menu - sommaire



critiques et comptes rendus
Théâtre du Bolchoï (Moscou)

12 & 13 mars 2009 : Coppélia (reconstruction Vikharev) au Bolchoï


coppelia acte 1
Acte 1 - vue générale

Quoi de neuf sous le ciel des reconstructions? Le Ballet du Bolchoï a repris la flamme allumée autrefois par le Mariinsky avec La Belle au bois dormant et La Bayadère, et a invité leur auteur, Sergueï Vikharev, à faire entrer Coppélia au répertoire moscovite. Au-delà du choix de la reconstruction, la compagnie a su sélectionner ces dernières années des oeuvres qui mettent en valeur ses danseurs, et le ballet créé à Paris par Saint-Léon ne fait pas exception. La chorégraphie utilisée ici, celle de la version Petipa/Cecchetti telle que Nicolas Sergueïev l'a transcrite au début du XXe siècle, est d'une richesse et d'une complexité non négligeable, et met en valeur une troupe toujours radieuse.

Les trois actes sont soigneusement travaillés, quoique le premier ne soit pas sans quelques longueurs. Cette scène de village, avec ses variations et ses passages de corps de ballet, a du mal à emporter l'adhésion avec sa logique dramatique étrange : pourquoi, après avoir cassé de déception un épi dans lequel Frantz n'arrivait pas à entendre ce qu'elle voulait, Swanilda revient-elle immédiatement pour une danse joyeuse avec ses amies? Incohérences acceptées à l'époque et que le balletomane tolère d'ailleurs le plus souvent, mais la tendance est à attendre des reconstructions une logique retrouvée. La chorégraphie est cependant souvent délicieuse, et les second et troisième actes brillent, l'un par ses scènes de mime, drôles et limpides, l'autre par un divertissement qui ne manque pas d'intérêt.

ruslan skvortsov frantz et maria alexandrova swanilda
Ruslan Skvortsov (Frantz) et Maria Alexandrova (Swanilda)

La reconstitution des costumes n'en est pas vraiment une, Sergueï Vikharev indiquant dans le programme qu'il n'existe pas de reproductions complètes des modèles utilisés – on apprend ainsi que par une coïncidence amusante, le costume de Swanilda a été réalisé d'après celui de Marie Petipa dans Le Petit cheval bossu... Le mélange de costumes reconstruits et d'approximations d'époque fonctionne quoi qu'il en soit, avec le flair coutumier des ateliers du Bolchoï, auteurs ces dernières années de somptueuses productions. Tatiana Noginova ajoute à des teintes vibrantes une réelle richesse de détails. On regrettera seulement le manque d'harmonie entre le tutu de Coppélia et ceux de ses amies, mais le tout n'en suggère pas moins au spectateur à ce que pouvait être l'esprit théâtral de ce conte rural à la fin du règne de Napoléon III.

vyacheslav lopatin frantz et natalia osipova swanilda
Vyacheslav Lopatin (Frantz) et Natalia Osipova (Swanilda)

Après Les Flammes de Paris ou Le Corsaire, surtout, Coppélia est un nouveau cadeau à la génération actuelle de danseurs, une manière de leur faire créer et recréer des rôles classiques quand le répertoire hérité de l'époque soviétique ne le permettait plus nécessairement. En l'absence d'une solide lignée de chorégraphes d'inspiration classique, on peut effectivement considérer cette option comme la moins mauvaise. Elle met par ailleurs à l'honneur l'esprit de caractère, la bravoure moscovites, et de ce point de vue Maria Alexandrova comme Natalia Osipova livrent des représentations mémorables. Maria Alexandrova, en particulier, règne sur la scène avec une autorité époustouflante – pas le plus petit doute, la plus petite hésitation ne viennent perturber sa Swanilda au caractère affirmé. Elle brille particulièrement à l'acte II, avec une poupée d'une précision musicale extrême, pour laquelle elle utilise avec brio sa force naturelle dans le haut du corps. Ses danses de caractère devant Coppélius possèdent un style à la fois simple et effectif. Quant au pas de deux de l'acte III, ses ballonnés en arrière ont arraché au public des applaudissements ébahis - et le reste était évidemment à l'avenant. Maria Alexandrova est une personnalité théâtrale qui a le don de sembler sans limites sur scène, ceci avec une simplicité et un art de la dérision inégalés. Une présence passionnante, qui sait utiliser son physique si particulier à son avantage.

maria alexandrova swanilda
Maria Alexandrova (Swanilda)

Natalia Osipova est sans doute une Swanilda plus évidente, son emploi étant naturellement de demi-caractère. Son interprétation est brillante sous bien des aspects, avec une technique de fer, quoique légèrement moins précise qu'Alexandrova ; elle travaille par ailleurs dans le style demandé, sans une seule hyper-extension, et adopte un rôle de charmante peste à l'acte II, à la fois vive et bouillonnante. La réaction du public ne montre que trop qu'elle a acquis un statut de star à Moscou, et c'est là que le bât blesse. Lorsque le rôle n'est pas trop exigeant dramatiquement, elle semble en effet jouer avant tout pour le public, d'un air complice. Ses variations, interrompues deux ou trois fois par des salves d'applaudissements, acquièrent par conséquent quelque chose de l'exercice de cirque, ce qui la pousse à passer en force, le bras tremblant dans les arabesques. C'est dommage – tout est pourtant impeccable, et son deuxième acte, concentré sur l'action, montre ce dont cette très jeune artiste est capable.

natalia osipova swanilda
Natalia Osipova (Swanilda)

Les princes consorts n'ont pas démérité dans une production qui ne les met pas beaucoup en avant. Le jeu comique de Ruslan Skvortsov fait merveille, tandis que Viacheslav Lopatin enlève le rôle de Frantz avec fraîcheur et légèreté. Sa variation du troisième acte, brillante, était par ailleurs présentée avec une modestie scénique qui tempérait ainsi l'exubérance de sa partenaire. Guennadi Yanin développait déjà son interprétation de Coppélius d'une représentation à l'autre ; le vieil inventeur est ici un pauvre diable, à la fois profondément pathétique et caractérisé par une dissimulation inquiétante, qui invite un sentiment mêlé de pitié et de répugnance vague.

Le divertissement du troisième acte, brodé autour du Temps, est un autre plaisir de cette Coppélia. L'Aurore ouvre les festivités, interprétée avec un rayonnement particulier par Anastasia Stashkevitch le deuxième soir. Elle est suivie de la Prière, un thème qui mettait en valeur Nelli Kobakhidze, d'une douceur et d'une spiritualité qui ont provoqué des applaudissements nourris. Julia Grebenshchikova faisait allusion à la même histoire silencieuse le second soir, mais de manière moins approfondie. Dans le rôle de la Folie, Anna Leonova, dotée d'un impeccable ballon, a elle aussi reçu l'approbation du public, qui sait décidément accueillir «ses» artistes.

maria alexandrova swanilda acte 2
Maria Alexandrova (Swanilda)

Quant aux danses de caractère – que dire? Sinon que le corps du ballet du Bolchoï se distingue vraiment par sa joie de vivre et son engagement constant, qui donnent une raison d'être aux mazurkas et autres czardas du premier acte. Maria Isplatovskaya, Anna Antropova et Denis Savin se distinguaient dans divers rôles de soliste. La minutieuse reconstruction de la Valse des Heures au troisième acte porte par ailleurs ses fruits, avec vingt-quatre danseuses d'une harmonieuse délicatesse, représentant quatre couleurs du jour. Un ordre retrouvé qui était aussi présage de la chute de l'Empire, mais dont l'aspect lumineux garde un charme suranné, dû notamment à la partition de Léo Delibes. Alexander Vedernikov dirigeait l'orchestre du Bolchoï, une interprétation colorée – et tant que cette production est donnée avec la même vitalité que lors de la première, on peut lui pardonner ses excès de fidélité...




Azulynn © 2009, Dansomanie



Coppélia
Musique : Leo Delibes
Argument : Charles Nuitter et Arthur Saint-Leon, d'après Ernst Theodor Amadeus Hoffmann
Chorégraphie : Sergueï Vikharev d'après
Marius Petipa et Enrico Cecchetti


Swanilda : Maria Alexandrova (12/03) - Natalia Osipova (13/03)
Frantz :
Ruslan Skvortsov (12/03) - Vyacheslav Lopatin (13/03)
Coppélius : Guennadi Yanin
Coppélia (automate) :
Lyubov Miller (12/03) - Nadejda Gredasova (13/03)
Le Seigneur du manoir : Alexander Fadeyechev
Le Bourgmestre : Dmitry Rykhlov
Le Prêtre: Konstantin Kuzmin  
L'Aurore : Ekaterina Krysanova (12/03) - Anastasia Stashkevich (13/03)
La Prière : Nelli Kobakhidze (12/03) - Yulia Grebenshchikova (13/03)
Le Travail : Anastasia Yatsenko

Ballet du Bolchoï
Orchestre du Bochoï
Dir. Alexander Vedernikov

Jeudi 12 mars 2009 - Vendredi 13 mars 2009,  
Théâtre du Bolchoï (Petite scène), Moscou


http://www.forum-dansomanie.net
haut de page