre grand classique
du répertoire russe, La Bayadère.
Le ballet est présenté par la troupe dans une version en
quatre actes, sur laquelle le spectateur "éclairé" ne
doit toutefois pas se méprendre : la destruction du temple
n’a pas été exceptionnellement restaurée, le
traditionnel premier acte, composé de deux tableaux, a
simplement été scindé en deux actes distincts.
Pour le reste, la chorégraphie suit de près celle de
Petipa figurant au répertoire du Mariinsky,
révisée en 1941 par Vladimir Ponomarev et Vakhtang
Chabukiani. Si le Pas d’action est fidèlement
reconstitué dans l’acte III, certains détails de
mise en scène, comme l’arrivée de Solor sur un
éléphant ou la participation d’enfants à la
danse de l’Idole dorée, sont cependant supprimés,
de même que la danse Manou. Le caractère réduit et
itinérant de la compagnie peut aisément expliquer ces
omissions minimes. Les décors, quant à eux,
composés de toiles peintes, reproduisent de manière
scrupuleuse et presque muséographique dans leurs motifs et leurs
coloris les tableaux orientalistes familiers du spectateur de la
production. On pourrait faire une remarque similaire au sujet des
costumes, rutilants et colorés, parfois presque pompeux, qui
témoignent des moyens conséquents mis en œuvre pour
créer l’illusion du "grand spectacle". Néanmoins,
si la scénographie conjugue réussite esthétique et
efficacité pratique dans les deux premiers actes, on regrettera
encore une fois le prosaïsme des éclairages, cette fois
dans l’acte des Ombres : nuit parsemée
d’étoiles lumineuses, de couleur blanche ou bleue, soleil
orange voilé dans un coin du cadre de scène, tout cela a
comme un air de surprise-party adolescente, quelque peu
inadéquat en cet instant mystique… Les effets
spectaculaires paraissent de trop, là où la nudité
d’une scène plongée dans l’obscurité
et agrémentée d’un halo de fumée aurait
suffi. Elle aurait sans doute permis de mettre davantage en valeur la
descente des Ombres, limitées dans leur élan
poétique par l’étroitesse et le peu de profondeur
de la scène du Théâtre des Champs-Elysées.
Si Le Lac des cygnes, du moins
dans sa version pétersbourgeoise, met presque exclusivement
l’accent sur le personnage d’Odette-Odile, il n’en
est pas de même de La Bayadère
qui, en plus des divers rôles secondaires, offre trois
rôles d’envergure nécessitant des qualités
à la fois techniques et dramatiques de la part des
interprètes. Sachant l'aura d’Irina Kolesnikova et son
statut d'étoile incontestable au sein de la compagnie, on aurait
pu craindre sinon le pire, du moins un déséquilibre
patent entre les protagonistes, d’autant que le Solor
annoncé, Danila Korsuntsev, étoile invité du
Mariinsky, a fait défaut quelques minutes avant le lever du
rideau, remplacé au pied levé par le jeune Youri Kovalev
(qui, d’après le programme, n’a pas le rôle de
Solor inscrit à son répertoire). Les inquiétudes
ont pourtant été rapidement balayées…
Certes, Youri Kovalev ne déploie pas naturellement toute la
puissance un rien barbare du Solor idéal, qui doit
s'éprouver dès l'entrée du personnage, mais il
charme d’emblée par sa fraîcheur, son engagement et
la générosité de son jeu scénique, en plus
d’un sourire désarmant venant parachever chacune de ses
prestations. Sans être particulièrement virtuose, il
possède une belle élévation et se montre vif,
léger et précis dans sa danse. Pour des raisons
qu’on peut attribuer autant au physique qu’à
l’expérience, ses limites se révèlent dans
quelques portés, notamment avec Irina Kolesnikova,
légèrement plus grande que lui sur pointes.
Néanmoins, l'empathie qu'il manifeste vis-à-vis de ses
partenaires, à l'image de la générosité de
sa danse, emporte l'adhésion. Aux côtés de ce Solor
séduisant, peut-être encore un peu vert, Gamzatti et
Nikiya font, chacune à leur manière, assaut de force et
d’autorité. Entre ces deux-là, c’est un peu
le combat éternel, archétypal, entre la brune et la
blonde, le feu et la glace… Dans le rôle de Gamzatti,
Marina Vejnovets impressionne par ses lignes parfaites et une
personnalité scénique qui n’a rien à envier
à celle d’Irina Kolesnikova, comme en témoigne le
face-à-face entre les deux femmes qui conclut magistralement le
second acte. Elle incarne une princesse indienne arrogante, sûre
d’elle-même et de sa puissance, qui laisse toutefois percer
sa joie et sa fierté naïve de jeune fiancée. Sa
variation à l’acte III manque en revanche de
fluidité et d’un certain moelleux dans l’attaque,
même si la coda est par ailleurs parfaitement
maîtrisée, tant dans les fouettés à
l’italienne que dans la série de fouettés finaux.
Irina Kolesnikova interprète pour sa part une Nikiya vibrante et
passionnée, dans le même esprit que son Odette. Si la
technique et le style, sans failles, ne suscitent une nouvelle fois
aucune réserve majeure, son tempérament très
"incarné" et sa beauté profondément
théâtrale la rendent sans doute plus touchante dans ce
rôle qui est celui d’une femme amoureuse, avant
d’être celui d’un esprit éthéré.
Irina Kolesnikova (Nikiya)
La Bayadère
possède de nombreux seconds rôles permettant aux danseurs
d’une compagnie de briller à la mesure de leurs talents,
ce qui, dans une troupe à faible effectif et au niveau
relativement hétérogène telle que le
Ballet-Théâtre de Saint-Pétersbourg, peut
apparaître comme un défi. Dans les parties mimées,
on soulignera tout d’abord la prestation mémorable de
Dimchik Saykeev dans le rôle du Brahmane : ses expressions sont
justes, son jeu puissant, mais sans outrance déplacée, et
le personnage qu’il incarne, dont on pourrait être
tenté de se désintéresser, réussit à
participer vraiment de l’action, au même titre que les
rôles dansants. En regard de cette prestation, le Rajah
Magadaveya et sa suite semblent quelque peu manquer
d’autorité et de noblesse. Dans les parties
dansées, Alexandra Badina se fait à nouveau remarquer
favorablement au sein du trio des Ombres, porteur d’une belle
harmonie d’ensemble, même si, au niveau individuel, la
troisième Ombre, Anna Sergeeva, connaît quelques soucis
techniques dans l’exécution de sa variation. On louera
enfin les demi-solistes de la Djampo au second acte et celles du Grand
pas au troisième acte, précises dans leur danse et
d’une unité parfaite. La descente des Ombres se
révèle peut-être plus délicate. Elle ne
souffre d’ailleurs pas tant d’un manque d’harmonie
– l’unité de style est pleinement
réalisée, en dépit de quelques tremblements
passagers - que d’éléments extérieurs venant
en gommer la poésie intrinsèque, tels que les
éclairages inadéquats et les contraintes
matérielles liées à la petitesse de la
scène. Enfin, comment ne pas mentionner le massacre
organisé par l'orchestre, dirigé par Pavel Bubelnikov,
pour ce dernier acte?....
Il n’empêche, malgré les quelques réserves
que l’on peut raisonnablement émettre sur tel ou tel
aspect du spectacle, on reste frappé et séduit par la
fraîcheur, le professionnalisme et au fond l’engagement
communicatif d’une troupe qui prouve que l’on peut encore
proposer, bien au-delà de l'attraction suscitée par le
rayonnement indéniable d'Irina Kolesnikova, des spectacles
ambitieux, pensés dans le respect fidèle d’une
certaine tradition, dès lors que le public accepte
lui-même d’aller à rebours des
préjugés urbains et des modes passagères.
B. Jarrasse © 2009, Dansomanie
La Bayadère
Musique : Ludwig Minkus
Chorégraphie : Marius Petipa
Décors : Semyon Pastukh
Costumes : Galina Solovieva
Nikiya : Irina Kolesnikova
Gamzatti : Marina Vejnovets
Solor : Youri Kovalev
Le Brahmane : Dymchik Saykeev
Le Rajah : Pavel Holoimenko
L'Esclave : Sergei Davidov
L'Idole dorée : Alexandre Abaturov
Ballet-Théâtre de Saint Pétersbourg
Orchestre du Ballet-Théâtre de Saint-Pétersbourg
Direction musicale : Pavel Bubelnikov
Dimanche 24 mai 2009, Théâtre des Champs-Elysées, Paris
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