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Le Ballet-Théâtre de Saint-Pétersbourg au Théâtre des Champs-Elysées (Paris)
22 mai 2009 : Le Lac des cygnes
Irina Kolesnikova (Odette)
En
ce 22 mai, le Ballet-Théâtre de Saint-Pétersbourg
faisait son retour sur la scène du Théâtre des
Champs-Elysées dans Le Lac des cygnes,
ballet qui l’avait fait connaître au public parisien en
2007. Fondée en 1994 par l’homme d’affaires
Konstantin Tashkin, la troupe est actuellement forte d’une
cinquantaine de danseurs et se produit pour l’essentiel en
tournée, dans un répertoire relativement restreint,
composé des grands classiques du répertoire russe. Une
ambiguïté demeure toutefois dans l’image qu’en
reçoit le public : la communication presque exclusivement
centrée autour du nom d’Irina Kolesnikova, "star"
incontestée de la troupe, qui brille en son sein telle un
diamant que viendrait seul admirer le public, tend à
reléguer le reste de la compagnie dans un anonymat qu’elle
ne mérite pourtant pas, à la regarder objectivement
évoluer. Soumise à des tournées incessantes,
à un répertoire et à des distributions peu
susceptibles de se renouveler, la troupe frappe et séduit au
fond par sa jeunesse et son entrain.
Le Lac des cygnes nous est
présenté ici dans la version de Konstantin Sergeev, qui
est celle figurant au répertoire du Mariinsky. A cet
égard, on ne sera pas surpris d’y retrouver le nom de
Galina Solovieva, à l’origine des costumes des deux
productions. Les décors de Semyon Pastukh, d’inspiration
troubadour, se révèlent quant à eux d’un
lustre et d’une beauté onirique indéniables.
Ruines, palais, arcs-boutants, forêts nocturnes, lacs
mystérieux, aucun élément de l’imaginaire
médiéval et néo-gothique façonné par
les romantiques n’est oublié. L’artifice est
habilement reconstitué, affiché avec délectation,
jusqu’à l’écoeurement sans doute pour ceux
goûtant à plus de sobriété
théâtrale. On pourra sur ce plan regretter que les
éclairages succombent ici ou là à des effets
spectaculaires qui tiennent plus de la facilité que du seul
amour de la fantaisie. La mise en scène de Sergeev, très
proche en cela de l’esprit du conte avec ses personnages
archétypaux et sa fin heureuse, propose, il est vrai, un Lac au
premier degré, sans rapport avec la sophistication formelle de
certaines versions plus modernes, ou plus "occidentales", comme celle
de Noureev. Le plaisir de ce Lac ne réside ni dans une
virtuosité chorégraphique poussée à son
paroxysme ni dans un prétexte d’exploration psychologique,
il est au fond comparable à celui – nostalgique
peut-être - que l’on a à se replonger sans lassitude
dans un classique de la littérature que l’on connaît
pourtant par coeur…
Comme le voulait la tradition du XIXème siècle, tout est
fait ici pour mettre en valeur la ballerine, créature mythique
qui triomphe seule sous le regard émerveillé des
spectateurs. De ce point de vue, Irina Kolesnikova répond
idéalement à ces attentes, par son physique et sa
personnalité scénique imposante. Elle parvient de
surcroît à incarner en Odette et en Odile deux personnages
à la fois bien distincts et hautement mémorables,
réalisant ainsi un équilibre théâtral
qu’on perçoit rarement, y compris chez les plus grandes.
Ce n’est toutefois pas tant sur le plan de l’émotion
suscitée que sur celui de l’expression dramatique que sa
prestation se révèle efficace et réussie. Son
Odette manque sans doute de fragilité et de cette aura
d’irréalité que possèdent d’autres
interprètes célèbres, mais en contrepartie, elle
s’affirme vraiment comme la reine des cygnes, une reine de
tragédie qui se laisse tout entière aller à la
passion sans renoncer à sa puissance féminine. Ici, la
technique, superlative, tempérée par un style sans
failles, est constamment mise au service de la
théâtralité. Son Odile, sensuelle et vivante
à l’excès, plus proche de son tempérament
naturel, se révèle encore pleinement convaincante, mais
on pourra regretter que dans ce tableau, la technique puisse
apparaître parfois non plus seulement comme une manière
d’éblouir le Prince, en adéquation avec
l’intrigue, mais aussi comme une fin en soi. Dans une version qui
laisse justement peu de place au personnage du Prince, Danila
Korsuntsev – heureuse surprise venue d’ailleurs -
apparaît comme une sorte de partenaire de rêve pour Irina
Kolesnikova, même si le manque de familiarité entre eux
est apparu palpable, sur un plan technique, dans l’acte III.
Habitué à côtoyer les "divas", il assume
parfaitement son rôle de "faire-valoir" de luxe et sait mettre en
valeur la ballerine avec délicatesse, tout en imposant avec
force son élégance, son style et sa présence
aristocratiques dans les adages ou les soli.
Irina Kolesnikova (Odile)
Face
à un couple principal qui, à défaut
d'émouvoir pleinement, emporte en tout cas
l’adhésion haut la main, les rôles secondaires
offrent des prestations plus inégales. Le pas de trois de
l’acte I se révèle notamment un moment
délicat pour le jeune Evgeny Korsakov - qui semble à vrai
dire tout juste sorti de l’école -, tandis que la
deuxième soliste, Alexandra Badina, vive, légère,
enjouée comme il le faut, s’y montre pleine
d’assurance. Cependant, au-delà des prestations
individuelles plus ou moins réussies des uns ou des autres, qui
incitent tout de même à l'indulgence, on se permettra de
marquer un certain scepticisme concernant le mime adopté par
quelques interprètes d'importance, dont l'existence tient
exclusivement ou tout au moins en partie à des qualités
dramatiques : le Professeur, loin d’inspirer
l’autorité et la sagesse, apparaît comme un
personnage burlesque, la Reine, primesautière, donne parfois
l’impression de se livrer à la galanterie avec son fils,
sans parler du jeu de Rothbart, d’une outrance quelque peu
naïve dans l’acte III… Au fond, seul le Bouffon
semble assumer pleinement la théâtralité comique de
son rôle.
Si le corps de ballet ne saurait naturellement être mis au
même niveau que celui d’une compagnie nationale, telle que,
par exemple, celui du Mariinsky, auquel on est tenté de penser
tant pour des raisons chorégraphiques que d’école,
les actes blancs, présentés avec un nombre de cygnes
réduit, sont toutefois rendus avec les qualités
nécessaires pour obtenir un Lac
vraiment digne de ce nom : la discipline des alignements, aidée
par un encadrement adéquat, et l’harmonie
d’ensemble, conférée par la grande
homogénéité stylistique des danseuses, participent
au premier chef de cette alchimie réussie. Les danses de
caractère de l’acte III, exécutées avec un
style raffiné et une énergie qui les rend
intéressantes à regarder, restent aussi comme l’un
des meilleurs moments du spectacle. On pourra bien sûr regretter
le manque d’onirisme des tableaux, empêché par
l’étroitesse de la scène, et l’absence de ce
génie poétique apte à emporter qui fait les
très grandes compagnies, mais peut-être est-il bon
à un certain moment de reconsidérer les choses, et de
remettre, sans déshonneur aucun, une troupe de ce type à
sa juste place dans le vaste monde du ballet. Le plaisir d'être
là n'en est alors pas moins grand.
B. Jarrasse © 2009, Dansomanie
Le Lac des cygnes
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovsky
Chorégraphie : Marius Petipa et Lev Ivanov, révisée par Konstantin Sergueïev
Décors : Semyon Pastukh
Costumes : Galina Solovieva
Odette / Odile : Irina Kolesnikova
Siegfried : Danila Korsuntsev
Rothbart : Dymchik Saykeev
La Reine : Olga Yakubovitch
Le Fou : Alexander Abaturov
Ballet-Théâtre de Saint Pétersbourg
Orchestre du Ballet-Théâtre de Saint-Pétersbourg
Direction musicale : Pavel Bubelnikov
Vendredi 22 mai 2009, Théâtre des Champs-Elysées, Paris
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